par Xavier Baron, le mardi 23 décembre 2008

Tout se passe comme si les définitions et limites d'un droit protecteur sur le temps de travail relevaient désormais de l'Europe et plus particulièrement des parlementaires. De fait, les législateurs nationaux semblent d'abord préoccupés de flexibilité et de compétitivité, chacun chez soi. Les 9 et 10 juin 2008, le conseil des ministres européens était parvenu à un accord sur les directives temps de travail et intérim bloquées depuis des années. Sur le temps de travail, les changements politiques en France et en Italie permettaient aux Britanniques de faire enfin valoir « l'opt out » ; la possibilité pour un employeur de demander à un salarié de consentir individuellement à travailler plus de 48 heures hebdomadaires. Des signes indiquent cependant que la finalisation sous la forme d'une directive sur le temps de travail ne sera pas consolidée en décembre 2008. Un certain rempart Européen joue.


Le temps « sanctuaire » devient levier de compétitivité


Pendant ce temps, l'opt out est toujours appliqué en Grande Bretagne, il est convoité en France et en Italie. Au-delà de spectaculaire transformation du modèle Volkswagen, de la semaine de 4 jours à la flexibilité sous objectifs sans compensations salariales, il y a propagation des comptes temps de travail et décentralisation des négociations en Allemagne. 200 heures supplémentaires/an en « banque » sont rendues possibles (7 novembre 2008) par le nouveau code au Portugal. Mais aussi, des aménagements plus souples sont proposés en Estonie, la réintroduction de l'intermittence et l'assouplissement des repos obligatoires viennent d'être adoptés en Italie, l'incitation aux heures supplémentaires et l'extension des forfaits sont acquis en France et demain peut-être, du travail dominical....

Il est vrai que le temps de travail n'est plus le seul « marqueur et facteur » de la subordination. Il peut donc être banalisé. Sa fongibilité en argent en fait une marchandise dont chacun peut disposer comme il l'entend. Les pouvoirs publics nationaux n'auraient plus pour vocation d'encadrer le temps de travail, mais seulement les conditions de sa négociation ; de plus en décentralisée et même individualisée.


L'histoire est ironique, la réalité résiste toujours


Mais, one more time, les temps changent ! Les arguments en faveur de la compétitivité et de la croissance se heurtent à un contexte qui a déjà changé. Le levier supposé du temps de travail sur l'efficacité économique risque de faire l'effet d'un coup d'épée dans l'eau en regard de l'ampleur annoncée de la crise. Ce ne sont ni l'envie ni l'offre de travail qui manquent du coté des salariés. Le défaut de croissance n'est pas lié à l'insuffisance de travail. Ainsi, c'est lorsque la baisse de l'intérim et les licenciements touchent les plus fragiles (et que les banlieues souffrent d'autant plus...) que la loi s'efface au profit des arrangements locaux. Si une minorité de salariés sont prêts à travailler plus pour gagner plus, il en est de plus en plus qui tombent malades de la surcharge et du stress. C'est quand on devrait se faire à l'idée de 15 à 20 000 chômeurs de plus par mois en France sur deux ans, plus trois millions de chômeurs probables en Europe selon les prévisions récentes de la Commission qu'il faut relever le temps de travail moyen des actifs. C'est quand la récession s'installe, après 30 ans de préretraites, que les seniors doivent réintégrer le rang des productifs dans des contextes où tout reste fait pour les décourager. C'est au moment où le pouvoir d'achat est durablement en berne que le travail dominical contraint des uns est présenté comme un progrès pour égayer les loisirs familiaux des autres. C'est également dans le même moment que le message est lancé sur l'inefficacité des dépenses de formation, la levée du seuil fiscal sur la formation professionnelle et sur l'appel aux collectivités pour prendre le relais de la sécurisation des parcours.


Same players shoot again?


En ces temps de grande crainte sur l'avenir, le syndrome du « toujours plus de la même chose » risque malheureusement de remettre en scène les conservatismes de tous poils. D'un coté, pour les tenants de la « shock doctrine », plus cela va mal, plus c'est le bon moment de reporter les charges sur la collectivité, de restructurer, de revenir sur les acquis, d'imposer des gains directs de productivité. La crise fournit le prétexte et l'argument. Les perspectives de licenciements crédibilisent les menaces propres à améliorer le rapport de force... C'est ainsi que l'on sent frémir d'impatience quelques uns s'agissant de reprendre des jours de réduction du temps de travail aux cadres, de forfaitiser plus largement, d'étendre le recours aux emplois précaires, d'élargir les possibilité de subventionnement du chômage partiel, de reporter la charge de la formation continue sur les systèmes de protection sociale voire les pouvoirs publics territoriaux, recourir à nouveau à des préretraites, accélérer les externalisations et les délocalisations, penser une nouvelle étape dans la variabilité des rémunérations... De l'autre, pour les défenseurs des droits acquis - ces droits qui valent d'autant plus qu'ils sont collectifs et cumulatifs - il faut au contraire imposer d'urgence un moratoire. L'heure est à la solidarité et à la prévention des injustices. Pour un peu, sous une forme ou une autre, au moment même où Martine Aubry accède à la tête de l'opposition, on pourrait assister au retour du thème du partage de l'emploi ... Il paraît temps de renoncer à jouer sur un temps de travail qui ne crée pas plus d'emplois qu'il ne soutient le pouvoir d'achat et de se demander quelles sont les conditions, y compris sociales, d'un dépassement des limites du modèle que nous connaissons.




Editorial de Metis-Correspondances européennes du travail, du 15 décembre 2008

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Xavier Baron est cconseiller RH

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