A l'occasion de son discours sur la stratégie américaine en Irak le 10 janvier, le président George W. Bush a mentionné certains éléments d'une nouvelle politique à l'encontre de l'Iran et a replacé le conflit irakien dans le cadre du Moyen Orient élargi. Ses prises de position sont d'un intérêt particulier pour l'Union Européenne et la gestion de la relation transatlantique. En effet, en replaçant l'Irak dans son contexte régional, le président américain rappelle que le Moyen Orient, a fortiori élargi, se situe aux marches de l'Europe du Sud Est et de l'OTAN.
Parallèlement à ce discours, l'Union Européenne traverse, sur le plan interne, une phase de recomposition. D'une part, la présidence allemande du Conseil de l'Union Européenne s'est fixée pour principal objectif de relancer le débat sur l'avenir institutionnel de l'UE, à la suite des référendums français et néerlandais. D'autre part, les frontières européennes viennent de changer avec l'entrée dans l'Union européenne de la Roumanie et de la Bulgarie le 1er janvier 2007. Enfin, les prochaines élections en France et Royaume-Uni auront certainement des effets qui seront ressentis jusqu'à Bruxelles.
Le changement de frontières amène l'Union Européenne à la proximité des conflits gelés (notamment celui de la Transnistrie où sont encore stationnées des troupes russes) qui émaillent ces « nouveaux espaces », que sont pour les Européens, la Mer Noire et le Caucase, aux confins de l'Eurasie. En outre, il invite désormais l'Union Européenne dans le théâtre élargi irakien par l'intermédiaire des bases américaines en Roumanie et en Bulgarie. Le phénomène s'en trouve amplifié par la volonté roumaine de faire de la Mer Noire le nouvel enjeu stratégique de l'OTAN.
La conjonction du discours de George W. Bush avec cette recomposition européenne est l'occasion pour l'Union Européenne de penser à ses intérêts aussi bien transatlantiques que transcontinentaux. Les questions liées au Caucase, aux conflits gelés et aux aléas des différends énergétiques entre la Russie et ses voisins, notamment Bélarus et Ukraine, comme l'actualité des derniers mois l'a montré, concernent désormais directement l'Union Européenne, qui doit donc réfléchir à ses frontières orientales. De même, le « volontarisme » russe au Caucase Sud réaffirme t-il aussi la prégnance de l'intérêt européen pour garantir la stabilité régionale et ce par l'entremise de sa Politique Européenne de Voisinage (PEV).
Côté européen, le rapport de force au sein du Conseil se dessine aujourd'hui en faveur d'un approfondissement des relations entre l'Europe et les Etats-Unis. S'appuyant sur les pays traditionnellement favorable au maintien d'un lien transatlantique fort (Royaume-Uni, Pays-Bas, nouveaux Etats membres), la présidence allemande semble avoir fait des relations avec Washington l'un des axes fort de son action dans le domaine de la politique extérieure avec la volonté de faire de Bruxelles un partenaire crédible jouant pleinement son rôle aux côtés des Etats-Unis. Dans cette perspective, on peut s'attendre à ce que la proposition américaine de « relever ensemble les défis mondiaux » soit entendue favorablement dans la conjoncture actuelle par la majorité des Etats membres de l'Union Européenne.
Il ne faut cependant pas sous-estimer les difficultés du Conseil à parvenir à une position commune sur un sujet sur lequel les différences de vues entre chancelleries européennes restent encore marquées. Si les pays européens ne parvenaient pas à s'entendre sur les contours à donner à un partenariat transatlantique renouvelé, les relations avec Washington se feraient a minima par le biais de contacts bilatéraux ou via des partenariats impliquant plusieurs Etats membres et définis en fonction des affinités politiques tels qu'un axe Washington - Londres - Berlin - Bucarest.
Dès lors, qu'en sera-t-il de la position française ? Focalisés sur les élections à répétition à venir en 2007 et 2008, il est à craindre que les décideurs politiques français ne prêtent qu'une oreille distante à l'évolution de la relation transatlantique dans les mois à venir. Il est même fort probable que ce sujet hautement polémique en France soit soigneusement évité. Or, ceux-ci seront déterminants compte tenu des enjeux de court terme. Au moment où la France prendra la présidence du Conseil de l'Union Européenne, le 1er juillet 2008, l'agenda européen sera lourdement chargé en particulier dans la mesure où des décisions devront être prises en ce qui concerne l'avenir institutionnel de l'Union Européenne (devenir du Traité constitutionnel, même renommé, avec comme date butoir les élections pour un Parlement européen en 2009). Par ailleurs, aux portes de l'Union, une détérioration des facteurs de crises actuelles reste à craindre : prise de contrôle du Liban par le Hezbollah, aggravation du conflit en Irak et franchissement du seuil nucléaire par l'Iran.
L'émergence d'une Europe forte, capable de défendre ses intérêts à ses frontières et de participer efficacement à la sécurité globale - seule condition de la multipolarité si souvent souhaitée - implique de formuler dès aujourd'hui une politique étrangère réaliste, prenant pleinement en compte la singularité géographique d'un continent qui, à la suite des élargissements successifs de l'UE, voit de plus en plus ses frontières se rapprocher de zones hautement instables.
Jérôme BALOGE
Barthélemy COURMONT
Pierre DRAI
Emmanuel DUPUY
Colomban LEBAS
Les auteurs sont tous membres du Groupe de réflexion sur la relation transatlantique.