Nous avions fait un rêve : créer entre les Européens un espace de débat public ; substituer peu à peu la démocratie à la diplomatie. Ce rêve s'appelait Constitution. Par un étrange paradoxe, deux peuples qui ont rejeté le traité constitutionnel, notamment parce qu'ils jugeaient l'Union distante et opaque, ont remis le destin de l'Europe entre les mains des diplomates. Le plan B éventé, c'est le retour à la case départ, au huis clos, au plus petit dénominateur commun des positions nationales. D'intérêt commun européen, il n'est plus guère question. Et voici les gouvernements revenus à leurs anciennes pratiques dont nous avons vu hélas par le passé, trop souvent, les limites. Le mieux que nous puissions espérer du Conseil européen du 21 juin prochain - et la présidence allemande y travaille avec une détermination remarquable c'est un accord a minima.
En France, le nouveau Président de la République est partisan d'un traité réduit. Faut-il faire la fine bouche ? Dans la situation actuelle, un accord à 27 sur les institutions serait déjà inespéré. Aussi n'avons-nous aucune hésitation : pour sortir du marasme, une solution, même modeste, est toujours bonne à prendre. L'essentiel est de retrouver l'élan, de remettre la machine en marche. Voilà plus de dix ans maintenant que les Européens se sont lancés dans la réforme de leurs institutions ! Ce chantier doit prendre fin, au moins provisoirement.
A long terme, l'Europe demeure notre meilleur atout dans la globalisation, notre seule chance de peser sur les affaires du monde. L'essentiel est là. En d'autres termes, nous n'avons pas renoncé à notre rêve. Pour mieux rebondir, nous faisons un détour. Nous parviendrons par d'autres voies à l'Europe politique. Tel fut déjà le choix des signataires du traité de Rome, après l'échec de la Communauté européenne de défense.
Ceci posé, un accord réduit ne doit pas être un texte au rabais où l'essentiel est sacrifié. Le ME- F voudrait poser deux séries de conditions.
D'abord, plusieurs éléments contenus dans le traité constitutionnel qui n'ont guère été contestés pendant les campagnes référendaires en France et aux Pays-Bas, méritent de figurer dans toute nouvelle version :
- pour que l'Europe existe dans le monde : la personnalité juridique de l'Union et un ministre des affaires étrangères (quel que soit son nom), doté d'un son service diplomatique, placé à la charnière de la Commission et du Conseil ;
- pour qu'elle fonde son action sur des valeurs et des principes : la charte des droits fondamentaux ;
- pour sauvegarder le cadre et l'esprit communautaire : de nouvelles règles de prise de décision (double majorité ; extension du champ de la majorité qualifiée) sont nécessaires pour surmonter les blocages ; et une refonte de la Commission pour lui redonner son caractère supranational.
- pour préserver l'avenir, les clauses transversales et les passerelles de passage à la majorité.
Ensuite, nous affirmons avec force qu'une fois ce traité adopté, d'autres étapes doivent suivre.
Nicolas Sarkozy a annoncé que la France serait de retour en Europe Son volontarisme, la rapidité avec laquelle il s'est rendu à Berlin sont des signes encourageants. Mais le débat référendaire a fait apparaître de légitimes questions sur la croissance, l'emploi, le développement durable, l'éducation. L'Union européenne doit continuer à se fonder sur un marché régulé mais l'équilibre entre liberté et régulation doit être ouvertement débattu. A ce jour, la stratégie de Lisbonne, adoptée en 2000 pour favoriser une économie de la connaissance, n'a pas donné des résultats suffisants.
Nicolas Sarkozy a annoncé en septembre 2006 à Bruxelles qu'il songeait à une nouvelle Convention, plus politique encore que la première, censée débattre des points laissés ouverts par le traité réduit. Philippe Herzog dans son projet d'Acte unique que le ME-F soutient, propose aussi une fusée à plusieurs étages, en ouvrant des pistes intéressantes. Ce débat doit avoir lieu. Les déclarations du nouveau président sur les frontières de l'Europe comme sur la nécessité pour celle-ci de « protéger » les Européens, ne manqueront pas non plus d'alimenter une discussion de fond.
Au total, le traité a minima est un condition nécessaire pour sortir de l'impasse où l'Union européenne s'est enfermée. Il n'est absolument pas suffisant. Il ne dessine pas une vision pour demain. La place de la France en Europe et de l'Europe dans le monde dépendront pour une large part de l'aptitude des nouvelles équipes à s'atteler à une réforme en profondeur, fidèle à l'esprit communautaire fait de coopération et d'ouverture.
Sylvie Goulard est présidente du Mouvement Européen France