L'immigration "légale", telle semble être la religion de notre gouvernement. Prêt pour cela à déroger à une loi cadre sur l'utilisation des tests génétiques, à ignorer les avis du comité national d'éthique, à bousculer sa propre majorité. D'autant qu'en s'inscrivant dans la question de la filiation et de la famille, cette pratique vise en fait les migrants du Sud et donc l'égoïsme déjà bien ancré de nos pays du Nord. Voilà qui ne sent pas bon tout en étant profondément inefficace. Mais laissons la "morale" un instant pour aller sur le terrain de l'efficacité. Que constatons-nous et ce depuis des années ? Nous vivons sous le règne du triple "ni" : ni intégration, ni régularisations, ni même expulsions, car de ce point de vue, les chiffres demandés aux préfets ne sont qu'un écran de fumée douloureux pour ceux qui sont pris dans la nasse mais sans impact significatif sur la réduction de l'illégalité. Combinant le tout et son contraire: situations illicites en masse, pénuries et trafics de main d'oeuvre, signaux négatifs envoyés par la France aux populations de l'Est et du Sud, nos politiques deviennent schizophrènes. Leur faillite, désormais durable, entretient alors des pratiques managériales douteuses - dans la restauration, le BTP, l'agriculture, le nettoyage, etc..- suscitant parfois des réactions syndicales courageuses. Il va pourtant falloir aller plus loin : et passer, en matière d'immigration, d'un "non, mais" à un "oui, si"
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Chez beaucoup, le lien entre immigration et travail clandestin est souvent automatique. Or les statistiques de répression montrent qu'il en va bien différemment : tous secteurs confondus, le travail clandestin est l'oeuvre pour près de 40% de Français et de personnes en situation régulière. Et cela vaut pour tous les pays européens. La Pologne ne fait pas exception et le dossier sur les situations d'auto-emploi là-bas le démontre, ô combien.
Que faire face à ce phénomène ? Réprimer ? Encadrer ? Régulariser ? La Pologne comme d'autres hésite. Quant à l'Union, on verra avec intérêt qu'elle est arrivée à une définition commune a minima tant les objectifs comme les réalités sont divers. Il est clair que nombre de situations y sont abusives, clair aussi que le salariat est loin d'être systématiquement attirant, clair enfin que la protection sociale a tendance à devenir chère pour des prestations parfois minimales : en la matière les contradictions à l'Est de l'Union sont énormes, mais les échecs chez nous des réformes successives de la sécurité sociale ne nous mettent plus à l'abri de ce genre de développement.
Les solidarités sont à réinventer en fonction des risques, des groupes vulnérables, des revenus de toutes sortes et des nouvelles mobilités du capital et du travail.
En la matière l'Europe s'est montrée jusqu'alors très frileuse : s'il est censé y avoir coordination des régimes de protection sociale, il n'y a rien en la matière aucun mécanisme de solidarité transnational. A l'évidence il y a là un chantier à ouvrir pour une Europe à dimension sociale et il reste à parier que nombre de pays à l'Est, aujourd'hui très frileux à l'égard de cette dimension aux relents "socialistes", regarderaient alors l'Europe d'un autre il et avec autre intérêt.
Ce nouveau champ du social, qui combine travail, emploi et société, est celui dans lequel nous nous débattons et nous ébattons. Il vaut pour l'Europe comme pour la France. Il nous oblige à inventer, refonder, réformer et construire. D'où le pari que font ensemble l'Université Européenne du Travail et Développement et Emploi qui ont décidé de fusionner pour lancer ASTREES et de nouveaux chantiers. Innovation, expérimentation, capitalisation et ambition sont les mots clés de la nouvelle Association, Travail, Emploi, Europe et Société qui n'exclue pas, loin de là, de s'ouvrir à d'autres : face à la fragmentation de nombre d'initiatives sociales, nous avons décidé de jouer collectif.
Claude Emmanuel Triomphe
Délégué général de l'Université Européenne du Travail
Extrait de La lettre "Metis, correspondances européennes du travail" n°12
http://metiseurope.eu
Claude Emmanuel Triomphe est délégué général de l'Université Européenne du Travail
http://www.uet.org/