Près d'un an de correspondances européennes du travail ne laisse pas indemne de bien des idées reçues hexagonales, mais pas seulement... La mutation de société que nous livre la mutation du travail partout en Europe bouscule les capacités de nos cultures respectives à la nommer pour la doter de sens. La propension naturelle à importer des solutions, qui feraient l'économie d'éclaircir un problème spécifique national, pousse la curiosité vers la palette de réponses des voisins. Une recherche de copier-coller dont on découvre vite qu'elle est vaine, enrobées que sont les dites réponses dans la gangue de l'histoire de chacune des cultures.
Ainsi de la "flexicurité danoise", où ce ne sont pas tant les recettes utilisées qui diffèrent des nôtres, que la manière dont législateur, patronat et syndicats s'emparent de ce sujet. Mais comme il n'est pas question d'importer les dits acteurs
Ainsi du rêve des "60h de travail hebdomadaire de Lituanie", versant balte du travailler plus de la campagne électorale française, qui, à l'observation des faits, montre partout en Europe un temps de travail effectif très inférieur à la durée maximale autorisée. Comme quoi le temps, pour être un constituant du travail, n'en est qu'une composante qui n'épuise nulle part le sujet du travail comme celui du chômage.
"Contre les discriminations raciales au travail", les Britanniques s'appuient sur l'appartenance ethnique des bénéficiaires des allocations de chômage pour la révéler comme telle. On casserait en France un tel thermomètre qui ferait scandale pour mesurer la même discrimination (ici qu'outre Manche). Mais quels que soient les thermomètres, c'est toujours d'une même discrimination européenne ethnique au travail dont il s'agit, et ceci dans les pays les mieux lotis de l'Ouest et du Nord comme dans ceux de l'Est et du Sud.
A l'Est "le Far-West à la roumaine" nous informe d'une autre nature de discrimination, celle d'un terrible manque d'offres d'emploi, couplé aux pratiques liberticides des nouveaux investisseurs, dans un Etat de droit encore évanescent, avec des syndicats encore décrédibilisés de ce qu'ils ont été sous le communisme. Et que dire au Sud des ex pays latins d'émigration, devenus pays d'immigration, confrontés à des questions identitaires, mais privés d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale pour afficher le faux semblant de régler le problème ?
Versant "Senior", au même âge, on est moins discriminé au travail dans les pays scandinaves qu'ailleurs. Là bas, offre est faite d'une utilité sociale et citoyenne où le travail est adapté au senior plutôt que l'inverse. Un travail auquel devra vite se mettre l'Allemagne qui vient de porter l'âge de la retraite à 67 ans. Mais là, comme partout en Europe, c'est la même question en amont de la diversité des réponses, celle de la reconnaissance de la dignité de l'ancien dans la société, dans ce qu'elle sauvegarde de transmission et de lien intergénérationnel.
Notre syndicalisme n'est pas malade que d'être français
Reste maintenant l'essentiel, en l'occurrence comment faire pour que ces questions puissent être nommées au sein du monde du travail, et que les contrepouvoirs syndicaux sachent en redevenir porteurs. Cet essentiel agite nos analyses depuis une génération déjà. C'est du constat de cette vulnérabilité syndicale française qu'est né Metis, afin de faire venir d'ailleurs, les questions dont notre syndicalisme fait par trop l'économie, pour lui même comme pour la société. Notre syndicalisme n'est en effet pas malade que d'être français. Il souffre de la même maladie que ses collègues européens scandinaves, anglo-saxons, latins ou orientaux et plus généralement mondiaux. En témoigne l'état de "suspension turbulente de la CES " à son congrès de Séville. Une maladie grave s'il en est, celle de ne plus réussir à imposer à un marché guidé par un libéralisme délirant, ce qui ne peut être valorisé financièrement. Une maladie d'absence de contrepouvoir, que l'essentiel de ce qui n'a pas de prix, en l'occurrence la démocratie, pourrait possiblement s'y perdre. Une réelle inquiétude qui pourrait presque faire regretter la bonne vieille lutte des classes qui se jouait après la Libération de ce côté ci du rideau de fer.
Cette histoire de class action issue de l'antre même du capitalisme
Peut être est-ce même ce qui nous vaut d'avoir sélectionné l'article "le retour de la lutte des class", quand bien même ne s'agit-il que de "class-action", ceci pour en faire cadeau à nos lecteurs syndicaux en mal d'exercice de contre pouvoir face au marché. Il se pourrait en effet, pourront fantasmer certains, qu'avec cette histoire de class-action issue de l'antre même du capitalisme triomphant, celui-ci soit en train de jouer à faire plaisir à Marx, en creusant sa propre tombe. Nous opterions plutôt (à Metis) en faveur de ce qui en démocratie - et les USA en sont une- , fait que l'on peut légitimement interroger n'importe quel postulat, dès lors que ce dernier met en cause la liberté. Il n'est pas dénué d'intérêt de voir le consommateur, par excellence consubstantiel au marché, revendiquer un statut de sujet et pas seulement d'objet, en s'organisant et s'érigeant en contrepouvoir, dans une relation jusqu'alors déséquilibrée entre fournisseurs de biens ou services et individus consommateurs atomisés. Après tout, un consommateur n'est rien d'autre que simultanément un citoyen, un travailleur et possiblement un syndicaliste d'entreprise. Il peut être fournisseur de nuisances sociétales par le biais de ce qu'il fabrique et donne à consommer aux autres comme à lui même. Difficile dès lors de ne pas se demander si, pour être syndicaliste à part entière, il ne faudrait pas investir tous les espaces plutôt que se limiter à l'entreprise.
Henri Vacquin est directeur de publication de "Metis, correspondances européennes du travail"
http://metiseurope.eu