Le nouveau traité de Lisbonne adopté le 19 octobre est le "plan B" qu'on attendait pour sortir d'une crise européenne qui s'éternisait depuis plus de deux ans. Il préserve l'essentiel des réformes institutionnelles du traité constitutionnel avorté, sur lesquelles les "nonistes" n'avaient d'ailleurs guère centré leurs critiques. L'Union va être dotée d'un président stable, d'un haut représentant pour la politique étrangère, d'une personnalité juridique propre, et d'une Commission resserrée d'ici 2014. La règle habituelle de décision sera pleinement majoritaire, avec un double seuil prenant en compte les populations comme les Etats, même s'il faudra attendre au mieux 2014 et plus probablement 2017 pour sa mise en oeuvre effective. Les pouvoirs du Parlement européen seront parallèlement renforcés.
Mais si la crise institutionnelle est ainsi surmontée, la crise de confiance des citoyens européens révélée en 2005, au sein même de deux pays fondateurs, par le vote négatif des électeurs français et néerlandais est loin d'être réglée. Elle risque au contraire de perdurer, voire de s'aggraver, pour plusieurs raisons.
D'abord, le nouveau traité n'est en rien un traité "simplifié". Seule sa ratification à 27 pourra l'être, dans la mesure où on a revisité tous les pièges d'un tel parcours d'obstacles, en abaissant ces derniers de plusieurs crans. Par contre le nouveau traité ne manquera pas de rajouter une couche épaisse au manque de transparence de l'Union, tant dénoncé dans le débat référendaire : à l'inverse du traité constitutionnel, il s'ajoute en effet aux traités préexistants sans aucun nettoyage ni synthèse, tout en introduisant aussi, renégociation oblige, de nouvelles dérogations nationales.
Sur le plan économique et social qui avait focalisé la critique envers une Europe passoire et ultralibérale, le nouveau traité ne modifiera guère la donne. La renonciation à une référence d'en tête du traité sur la concurrence libre et non faussée est un trompe l'il qui ne changera rien heureusement d'ailleurs - aux dispositions fondatrices de notre marché commun. Par contre, la vraie réponse des 27 aux attentes d'une Europe plus organisée et plus protectrice eut été de resserrer leur coopération économique, notamment sur les plans budgétaire et fiscal, de se doter des outils d'une stratégie industrielle et technologique, de mettre en place de véritables services publics européens, notamment sur les plans douanier et sécuritaire, et de consolider un socle commun plus consistant de droits civiques et sociaux.
Les 27 ont non seulement été hors d'état de faire de tels pas en avant sur le terrain économique et social, mais ils en ont même fait plusieurs en arrière. Ainsi, le Royaume Uni et la Pologne se voient exonérées d'appliquer la charte des droits fondamentaux. Quant aux symboles communs de l'Union, tels le drapeau, l'hymne ou la devise, ils passent aux oubliettes. Curieuse façon de répondre au malaise du ressenti européen, si palpable lors du débat référendaire ! Un malaise sur lequel on préfère d'ailleurs ne plus s'appesantir, puisque les électeurs qui avaient voté non ne seront plus requis pour la nouvelle ratification.
Malgré ses limites, ses ambiguïtés et ses incohérences, le traité de Lisbonne, qui sera officiellement signé le 13 décembre pour entrer en vigueur en janvier 2009, conserve un mérite primordial qui fait toute sa valeur : remettre en marche le lourd attelage des 27, en le rendant moins inconduisible. Il est d'ailleurs clair que c'est en avançant, et non en multipliant les pauses, qu'on pourra remédier à ses insuffisances. Mais pourra t-on durablement avancer si on ne tire pas aussi toutes les leçons du sévère avertissement de 2005 ?
C'est pourquoi il manque encore à ce "plan B", adopté par les Etats pour remettre l'Europe en marche, un "plan C" associant les citoyens, afin de donner à cette Europe les jambes et le souffle qui lui permettront d'aller plus vite, d'aller plus loin et d'éviter la rechute. Ceci impliquerait un véritable programme pluriannuel pour obtenir des réalisations concrètes, parfois attendues en vain depuis cinquante ans.
Ainsi qu'attend-on pour reconnaître une existence moins virtuelle aux citoyens européens, notamment en offrant un statut européen à leurs associations ? Qu'attend-on pour reconnaître l'existence d'euro-entrepreneurs, notamment en permettant aux entreprises de toutes tailles d'opter pour un statut européen ? Qu'attend-on assurer que l'Europe ne se réduise pas à un grand marché sans toit ni portes, notamment en mettant en place des services publics européens ? Qu'attend-on pour simplifier la réglementation en Europe, notamment en associant les représentants des usagers en amont des projets de directives ? Qu'attend-on pour impliquer directement les acteurs socioprofessionnels dans la construction de l'Europe, notamment en encourageant les autorégulations et les corégulations, non seulement dans le domaine social mais aussi pour les reconnaissances professionnelles, les prestations de services, les droits des consommateurs, la protection de l'environnement ?
Le traité de Lisbonne permet aux 27 sortir de l'ornière. Mais les citoyens européens et leurs associations sont désormais fondés à revendiquer que les Etats et les institutions de l'Union complètent ce traité par un code de conduite qui les engage à développer, avec eux, un tel "plan C" pour déblayer durablement la route.
Bruno Vever est consultant en affaires européennes et secrétaire général d'Europe et Entreprises.
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