Xavier Grosclaude, le 11 juin 2018
Avec l’Italie, après la Pologne, l’Autriche, la Hongrie voire bientôt la Slovénie, nous assistons à une montée en puissance, y compris en Allemagne avec l’AFD ( Alternative für Deutschland), de formations politiques dont le discours repose tout entier sur le mythe de la « xénophobie heureuse ».
La dynamique politique de ces formations ochlocratiques est identique à celle qui a porté Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique. Elle repose sur un paradigme d’une totale intelligibilité pour les électeurs, un paradigme qui peut se résumer ainsi « le responsable de tous les maux du pays, c’est l’autre » sans vraiment savoir quel est le contenu précis de la définition.
Dans le cas américain, l’« autre », c’est clairement le Mexicain mais dans le cas italien, le franc-maçon vient enrichir la définition. Se faisant, la « xénophobie heureuse » est toujours doublée d’un rejet de l’altérité qui permet de donner un visage à l’« autre » sans s’en tenir à la stricte ethnicité du sujet . Selon les pays, il peut s’agir de l’homosexuel, du franc-maçon, du drogué, du chômeur, de l’handicapé, du banquier, de l’assisté…
En soi, ce mécanisme du bouc émissaire est bien connu, il mène toujours à des lendemains qui déchantent et à la belle vie pour les aventuriers de la « xénophobie heureuse » (« belle vie » qui est toujours reprochée à l’« autre » …) .
Au Royaume-Uni, Nigel Farage, ancien leader du UKIP favorable au retrait du Royaume-Uni de l’ Union européenne, avait axé toute sa campagne sur le thème de la « xénophobie heureuse » à l’encontre des ressortissants européens d’Europe centrale. Il a démissionné dès la publication des résultats du referendum de son poste de Président du UKIP pour poursuivre tranquillement sa petite vie de parlementaire européen sachant qu’il n’a jamais été capable de se faire élire dans son propre pays !
Quant à son ami, Nigel Lawson, ancien Ministre de Margaret Thatcher et fervent « Brexiter » de la première heure, il vient de déposer une demande de carte de séjour auprès des autorités françaises pour s’établir dans le Gers ! Je passe sur les dépenses somptuaires (plus de 400 .000 €) des députés européens du Front National qui « au nom du peuple » brillent plus par leur absence du Parlement que par leur connaissance technique des dossiers …
L’Histoire politique regorge d’impostures démocratiques de ce genre mais peut-on au regard du contexte mondial s’en satisfaire et s’offrir le luxe de compter les points ? la réponse est évidemment non. La « xénophobie heureuse » doit être combattu pour ce qu’elle est, une imposture politique mais elle doit aussi inciter l’Union européenne a plus de lucidité et d’efficacité.
La lucidité consiste à reconnaitre qu’avoir laissé l’Italie et la Grèce se débrouiller seuls face à des mouvements de populations prévisibles de longue date ne fut pas responsable, pas plus que l’attitude de l’Allemagne consistant à aller négocier seule à Ankara en refusant tout contrôle renforcé aux frontières. La lucidité invite aussi les dirigeants européens à ne pas sous-estimer les tensions culturelles créées au sein de l’Union européenne par l’arrivée de populations souvent étrangères à la philosophie de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Combattre la démagogie est un devoir mais pas uniquement avec des mots et des jugements moraux. Il faut envoyer des signaux clairs à l’opinion publique européenne pour ne pas laisser le champ libre à des discours identitaires qui nourrissent tous les extrémismes qu’il soient politiques ou religieux.
Aujourd’hui, force est de constater qu’il existe au sein de l’Union des hommes et des femmes qui ont le sentiment, à tort ou à raison, de ne plus maitriser leur existence et de devoir composer au quotidien avec un environnent sociétal dégradé dans lequel ils ne se reconnaissent plus, un environnement qui leur renvoie l’image d’un déclassement social pour une chute sans parachute !
Le rôle des dirigeants européens est d’entendre cette angoisse et de la gérer de manière proactive (et non pas simplement de façon réactive) dans le respect de ses valeurs. Proactive car l’Union européenne, pour des raisons internes liées à sa nécessaire évolution mais aussi externes, avec la multiplication des tensions internationales, va entrer dans une zone de fortes turbulences.
Une bonne gestion des risques impose à l’Union européenne de devoir intégrer non pas une seule « onde de choc » mais plusieurs simultanément et de nature différente (migratoire, politique, monétaire, commerciale …). Au titre de l’onde de choc migratoire, qui peut raisonnablement nier que la simple menace d’un retour de la guerre civile dans un pays comme l’Algérie (dont 70 % de la population a moins de 30 ans) ne créerait pas un mouvement d’exode en direction des frontières méridionales de l’Union.
L’Union européenne qui est plus que jamais nécessaire dans un monde instable, imprévisible et incertain doit donner de la visibilité à ses citoyens en gérant de manière plus efficace ses frontières extérieures via l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Elle doit aussi accélérer la convergence vers des normes juridiques minimales communes en matière d’asile tout en valorisant la carte bleue pour les emplois hautement qualifiés.
Pour des raisons de cohésion interne mais aussi de répression du crime organisé, une lutte sans failles doit être menée contre les filières d’immigration illégale. Par ailleurs, la politique de codéveloppement de l’Union à l’égard des pays d’Afrique subsaharienne doit être intensifiée pour structurer des activités non soumises à la concurrence internationale mais pourvoyeuses d’emplois au niveau local.
Aujourd’hui, l’Union européenne, cible de nombreuses tentatives de déstabilisation (cyberattaques ciblées contre des sites stratégiques, désinformation massive dans les médias russes, intimidation commerciale américaine …) n’a pas d’autres choix que de monter au créneau pour rassurer les sociétés européennes. Pour se faire, elle doit impérativement agir comme un Etat sans en être un… Son action doit favoriser in fine la mobilité à l’intérieur de l’Union tout en pilotant au plus près la gestion de ses frontières extérieures sachant que 80% des mouvements migratoires est concentré sur cinq pays (Allemagne, Espagne, France, Grèce, Italie) et non 27…
Xavier Grosclaude est Délégué Général de Fenêtre sur l’Europe
(Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. )