Xavier Grosclaude, le 1er Février 2021

La présidence de l'Union européenne est un exercice imposé pour tous les Etats membres. C'est aussi un exercice encadré, d'une durée trés courte, six mois, trop courte pour prétendre révolutionner l'existant mais suffisant pour acter ou impulser. En prenant la présidence de l’Union du 1er janvier au 30 juin 2022, la France aura la possibilité de cultiver de nouvelles ambitions pour l'Union.

Au regard des mutations en cours dans le Monde, le vrai sujet pour l'Union européenne n’est pas de devenir une "puissance", statut réservé aux Etats influents du siècle dernier…, mais un "acteur planétaire" du nouveau millénaire, un acteur capable d’apprivoiser le futur pour le partager sur la base de ses idéaux.

Parmi les priorités du moment, quatre d’entre elles méritent une attention particulière au titre de la présidence française.

Sécuriser la démocratie européenne sur une base cognitive. 

Dans un monde de plus en plus complexe, l'ignorance est un danger beaucoup trop toxique pour être ignoré ou minoré par l’Union européenne. Le combat contre l’ignorance doit être un combat permanent et sans faille car elle peut très facilement nous faire échouer collectivement.

Au titre des approches défensives, la création d'une agence européenne de prévention des risques immatériels serait opportune. Elle permettrait de coordonner la lutter contre la désinformation sous toutes ses formes et de combattre le cyberterrorisme quelle que soit son origine. Les Codes de bonne conduite, les Observatoires, les Réglementations… sont nécessaires mais la réponse aux menaces immatérielles nécessite avant tout une stratégie européenne globale et une déclinaison opérationnelle coordonnée avec les actions menées par chacun des états membres.

Sur le plan offensif, en complément de l’initiative prise récemment par l'Union Européenne de Radio-Télévision, l’Union européenne doit reprendre la main sur sa communication dans les vingt-sept langues de l’Union. A l'heure du digital, le défi n’est ni technique, ni éditorial. Il réside tout entier dans le design de l’information et son packacking. Dans un monde d’influence, la guerre de l’information s’inscrit aussi dans une guerre psychologique, laisser l’information européenne à des plateformes numériques (GAFAM & BATX) qui l’ignorent volontairement ou à des chaines de désinformation continue étrangères qui la déforme à dessein serait une grave erreur, une erreur coupable après le retrait du Royaume-Uni de l’Union…

Parallèlement à la maitrise de sa communication, l’Union européenne gagnerait à mobiliser l’ensemble de ses Universités pour développer au niveau mondial, avec le soutien de mécènes privés, un réseau de chaires universitaires spécialisées dans la connaissance de la culture européenne et des valeurs démocratiques portées par l'Union européenne.

L’environnement international de l’Union européenne est voué à se dégrader. Schématiquement, nous sommes condamnés à composer avec des démocraties nationales pour ne pas dire nationalistes (Inde, Brésil…), des dictatures électorales (Russie, Turquie, Philippines…) et des dictatures intégrales sur une base idéologique (Chine, Corée du Nord…) ou confessionnelle (Arabie Saoudite, Iran…). Si nous, européens, nous ne défendons pas la démocratie libérale et ses valeurs, est-il raisonnable de penser que d'autres le feront pour nous ? L’enjeu est de taille car le rôle historique de l’Union européenne est de prendre le leadership du monde occidental en valorisant ses propres valeurs, pas d’être le porte-parole de pays tiers.

Défendre l'intéret général européen d’une manière globale.

Méthode Monnet oblige, l'Union européenne s'est toujours développée à la faveur de projets concrets d'intérêt général. Durant sa présidence, la France peut aider l'Union européenne à progresser dans trois domaines trés differents mais essentiels à son développement.

Tout d’abord, dans le domaine de la santé, outre la mise en place d'un office européen de virologie chargé de coordonner la veille sur les menaces virales en Europe, la création d'un carnet de santé européen hébergé sur un cloud européen souverain serait une initiative positive. Elle prolongerait de manière utile les efforts de coopération déployés entre les pays de l'Union à la faveur de la pandémie tout en faisant naître une conscience européenne en matiere de santé publique.

Par ailleurs, loin d'appartenir au passé, le transport maritime représente aujourd'hui plus de 80 % des échanges mondiaux de marchandises. Aussi, sauf à vouloir écrire l'histoire à l'envers, la valorisation du transport fluvial multimodal comme outil de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne peut être absente des priorités de l'Union. La définition pour les ports et voies naviguables de l'Union européenne d'un modèle de développment économiquement viable et écologiquement soutenable s'inscrirait de manière positive dans la trajectoire définie par les Accords de Paris. 

Enfin, l'Union européenne ne peut pas rester plus longtemps désarmée face aux pratiques extraterritoriales du Gouvernement américain. Ces pratiques destinées à défendre exclusivement et abusivement les intérets des seuls Etats-Unis d'Amérique au nom de sa sécurité nationale ou à distordre la concurrence internationale aux motifs de corruption ne sont pas acceptables, pas plus que les pratiques commerciales restrictives de concurrence développées par la Chine en matière de coopération bilatérale.

Outre la mise en œuvre de mesures techniques, comme le perfectionnement de l’INSTEX ou l'intensification du recours à l'euro comme monnaie internationale, la Commission européenne, garante de l'intéret général européen, se doit de dénoncer ces pratiques sur le plan politique mais aussi de recourir aux instances arbitrales de l’Organisation Mondiale du Commerce pour les faire condamner juridiquement.

Devenir un acteur planétaire dans un monde réticulaire.

Quel que soit le locataire de la Maison Blanche ou le Président du Parti Communistes Chinois, l'Union européenne est condamnée à vivre dans un Monde de plus en plus incertain, un Monde dominé par des rapports de force de plus en plus rugueux . Aussi, si elle veut rester dans la course, l'Union européenne va devoir ajuster son organisation et raccourcir ses circuits de décisions pour coller à la temporalité du nouveau millénaire en résumé faire mieux, plus vite, plus fort.

Victime collatérale de la fragmentation du monde, le multilatéralisme dans sa version actuelle sera de moins en moins la règle et de plus en plus l'exception. Certes, le multilatéralisme hérité du XX° siècle va continuer d'exister mais pour un nombre de plus en plus limité de sujets techniques comme, par exemple, la supervision financière. 

Ne nous y trompons pas, le "réticulaire" va progressivement s'imposer comme la norme en matière de relations internationales avec pour chaque pays des appartenances multiples à des réseaux, plus ou moins structurés, en dehors de toute gouvernance mondiale. 

Dans ce contexte inévitablement instable, l'intérêt bien compris de l'Union européenne est d'être d'une totale plasticité non seulement pour absorber les nombreux chocs à venir mais aussi pour maintenir sa cohésion interne. 

Chacun le comprendra aisément, si l'Union européenne se doit d'être présente partout dans le Monde (y compris dans l’Arctique…) pour la défense de ses intérêts, elle se doit aussi de gagner en efficacité et en proactivité. La règle du "first arrived, first served" sera demain la règle cardinale dans de nombreux domaines y compris le domaine spatial avec l’arrivée de nouveaux entrants.

Dans cette perspective, l'augmentation des ressources propres de l'Union européenne est un passage obligé. Toutefois, pour avoir du sens sur le plan politique et servir le developpment de l'Union, cette augmentation doit nécessairement s'accompagner d'une réorganisation de la Commission européenne sur la base d'un exécutif resserré, d'une simplification des circuits de décision et d'une revue stratégique concernant le dimensionnement et le positionnement des agences européennes 

Enfin, cette augmentation doit aussi s'accompagner de la négociation d'un plan de rupture conventionnelle pour tous les fonctionnaires de nationalité britannique. Sur ce dernier point, le sujet n'est pas d'ouvrir une "chasse aux sorcières" à l'encontre de sujets de sa Gracieuse Majesté ayant fait un choix professionnel éclairé en décidant de travailler à Bruxelles mais de tirer toutes les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union, retrait qui ne prévoit aucun recrutement de fonctionnaires francais, espagnols, lituaniens, suédois ….dans la fonction publique anglaise ! 

Doter l'Union européenne d'outils d'intervention capables de donner corps à ses ambitions politiques. 

L'Union européenne est beaucoup plus qu'une organisation internationale mais moins qu'un Etat. Toutefois, cette singularité ne lui interdit pas de disposer d'outils dédiés pour agir conformément à ses intérêts. 

Sur le plan militaire, l'Union européenne ne pourra jamais disposer d'une armée conventionnelle comme un Etat souverain. En revanche, l’existence d’une Force Spéciale Européenne placée sous commandement européen, en dehors de l'OTAN, permettrait à l'Union européenne de changer de dimension.

Cette Force n’aurait pas pour vocation de se substituer aux armées nationales des pays membres dont la modernisation doit rester une priorité mais simplement de doter l’Union européenne d’une capacité de projection mobilisable dans des cas très précis négociés au préalable entre l’Union européenne et les Etats membres.

Par ailleurs, au regard des besoins de financement de l'Union européennes pour rester dans la course mondiale, notamment dans les domaines des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’informatique, des sciences cognitives et des technologies quantiques mais aussi pour stabiliser le développement de pays en situation critique, la fusion de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et de la Banque Européenne de Reconstruction et de Développement (BERD) permettrait à l’Union de disposer d’un instrument financier unique au service du présent et du futur. Cette nouvelle banque dénommée la Banque Européenne d'Investissement et de Developement (BEID) ferait office de guichet unique pour les Etats et les entreprises. 

Enfin, l’accélération de l’Histoire s’accompagne toujours d’une intensification des mouvements migratoires. L’Union européenne n’échappera pas à cette réalité. Pour la gérer de manière satisfaisante sur le plan humain et pérenne dans la durée, une réflexion mériterait d’être ouverte, avec les pays du pourtour méditerranéen, pour instituer une juridiction transnationale compétente pour juger sur la base d’un droit commun les activités illégales liées aux filières d’immigration clandestines et aux réseaux de passeurs. L’existence d’une telle juridiction serait un complément utile au renforcement actuel des effectifs de Frontex aux frontières extérieures de l’Union.

 

Xavier Grosclaude est Président de Fenêtre sur l’Europe
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