par Édouard Pflimlin, le 16 mars 2022
Avec la guerre en Ukraine, l'Europe de la défense ou défense européenne semble enfin progresser. Comme le résume bien Les Echos du 15 mars 2022 : La « boussole stratégique » de l’Union européenne était quasiment prête avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Les ambassades l’ont repris en urgence après le 24 février pour mettre au point une quatrième version de ce qui est en vérité un « Livre blanc de la défense européenne ».
La « boussole stratégique » se décline en quatre chapitres : agir, sécuriser, investir et coopérer. Pour agir, le document souhaite doter l’Europe d’une capacité de mener des opérations de façon bien plus agile. Cela suppose de mettre sur pied une force de déploiement rapide de 5.000 hommes mobilisables en cas de crise, mais aussi de doter l’Europe d’une capacité de commandement et de conduite des opérations militaires. Ce que refusaient jusqu’à présent une majorité de pays, notamment les pays de l’Est. Le projet évoque donc la possibilité de lancer une opération sur la base de l’article 44 du Traité européen, qui permet à un groupe d’États membres volontaires de mettre en œuvre une mission de l’Union européenne.
La « boussole » mentionne aussi un certain nombre de domaines essentiels: partager davantage de renseignements; renforcer la politique commune de cyber-défense; se doter d’une stratégie européenne de défense spatiale; patrouiller ensemble de manière préventive.
Tout l’enjeu n’est pas seulement d’investir plus mais mieux. Ce qui suppose de coordonner davantage les investissements militaires des Vingt-Sept pour éviter les doublons, les gaspillages et, si possible, une totale dépendance à l’industrie américaine de l’armement.
Les outils de coordination nécessaires existent déjà via l’Agence européenne de défense créée en 2004 !
Nous avions déjà abordé, comme tant d'autres observateurs plus expérimentés, cet aspect dans une note sur défense européenne (2006) (Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ?)
S'il y a eu des progrès beaucoup, beaucoup, reste à faire. Surtout si l'on veut que la défense européenne prenne une vraie dimension il faut aller beaucoup plus loin. Plusieurs leaders européens avaient ainsi déjà évoqué la nécessité d'une armée européenne au moment où la guerre en ex-Yougoslavie, à la fin des années 1990, faisait rage aux portes de l'UE.
[L'UE] doit avoir la capacité de mener des actions autonomes, soutenues par des forces militaires crédibles, peut-on lire dans un communiqué commun, datant de 1998, du président français Jacques Chirac et du Premier ministre britannique Tony Blair. Une citation que pourrait très bien reprendre aujourd'hui mot pour mot Emmanuel Macron.
REVENIR A l'OBJECTIF D'UNE FORCE DE 50 000 HOMMES
En réponse à l'appel franco-britannique, l'UE décide en 1999 de créer un contingent de 50 000 à 60 000 soldats pouvant être déployés en soixante jours.
Loin des objectifs annoncés, ce projet aboutit en 2007, avec la mise sur pied de deux "groupements tactiques" de 1 500 hommes chacun issus de l'ensemble des pays membres. Par manque de volonté politique, ce projet végète.
Créer une force de 5 000 hommes c'est insuffisant surtout face à des menaces comme celle de la Russie. Il faut donc en revenir à cet objectif d'une force de 50 000 à 60 000 hommes à même de peser en pouvant se déployer rapidement et massivement. Son rôle devra être clarifié y compris pour les crises aux frontières de l'Union, Ukraine incluse évidemment.
Convaincre tous nos partenaires européens ne sera pas possible en la matière.
EUROPE A GEOMETRIE VARIABLE, AVEC LES BRITANNIQUES ?
Il faut donc en revenir, en matière de défense, au concept d'Europe à géométrie variable et s'appuyer sur quelques Etats.
On peut penser aux Etats fondateurs : Italie, Benelux, Allemagne. Mais reste à sonder cette dernière. Certes, elle veut accroître massivement son effort de défense mais est-elle prête à entrer dans le grand jeu ?
A défaut et de façon complémentaire, il faut s'appuyer sur le Royaume-Uni qui, s'il a quitté l'UE, est lié à la France par des accords de défense de Lancaster House de 2010 et est dans l'OTAN. C'est aussi le seul Etat à investir massivement dans sa défense.
Certes l'affaire des sous-marins australiens a porté un coup dur à la coopération franco-britannique. Le pacte de sécurité indo-pacifique interroge sur l'avenir du traité de Lancaster House.
La participation du Royaume-Uni est pourtant essentielle pour l'autonomie stratégique européenne, selon les experts. "Effectuer des missions comme celles menées par l'Otan et assurer la défense du continent européen seraient probablement impossibles sans le Royaume-Uni", estime Shashank Joshi, spécialiste des questions de défense à l'hebdomadaire The Economist cité par France 24 (Le débat sur une armée européenne resurgit après le retrait d’Afghanistan).
Il me semble que l'Europe de la défense n'a pas le choix que de s'appuyer sur un petit nombre de pays, y compris le Royaume-Uni, en attendant la montée en puissance de l'Allemagne qui est toujours complexe compte tenu de son histoire et de son orientation diplomatique.
Edouard Pflimlin est Journaliste et chercheur en relations internationales, associé à l'IRIS.