L'assombrissement de l'horizon européen des dernières années, du fait, notamment, d'une tranche événementielle (intra-européenne, intereuropéenne et, plus largement, internationale) de crises socio-économiques, fortement déstabilisatrices, conduit souvent divers segments des dirigeants et des populations du Vieux Continent à pointer du doigt l'Union européenne et ses insuffisances systémiques (institutionnelles et de politiques), en lui imputant ainsi la responsabilité première dans l'absence de réponses rapides, équitables, efficaces et durables. S'agissant, plus particulièrement, de la zone euro et de ses ondes post-sismiques actuelles, à l'occasion, notamment, du dossier grec et de demandes franco-italiennes pour davantage de mesures européennes de croissance, on distingue, dans la confusion de l'«argument controversé», deux tendances majeures de positionnement, qui s'empressent de camper dans des critiques et propositions prescriptives à destination de la zone : les pro-européens, réclament des réformes de rationalisation et de démocratisation institutionnelle-décisionnelle de l'UE, ainsi que de nouvelles politiques européennes, entre autres, dans le domaine socio-économique, fiscal, financier, bancaire, pour «plus d'Europe»; en revanche, les eurosceptiques et, surtout, les europhobes, avançant des considérations d'intérêt national, souvent mal cerné et démontré, se servent de l'Union comme «bouc émissaire» pour dissimuler leurs propres carences nationales et favoriser une mouvance de replis souverainistes dans le périmètre protectionniste de l'État-nation et des égoïsmes nationaux, sans, toutefois (oh! quelle contradiction!), rejeter, parallèlement, les aides européennes, acceptées sur la base d'une curieuse logique de solidarité à sens unique. Cela dit, jusqu'à l'heure, on semble accorder peu d'attention au préalable de toute démarche judicieuse de prises de position, soit le diagnostic précis des causes et des responsabilités de cette incapacité institutionnelle-décisionnelle et d'orientation de l'Union, en général, de la zone euro, en particulier, démarche que nous entreprendrons sommairement tout au long de cette réflexion. Quant à l'Union, soumise à la fois aux crises et aux tiraillements de ses composantes et de ses membres, elle continue, comme un Sisyphe moderne, à repousser sans cesse le rocher de l'intégration vers le sommet, pendant que les contradictions et irrationalités des intérêts nationaux le lui renvoient, par erreur ou à dessein.
1° Carences et cacophonies sur fond de crise temporairement «endiguée»
La crise dans la zone euro et, en particulier, dans les pays dits du «Sud européen», est toujours structurellement présente, malgré les remèdes administrés par le couple UE-FMI, qui ont permis un «sauvetage» de l'Irlande et du Portugal, mais sans, à notre avis, résultats structurels de profondeur de compétitivité, et qui se heurtent, par ailleurs, toujours, au refus du patient grec de les «absorber», surtout depuis la toute récente installation d'une nouvelle majorité gouvernementale au pays. Et pourtant, l'Union européenne, quoique toujours critiquée d'obsession de rigueur macro-économique, par des États en mal de réforme, a, dans les limites de son intergouvernementalisme, réussi à se doter, progressivement, d'instruments d'interventions de financement et d'accompagnement crédibles : obligée de réagir, d'abord, «à chaud» et avec les moyens du bord, elle a trouvé le temps de se retourner et de créer un schéma consolidé d'intervention, avec l'établissement du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du Mécanisme européen de stabilité (MES), le «resserrement» du Pacte de stabilité et de croissance, l'adoption du Pacte budgétaire européen, le lancement d'un premier schéma d'union bancaire par étapes, prévoyant, notamment, un mécanisme de surveillance unique et un mécanisme de résolution unique, le déploiement plus dynamique de la BCE pour soutenir la reprise économique, entre autres, par son tout récent programme étendu d'achats d'actifs.
Pour autant, l'Union, avec sa zone euro, n'a pas réussi à s'épargner les critiques de gouvernements et/ou de segments de population des pays en grave crise économique structurelle et en mal de consensus sociétal pour les nécessaires réformes (en particulier : Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie) : avec les nécessaires variantes, on y revendique, selon le cas et de façon, certes, cacophonique et sélective, tantôt la poursuite de la solidarité européenne de prêts, face à des dettes, si possible, à «restructurer», tantôt l'allègement et/ou la mutualisation des dettes contractées, le tout, éventuellement, combiné à une ad hoc injection de nouvelles ressources financières, dites de relance pour la croissance; on y nourrit, également, l'espoir de ne pas devoir toujours passer sous les «fourches caudines» du strict respect des règles de déficits excessifs (notamment, en cas d'investissements publics nécessaires à la relance de la croissance économique), ni procéder à la mise en uvre «surveillée», systématique et approfondie, de réformes structurelles de l'État, de l'économie, des relations de travail etc., à l'instar du modèle performant des pays dits «vertueux» de l'Union européenne.
2° Que l'État-nation, membre de l'Union européenne, cesse de se déresponsabiliser devant la crise
Ce débat sur la crise et les capacités d'adaptation et de réponse du système de l'Union et de sa zone euro fut grandement obscurci par nombre de positions nationales, qui ont davantage vu, dans le processus de construction européenne, un véhicule de gains, surtout économiques, qu'un cadre de vie sociétale en progression intégrative constante et fondé sur un système de valeurs communes aux effets d'entraînement vers une société européenne garantissant, en coresponsabilité : la paix en Europe et dans le monde, après deux Guerres mondiales meurtrières; la solidarité, à rétroaction cyclique et constante (États membres - Union européenne - États membres); l'harmonie de développement socio-économique; la protection innovante de l'environnement; la justice sociétale; le profil intégré d'une politique étrangère et de sécurité commune, à la défense de l'intérêt de l'Europe dans le monde, toujours dans le respect desdites valeurs communes.
Malheureusement pour le projet des pères fondateurs et les plus de six décennies de réalisations de la construction européenne, l'on observe souvent, et de façon croissante, dans nombre d'États membres de l'Union, à la faveur, notamment, de pressions montantes d'élites et de mouvements politiques eurosceptiques et europhobes, des postures souverainistes, opposées à ce dessein de solidarité intégrative au service d'une meilleure société, pour un meilleur avenir de tous les Européens; la de facto et de jure obsolescence progressive du rôle protecteur de la frontière économique nationale ne semble pas dissuader de telles attitudes. Plus précisément, dans des États caractérisés par un laxisme macro-économique, avec des institutions étatiques en défaillance structurelle et en manque de transparence, plutôt que d'admettre la responsabilité première dans la crise et l'incapacité systémique d'y remédier ou de profiter des interventions de solidarité de l'Union, il n'est pas rare de rencontrer des élites et des mouvements socio-politiques qui n'hésitent nullement à blâmer cette dernière et, en fait, ses États membres «vertueux», de ne pas faire assez pour leur sauvetage; pendant ce temps, leurs gouvernements s'emploient à rechercher, au sein de l'Union, une série de programmes d'interventions financières, souvent coûteuses aux autres membres de la famille européenne, juste le temps de se remettre en selle étatique nationale, après la fin, bien que forcement temporaire, de la tempête, soucieux de reprendre leur liberté d'action le plus tôt possible, débarrassés de toute «surveillance», pourtant normale dans une Union de mise en commun de droits souverains. On condamne ainsi l'Union à des rôles de subsidiarité de secours ponctuel et «à chaud», une Union à l'image d'un «Gulliver empêtré» dans les contradictions et les courtes vues nationales.
In fine, force nous est de relever que ce phénomène de déresponsabilisation frôle souvent la mauvaise foi : on refuse à l'Union les moyens de son succès, puisque, lors des réformes «constitutionnelles» européennes, on aboutit à des changements a minima, avec des préférences de gouvernance économique faible, à prédominance intergouvernementale et aux schémas «paracommunautaires», et, par la suite, on l'accable de son inaction ou inefficacité, sous-produit de cette dérive intergouvernementaliste de politisation, avec les consensus paralysants du dénominateur commun le plus bas. Car, il devient de plus en plus visible et fortement ressenti ce jeu de «double casquette» (nationale et européenne), au consensus bancal, les élites politiques nationales demeurant aux vraies commandes de l'essentiel du schéma institutionnel-décisionnel de l'Union : elles se trouvent solidement installées dans le Conseil européen des chefs d'État ou de gouvernement et dans le Conseil des ministres, tandis que la Commission est, elle aussi, livrée, de façon croissante (politisation progressive de la Commission, initialement souhaitée apolitique, et ceci malgré l'élection de son président dans la foulée et en tenant compte des élections européennes), aux «désignations» des gouvernements nationaux, qui y assignent, sans grand égard à l'esprit et à la lettre des traités constitutifs, des «ressortissants», dont les fonctions et affiliations politiques, souvent toute récentes, les transforment à des de facto «représentants» nationaux (les manifestations de cette relation croissante des commissaires avec le système politique et le gouvernement de leur pays sont nombreuses, éloquentes et, sans cesse, renouvelées).
3° «Croissance ou austérité : un faux débat?»
Placé dans une formule de choix alternatif, ce couplage d'interrogation tend à s'imposer dans le débat revigoré à la faveur de la crise dans la zone euro et de ses retombées macro-économiques. Il tire ses origines d'un faisceau de considérations, souvent contradictoires, dans l'appréhension de la réalité observée et, souvent, dissimule des préférences idéologico-politiques et/ou des conflits d'intérêts dans le positionnement recherché. Sur le plan des considérations d'une appréciation différenciée de la réalité socio-économique des pays en crise concernés, d'importants segments des élites et des populations, notamment dans le Sud européen, s'opposent à ladite austérité ou plutôt (notre préférence conceptuelle) rigueur macro-économique, dont ils contestent la capacité de conduire à la croissance; ils invoquent, également, l'absence de consensus sociétal en la matière et manifestent ou dissimulent la crainte de se heurter aux oppositions des intérêts sectoriels et aux clivages idéologico-politiques, en cas de réformes structurelles. Ce faisant, ils nourrissent, parallèlement, l'espoir, bien corrélé, de pouvoir alléger le déficit et endettement de leur État par un transfert du fardeau sur les épaules des pays «vertueux» et de l'ensemble du dispositif d'intervention de l'Union, ordonné financièrement à l'alimentation de programmes européens d'aide, par des prêts aux coûts bas que les marchés des capitaux ne veulent aucunement assumer; ils prennent, enfin, argument pour cette posture les effets de récession, craints ou déjà présents, à la suite de telles mesures macro-économiques (législation fiscale rigoureuse et de stricte application; politiques d'équilibre budgétaire; mécanismes de remboursement des prêts et de réduction de la dette). Aussi, au niveau idéologico-politique, lesdits segments d'élites s'alignent-ils sur une préférence de stimulation de l'économie par la voie des dépenses publiques et de l'endettement, plutôt que par celle des privatisations et de l'attraction d'investissements étrangers; simultanément, se refusent-ils à reconnaître les carences structurelles-fonctionnelle de l'État, ses dérapages sociétaux et ses responsabilités dans la création d'une austérité asymétrique, celle qui découle de leur approche de substitution aux vraies réformes structurelles de l'économie et de l'appareil étatique un train de mesures de coupures aveugles de revenus (salaires, retraites), dites mesures «équivalentes», au risque aussi de «contaminer» l'économie de l'ensemble de l'Union européenne. Le cas grec, tel qu'il apparaît à travers l'évolution socio-politique du pays ces dernières années, illustre très bien, croyons-nous, cette approche dans le débat «croissance ou austérité», d'autres pays de l'Union (notamment, Chypre, France, Italie) rentrant, partiellement, dans cette grille défensive d'analyse, dans un effort de créer, en la matière, un «front du Sud» au sein de l'Union. Et pourtant, s'il optait pour le scénario d'assainissement (macro-économique)-développement, ce Sud européen favoriserait l'établissement progressif de la symétrie économique de partenaires dans l'Union, lui épargnerait des transfusions coûteuses de moyens financiers et ferait ainsi sa juste part dans le chemin de la réussite sociétale de la construction européenne, rendant la solidarité à double direction.
In fine, il nous semble pertinent en la matière de faire une mise au point à l'intention de ceux, nombreux, dans le Sud européen, qui pointent du doigt l' «instigateur» allemand, considéré l'architecte de cette approche d'austérité, austérité qui n'en est pas une, comme nous nous sommes efforcé de démontrer : cette imposition de rigueur macro-économique que l'on appelle, au Sud européen, «austérité», n'est pas une recette sortie de la Chancellerie allemande : elle est déjà bien consignée dans le système des traités des Communautés européennes (constitutifs et de réforme), celui d'une économie de marché viable, compétitive et sous-tendue par la libre concurrence; de surcroît, dans l'Union européenne d'aujourd'hui, cette approche de discipline et de convergence macro-économique est réitérée est requise, notamment, par les critères de Maastricht pour l'union monétaire, complétés par le Pacte de stabilité et de croissance et les actes législatifs de son accompagnement-complément depuis, ainsi que par le Pacte budgétaire; elle nous situe ainsi, dans le cours des politiques actuelles de l'UE, dans l'antichambre de la compétitivité et nous oriente vers la croissance viable, si, certes, d'autres réformes s'y ajoutent et en particulier: celle de l'appareil de l'État et celle de la structure de son économie. Quant à l'Allemagne -- d'autres pays du «Nord européen» s'y emploient, également --, il est vrai qu' elle représente le pays qui a le plus uvré, dans un contexte de consensus sociétal allemand et d'attachement au progrès constant de l'intégration européenne, pour le respect de cette approche de rigueur macro-économique et de réalisation de réformes structurelles, avec des résultats économiques probants et une volonté, sans cesse renouvelée, de «plus d'Europe».
4° Conditions favorables à ce climat de cacophonie dans
la crise
Plutôt que d'insister outre mesure, devant les difficultés de conception consensuelle et de mise en uvre efficace des politiques européennes et nationales de sortie de crise, sur les carences de leadership, dans un relent de nostalgie des pères fondateurs et une tendance d'en blâmer la leadership de l'Allemagne au sein de l'Europe, il conviendrait ici de se pencher sur certaines conditions favorables à cette situation dysfonctionnelle du système européen et à cette incapacité structurelle-fonctionnelle de l' État-nation qui se refuse à admettre, de façon créative, un processus de perforation-obsolescence de son périmètre de souveraineté et le besoin de se déployer résolument dans le cadre intégratif de l'Union. Pour ce faire, nous retiendrons celles des conditions qui nous paraissent situées au cur de notre problématique et nous fournissent la clé de sa lecture-analyse, sans, certes, aucune prétention à l'exhaustivité.
a.- L'élargissement, constant, hâtif, laxiste des Communautés européennes et de l'Union y a introduit une asymétrie-hétérogénéité qualitative dans le niveau de développement socio-économique des partenaires, les privant ainsi d'une condition intégrative essentielle, présente lors du lancement des Communautés européennes des années 50. En effet, l'entrée dans les CE et l'Union européenne de pays d'une économie de marché de faible compétitivité (surtout : Chypre, Grèce, Portugal, plusieurs pays du Centre et de l'Est européens) a rendu, et ceci malgré les instruments et politiques d'accompagnement prévus et déployés (PAC, fonds structurels - fonds de cohésion, FESF, MES, interventions de la BCE, etc.), plus difficile la tâche de convaincre du besoin d'introduire certaines politiques communes et, surtout, de les appliquer, avec équité sociale et efficacité économique, erga omnes (sur l'ensemble de l'espace de l'Union), qu'il s'agisse, par exemple, de celles du champ macro-économique ou de celui des réformes de la fiscalité, du système bancaire, des relations du travail, de la formation professionnelle, de l'innovation technologique etc., le tout dans une vision commune du devenir de l'Union et de ses phases ultérieures vers «plus d'Europe».
Du reste, le même phénomène de laxisme s'est produit lors des adhésions à la zone euro, avec, notamment, le cas de la Grèce, qui a pu entrer dans la zone malgré le filtre de conditionnalité des critères de Maastricht. D'où cette Union européenne «à plusieurs vitesses» de développement, qui risque de devenir l'«Europe à la carte», à moins d'une urgente recomposition de l'Europe en cercles concentriques.
b.- Cette asymétrie, dans certaines de ses expressions accentuées, conduit à l'apparition, au sein de l'Union, comme aussi dans d'autres zones d'intégration, de «noyau durs», soit de partenaires d'un «gabarit» leur assurant un rôle européen directionnel, notamment, par une capacité administrative supérieure, un marché plus vaste, un poids géopolitique et économique supérieur, rôle qui pourrait gêner, voire inquiéter-- craintes de domination-- certains petits pays dans leur vie européenne commune au sein de l'Union. En effet, dans l'Europe des Six, le couple franco-allemand et l'existence du BENELUX (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) constituaient des facteurs d'équilibre dans l'asymétrie relative; en revanche, aujourd'hui, dans une Union à 28 membres, la très grande asymétrie de développement économique et, au-delà, de cohésion sociétale, de stabilité politique, de capacité institutionnelle de l'État, combinée, d'une part, à l'indifférence, voire à l'hostilité du Royaume-Uni, face à la philosophie intégrative des pères fondateurs et son éventuelle résurgence dans les desseins d' une «union sans cesse plus étroite des peuples européens», et, d'autre part, à l'affaiblissement du couple franco-allemand du fait, entre autres, du décalage démographique avec une Allemagne réunifiée et du «décrochage» socio-économique de l'économie française, favorise et consolide le rôle directionnel du «noyau dur» que constitue la RFA; par ailleurs, elle génère, dans la foulée, des perceptions de tendances hégémoniques, institutionnelles ou politico-économiques provenant d'outre-Rhin, et ceci, étrangement, que l'Allemagne manifeste sa solidarité européenne, comme le principal bailleur de ressources financières au Sud européen, ou qu'elle la refuse sans contrepartie de réformes substantielles dans les pays récipiendaires. Et pourtant, nous savons bien et l'avons constaté, au fil de plus de six décennies d'intégration européenne, que, pour des raisons historico-politiques profondes et permanentes, l'Allemagne s'est toujours fondue dans l'espace intégré des Communautés européennes et de l'Union européenne (et surtout de la zone euro), considérant que, pour elle, «plus d'Europe signifie une Allemagne européenne», pour reprendre les propos du président de la RFA Joachim Gauck, le 22 février 2013notre traduction).
c.- Dans un certain rapport avec les deux variables précédentes, on peut aborder ici la question de la légitimité politique directe, en termes constitutionnels et, surtout, de culture politique («no taxation without representation»), de cette solidarité financière dans le sillage européen Nord-Sud. En effet, en l'absence d'institutions centrales, de type réellement fédéral, au sein de l'Union, la prolongation-intensification d'une telle solidarité aux ressources financières, actuellement, de grande magnitude et pouvant, ultérieurement, comporter des formes avancées d'intervention (exemple : mutualisation des dettes) et des schémas permanents de transferts financiers (penser au système de péréquation d'États fédéraux) serait génératrice d'un sérieux déficit démocratique au sein des États membres bailleurs de fonds (prêts) et, justement, la Cour constitutionnelle de la RFA (du pays qui est le principal bailleur de fonds), y fut attentive et demeure sensible, de même que le Parlement fédéral de ce pays : alourdir le fardeau des contribuables d'un pays membre souverain pour venir en aide à d'autres partenaires de l'Union, selon les formes mentionnées et sans créer de déficit démocratique, supposerait le feu vert d'un parlement fédéral européen. Aussi, en l'absence d'une telle phase de «constitutionnalisation» de l'Union, la culture politique des pays membres subit-elle de sérieuses contorsions et leurs élus en ressentent-ils le coût politique. Dès lors, les pays «aidés» devraient comprendre la «précarité» politique de ces flux de solidarité, leurs limites temporelles, ainsi que de nature et de taille, et s'aligner rapidement sur la mise en uvre des nécessaires réformes d'assainissement de leurs finances publiques et système économique.
d.- «Last but not least», l'actuelle crise d'orientation de l'Union, devant la persistance des dérapages macro-économique et des carences de compétitivité chez nombre de ses membres, puise, également (certains diraient principalement), une importante partie de ses racines dans l'incapacité structurelle-fonctionnelle et de leadership des élites nationales (champ politique, socio-économique, culturel, administratif etc.). Celle-ci comporte plusieurs manifestations et, notamment: le manque de préparation systémique adéquate, préalable à l'adhésion dans l'Union (ou dans la zone euro); l'intériorisation elliptique et les violations d'application de l'acquis communautaire; l'utilisation «détournée» des aides européennes d'accompagnement de la libéralisation des flux et des facteurs de production; l'érosion de l'appareil étatique par des phénomènes de «clientélisme» et de transparence systémique insuffisante, voire, dans certains cas, de corruption; l'incapacité de procéder «à froid», bien avant la crise, aux nécessaires réformes du système étatique et de son économie, voire de créer des consensus sociétaux pour cet «aggiornamento» et, dans certains cas, pour une réelle refondation systémique; l'électoralisme, combiné à l'absence de pédagogie politique vis-à-vis du public, dans des périodes de crise, sur le bien-fondé de l'adoption de politiques d'assainissement socio-économique.
5° Mot de conclusion : l'impératif d'un sursaut intégratif, global et décisif
Qu'il nous soit permis de procéder à une réflexion terminale, dans cet essai d'analyse et de prise de position sur une cacophonie intra-européenne qui risque de dégénérer vers une cassure dans les orientations fondamentales de l'Union, vers une dangereuse stagnation systémique dans un monde qui évolue à grande vélocité, vers un éloignement définitif du rêve des pères fondateurs pour une Europe unie, modèle politique, socio-économique et culturel dans ce monde fissuré. Le temps est au redressement des attitudes, des comportements, des structures et des politiques : les États membres qui ont progressé sur le chemin de la prospérité, du reste, en grande partie, grâce à la construction européenne, devraient exercer leur rôle directionnel avec, courage, modération, discernement, cohérence, clairvoyance, esprit d'innovation anticipative, pour plus de solidarité, pour «plus d'Europe»; ceux qui, de toute évidence, ont profité du pas plus décisif et accéléré des premiers mais qui, dans la crise, ont manqué la marche, perdu le souffle et failli à leurs rôles dans leur État-nation et dans l'Union, devraient réaliser que cette dernière demeure leur seul rempart, dans un monde globalisé et fluide, et s'aligner irrévocablement sur la rationalité intégrative du Vieux Continent
Panayotis Soldatos est professeur émérite de l'Université de Montréal et titulaire d'une Chaire Jean Monnet ad personam à l'Université Jean Moulin Lyon 3