Depuis ses débuts, la construction européenne marche sur la tête, c'est-à-dire à l'instigation exclusive de ses dirigeants, au demeurant prioritairement nationaux. Jusqu'à récemment, ceci ne l'avait guère empêché de marcher, et même de décrocher des résultats excellents voire inespérés : reconstruction d'après-guerre et union douanière, croissance record des trente glorieuses, suppression des contrôles frontaliers et même du rideau de fer, union monétaire, élargissement continental.
Cette Europe n'en a pas moins trébuché quand la tête a fini par perdre ses qualités d'origine. On ne décide plus à vingt-huit comme à six. On apprécie moins la réconciliation quand on n'a pas connu la guerre. On est plus réticent à partager davantage quand on pense l'avoir déjà fait. Ajoutons-y une redistribution mondiale des cartes qui nous a fait perdre nombre d'acquis économiques et sociaux et on ne s'étonnera pas qu'une telle Europe, dynamique et populaire quand elle marchait, tende à s'abîmer dans la paralysie de ses dirigeants et l'exaspération de l'opinion.
C'est dans ce climat délétère que s'annoncent nos élections européennes du 25 mai prochain. Les eurosceptiques et anti-européens de tous bords se frottent déjà les mains tandis que les responsables aux affaires, comme ceux qui l'ont été, se font bien discrets à l'approche d'une échéance qu'ils paraissent surtout redouter.
Comme dans toute situation embrouillée, il est urgent d'en revenir à des constats simples. L'Europe n'a pas seulement marché sur la tête, elle a également fait trop de choses à l'envers ou à moitié, ceci expliquant d'ailleurs cela : union monétaire sans union économique, élargissements sans approfondissement, réformes des traités sans participation citoyenne. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de mettre en cause ce qui a été fait, comme le revendiquent les eurosceptiques, mais bien de s'engager à faire ce qui ne l'a pas été, comme on voudrait tant l'entendre des autres !
Et que voudrait-on entendre pour remettre l'Europe à l'endroit, donc à flot ? Rien moins que ceci : achever en cinq ans une union économique à la mesure de l'euro pour rénover notre potentiel industriel, financier, technologique et sécuritaire face à la mondialisation ; amorcer un serpent fiscal européen attractif pour les investisseurs tout en étant équitable pour les contribuables ; créer un trésor européen apte à appuyer nos investissements stratégiques ; mettre en place un institut budgétaire européen, à l'instar de l'institut monétaire européen il y a vingt ans, pour mutualiser à moindre coût nos dépenses publiques d'intérêt commun ; doter nos entreprises et nos associations de statuts européens opérationnels ; redéfinir avec les partenaires sociaux un socle social européen accompagnant ces nouvelles étapes d'intégration.
En dépit d'un climat maussade, cette feuille de route d'un renflouement européen paraît limpide. Mais après tant de reflux européens ces dernières années, elle ressemble plutôt aujourd'hui à une bouteille à la mer. A l'approche des élections européennes, est-elle encore lisible ? Alors merci de la faire circuler !
Bruno VEVER, délégué général d'Europe et Entreprises