par Édouard Pflimlin, le lundi 04 mars 2013
Ancien international d'athlétisme et acteur reconnu de la société civile française, Gilles Le Bail, auteur du court essai, "l'Europe : défaite ou défis", s'attache en sportif et acteur de terrain engagé à trouver les moyens de relancer la construction européenne qui est souvent accusée de tous les maux.
Il part d'une analyse historique montrant que les Européens et les responsables politiques ont eu la volonté "depuis plusieurs décennies d'avancer vers une intégration dans un ensemble supranational" mais que le "non" français à la constitution européenne en 2005 a été un "coup d'arrêt à cette dynamique historique".
Avec la crise, à partir de 2008, c'est la montée des nationalismes qui rejettent une Europe ouverte sur l'extérieur et qui conduisent au repli sur soi, à la fermeture par rapport a l'étranger. Pour autant, l'Europe a besoin de cette ouverture; c'est d'ailleurs l'ouverture aux échanges qui historiquement a permis à la CEE de se développer. L'extrémisme identitaire est le fruit de la crise, de la mondialisation qui remet en cause les identités nationales ou locales, il conduit à une société divisée en communautés, facteur de tensions.
Il conduit aussi à une remise en cause du bien-fondé de la construction européenne. L'Europe est pour de nombreux citoyens européens non seulement la cause de leurs maux, notamment le chômage élevé, mais également une construction technocratique qui n'a plus de sens.
Dès lors, le moment est venu pour la classe politique, pour les élites européennes, de redonner du sens à l'Union europeenne. Un grand débat public sur les valeurs de l'Union européennes est indispensable car la construction européenne a trop mis l'accent sur sa dimension économique au détriment des autres dimensions notamment sociale, économique et culturelle.
La personne doit être au coeur de la construction européenne avec notamment la citoyenneté européenne. Les institutions européennes manquent de légitimité notamment parce qu'il y a un "déficit civique" dans l'Union. "L'avancement du projet européen a souvent été déconnecté des populations" qui ne font plus le lien entre leur quotidien et les apports des politiques européennes.
Face a cette situation qui risque d'accroitre le fossé entre les dirigeants européens et leurs peuples, Gilles Le Bail esquisse des pistes intéressantes. Il s'agit surtout de s'appuyer sur la société civile qui est extrêmement dynamique en Europe.
La participation des acteurs de la société civile à la vie démocratique doit être réalisée afin d'assurer la participation collective des citoyens aux développements de l'Union européenne.
"Un profond changement de culture politique de la part des institutions communautaires et au-delà des États nation est nécessaire, pour encourager la constitution de corps intermédiaires européens leur permettant d'être plus systématiquement consultés", propose l'auteur. "La reconnaissance d'un statut d'association européenne serait une étape importante pour que les divers réseaux associatifs affirment leur rôle dans la constitution d'un réel espace public", souligne Gilles Le Bail.
Mais l'éducation, notamment aux langues, est aussi un élément essentiel pour favoriser les échanges et construire des repères communs compris et acceptés par le plus grand nombre. C'est un point incontournable pour que s'instaurent les bases d'un vivre ensemble qui est en danger.
Cela suppose aussi d'avoir un discours positif et fédérateur sur l'Union européenne - on en est encore loin - qui renforcera un sentiment d'appartenance commune à un ensemble dont les citoyens européens comprendront mieux les enjeux et les bénéfices.
Une meilleure conscience de ce qu'apporte l'Europe permettra aussi de redonner confiance aux citoyens et de les mobiliser pour valoriser les atouts nombreux de l'Europe, qui reste la première puissance économique et commerciale de la planète.
Cet exercice ne sera réussi que si les dirigeants européens font l'effort d'expliquer le projet européen aux citoyens. L'absence de débat sur ce projet explique largement le desamour entre les institutions communautaires et les Européens.
Dans le dernier chapitre de son essai "Pour un nouveau rêve européen", l'auteur évoque ce que pourrait être ce projet européen : passer à une étape nouvelle de la construction européenne en établissant un pouvoir de type fédéral sous la forme d'une fédération d'États-nations car il est nécessaire de respecter les identités nationales et aussi de favoriser une meilleure participation des Européens à cette Europe en devenir.
Quelques réformes sont jugées nécessaires comme la création d'un impôt européen se substituant à un impôt national mais aussi faire évoluer les institutions en transformant par exemple le Conseil européen en une chambre representant les États et ayant les mêmes pouvoirs que le Parlement européen, dont le rôle serait aussi renforcé.
L'année 2014, année d'elections européennes, pourrait être l'occasion de débattre de cette nouvelle Europe politique qu'il appelle de ses vux.
L'auteur milite donc pour un nouveau saut fédéral, transcendant les intérêts nationaux.
Si le constat qu'il dresse de la crise des sociétés europeennes et de la légitimité de Bruxelles et de ses institutions est connu, il a le mérite déjà de rappeler que la crise est autant morale qu'économique.
Surtout les pistes qu'il évoque dans les trois premiers chapitres de son ouvrage ont l'intérêt et l'originalité de se dégager de l'économique pour se concentrer sur le champ social et culturel qu'on a longtemps occulté.
Sa vision politique est clairement fédéraliste. On peut regretter qu'il n'ait pas plus développé sa pensée sur le plan institutionnel, même si l'on comprend que dans la suite de son idée de démocratie participative et inclusive, il faille développer les mécanismes politiques qui la favorise."
Gilles Le Bail, L'Europe : défaite ou défis, 121 pages, Fortuna Éditions, Tournai, Belgique, novembre 2012.