par Alain Mlégarie, le jeudi 19 janvier 2012

La France a perdu son triple A. Elle est cotée désormais « AA+ ». On le savait, on l'avait dit, écrit, ici même dans mon blog, il y a déjà plusieurs semaines. Les politiciens le savaient bien, mais comme souvent, ils étaient dans le déni de réalité…


Les marchés (les prêteurs) l'avaient évidemment anticipé, en remontant les taux d'intérêt des crédits qu'ils nous accordent. Donc on a déjà subi l'effet hausse du crédit. Toutefois la mauvaise nouvelle s'est amplifiée, car la notation est à « orientation négative ». Cela veut dire, de façon quasi certaine, que la note sera à nouveau abaissée dans les semaines ou les mois à venir. La spirale infernale est enclenchée. C'est normal car la France n'a, jusqu'à présent, absolument pas pris la mesure de la situation , surtout comparée à d'autres pays de la zone euro qui eux marchent bien et ont fait ce qu'il fallait pour cela. Et si on ne fait pas le bon diagnostic, on ne risque pas de prendre les bonnes dispositions.

La France, période électorale oblige, espérait tenir ainsi jusqu'au 6 mai… Erreur d'analyse. Les agences de notation, qui analysent les comptes de tout le monde (Etat, banques, entreprises, collectivités…) ne font pas de politique, elles. Elles font de l'économie, et elles font les comptes, que cela nous dérange ou non.

On peut les changer, les nier, il y aura toujours des milliers de prêteurs qui voudront bien connaître les forces et faiblesses de ceux à qui ils prêtent, surtout quand ils prêtent à long terme (dix ans et plus).

Tout le reste n'est que blabla et petite politique politicienne, ou propagande. Dormez tranquilles. Manque de chance, on est toujours rattrapé par quelque chose. De même que l'euro aura révélé les pays cigales et les pays fourmis, les agences de notation sont là pour pointer les pays performants et les pays peu ou pas compétitifs.

Et rien n'est fait, ou presque rien, pour stopper les dettes abyssales, ni pour faire la moindre politique de relance, laissant filer le chômage et la précarité. Chaque jour perdu coûte plus cher à la France, et à une partie de l'Europe. Et le décalage croît avec le reste du monde qui reste encore en pleine croissance, malgré les risques de contagion et d'effet domino, du fait de la mondialisation.

La France emprunte à 3 ou 3,5%. Elle empruntera évidemment plus cher dorénavant, mais surtout, elle aura plus de mal à emprunter. Les prêteurs s'inquièteront un peu plus de la situation de la France, donc de sa capacité à rembourser ses dettes et à relancer son économie. Les agences, les marchés avaient déjà anticipé la dégradation, par l'augmentation des taux d'intérêt, dès novembre. Mais ces taux continueront d'augmenter avec une note AA+ à orientation négative. Cela montre bien que les prêteurs ont moins confiance, en analysant des faits, des chiffres, des situations concrètes.

Deux exemples :

1/ la désindustrialisation de la France qui, depuis 2002 (en dix ans) a perdu 800.000 emplois ! L'industrie ne représente plus que 15% du PIB, contre 30% pour l'Allemagne.

2/ l'exportation : depuis plusieurs années, cela va de mal en pis pour la France et de mieux en mieux pour l'Allemagne. Avec le même euro ! 200 milliards d'euro d'excédent de la balance commerciale allemande ; 75 milliards d'euro de déficit pour la balance commerciale française ! La France dispose de 91.000 entreprises pour exporter. L'Allemagne en a … 400.000 !

Les prêteurs sont donc prudents et attendent toujours des réformes substantielles, pas des mesurettes. Les prêteurs se moquent d'ailleurs du calendrier électoral, et de l'impopularité de telle ou telle mesure à prendre. C'est tout le problème, d'ailleurs…

Et il y a même urgence, car la France devra emprunter, en 2012, 178 milliards d'euros. Non seulement elle empruntera à un taux plus élevé (donc 3,5 / 4%), mais elle sera moins certaine de trouver preneur, surtout sur dix ans, auprès des plus « riches » : Chine, Brésil, Russie, Proche et Moyen-Orient, mais qui ont l'embarras du choix pour prêter. La catastrophe serait qu'ils prêtent surtout à … l'Allemagne ! L'Italie est dans la même situation que nous.

Les conséquences de cette nouvelle notation seront donc multiples, malheureusement :

- Pour les particuliers, les collectivités, les entreprises, un crédit plus cher, et peut-être plus difficile à trouver. Car la dégradation d'un pays s'abat automatiquement sur tout le monde : banques, collectivités, etc.

- Cette dégradation de la France déséquilibre encore plus le rapport de force au sein du couple « Merkozy », au profit de la Chancelière, évidemment. Plus que jamais elle incarne la vertu budgétaire, et la performance économique de la première puissance européenne. Le couple divergent le sera encore plus, au détriment de la France. Compliqué pour assouplir la position de Mme Merkel sur la BCE…

- Cette dégradation touche 9 pays de la zone euro, et au sein de cette zone, creuse le clivage entre les bons et les mauvais, les pays du Nord et ceux du Sud, les cigales et les fourmis. Dangereux, dans un contexte de crédit raréfié, et plus cher…

- Pire encore, la dégradation va toucher le FESF lui-même (Fonds européen de Stabilisation financière), car il est abondé principalement par les pays… ayant le triple A. Or, on perd la France, l'Autriche… La France devait abonder ce fonds, au prorata de son PIB dans l'UE. Donc, ce sera encore plus difficile d'aider un grand pays en difficulté avec le FESF, avec des montants déjà … insuffisants !

A cet égard, le Président du Conseil italien, Mario Monti n'a pas hésité, dès vendredi 13 janvier, à déclarer que « l'Europe est victime d'une agression ». Il est vrai que si l'Europe était unie, soudée, et organisée institutionnellement et politiquement en Fédération ou Etats-Unis, nous serions plus forts pour réagir, qu'à 17 ou 27 petits Etats morcelés et divisés. Encore une fois, tant pis pour nous ! Mais j'observe que Mario Monti a réagi en européen, tandis que Merkel et Sarkozy en … national ! Révélateur.

Un exemple encore : l'UE n'avait qu'à créer sa propre Agence de notation ! La Chine l'a bien fait (agence Dagong).

Même si l'agence européenne arriverait, objectivement, aux mêmes conclusions, à savoir les Etats doivent solder leurs dettes et se relancer économiquement. Mais l'avantage, peut-être, est qu'elle prendrait mieux en compte le fait, tout aussi indiscutable, que l'Europe est dans une situation plus saine que les Etats-Unis : bien moins endettée globalement, moins dépendante d'un seul prêteur (la Chine), etc. On paie donc, au prix fort, le fait qu'on n'ait pas un système fédéral. On en revient toujours à la même conclusion, que la seule solution, une fois de plus, ne peut être que collective, européenne, et fédérale. Plus que jamais, avec une BCE active,qui pourrait financer directement les Etats,et avec des eurobonds pour relancer la machine économique… Il faut partager les dettes, et mettre ensemble tous nos actifs pour une vraie politique de relance, coordonnée, comme aux Etats-Unis. Mais l'Allemagne, réticente, risque de l'être encore plus, car elle a une preuve supplémentaire, si besoin était, que les pays cigales ne veulent (ne peuvent ?) se réformer, et se relancer. Elle qui a 3% de croissance (vous avez bien lu 3% !). Elle qui finit 2011 avec un déficit budgétaire de 1,6% (le maximum autorisé étant 3%), alors que la France a fini à 5,7%. Sa balance commerciale est en excédent depuis des années. (200 milliards d'euros en 2011, quand la France a un déficit de 75 milliards d'euros !). L'Allemagne a un taux de chômage qui est descendu à 5,5% !! (Nous, on est à 10, et 2012 sera pire). L'Allemagne emprunte à 2%, la France à 3 ou 3,5%, (et cela va augmenter avec la note AA+). Suprême insolence : la semaine dernière, l'Allemagne s'est même permis d'emprunter… à taux négatif !!! Cela s'appelle lui faire confiance, non ?! On croit rêver !

L'Allemagne, avec le même euro « fort » soi disant, a tous les critères économiques au « vert ». Comme les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg. Donc, c'est possible…

La France a vécu au-dessus de ses moyens depuis 35 ans, et elle va commencer à régler la note. En 1977, la dette était de 60 milliards d'euros ! 35 ans après elle est de 1.700 milliards d'euros. Mais elle s'accroît de plus en plus, et de plus en plus vite. En 2007, elle était de 1.300 milliards d'euros. En 2011, 1.700 milliards, soit + 400 milliards !!!. Pour les autorités, c'est dû à la crise. Faux ! Pas tout ! Un peu pour relancer, oui, mais 50 à 60 milliards d'euros au plus pour la production et l'industrie. Le reste est donc des dépenses de confort, improductives !

Ce temps est révolu, mais, chut, ne le répétez pas. Entre temps, on a une élection présidentielle à faire. Parfaitement inutile, quant à ses futures marges de manœuvre, d'ailleurs. Inutile, car pour être élu, il faut un « contrat entre un candidat et le peuple » : donc non seulement lui plaire, mais lui proposer des choses concrètes, et importantes, pour 5 ans. Et tant pis si, ensuite, on ne le fera pas, ou très mal. Les promesses n'engagent que ceux… Comment alors être élu, si on dit la vérité au peuple qu'on n'aura pas l'argent, étant plombé par les dettes, qu'on ne peut donc rien faire seul, sans l'accord des autres, qu'on n'a pas d'idée mais qu'on pourrait en avoir à plusieurs, qu'un pays de 65 millions d'habitants ne pèse pas lourd face aux Etats-continent qui eux vont mieux, etc, etc. Dans ce cas, le peuple, plein de bon sens, lui répondra : « désolé, mais alors si vous ne pouvez rien faire, on ne peut pas voter pour vous ». Donc il faut bien lui mentir, si on veut être élu, et lui promettre la lune. Et tant pis si ces promesses seront balayées dans 6 ou 12 mois. Au peuple de déceler le moins menteur, le moins nul, le moins irresponsable. Pas toujours facile, il y a tellement d'experts en démagogie. Qu'à cela ne tienne, on nous répètera tous les jours que cette élection est « capitale » pour le pays, l'Europe, le monde (l'univers ?). Il parait que cette élection passionne les médias, et quelques Français !

Alors qu'il faudrait songer à l'élection d'un président… des Etats-Unis d'Europe. Mais là je cherche les visionnaires et les courageux! Il faudra, je le crains, être patient, et en pâtir… Que de temps perdu, encore !


Alain Malégarie été le Directeur Général durant de nombreuses années, de 1995 à 2005, de l'Institut de l'Euro. A vocation pédagogique, ce centre de documentation était destiné à préparer les entreprises, les collectivités locales et les particuliers à l'euro.

Enfin, Alain Malégarie fait partie de ces infatigables militants de la cause européenne. Vice-Président de l'association Europe Info, dépositaire du label « Europe Direct » en tant que centre officiel de documentation de la Commission européenne, il anime également 2 chroniques européennes sur 2 radios locales lyonnaises.

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