par Claude Fischer, le vendredi 03 février 2012

"L'Union européenne vit sa plus grande épreuve depuis sa fondation... La question reste ouverte de savoir dans quelle direction elle évoluera et si elle pourra répondre avec solidarité et responsabilité aux défis qui l'attendent."

Cette interrogation de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne, nous la partageons. Et nous essayons de toutes nos forces de contribuer à y répondre.


La crise de l'Europe est économique et financière, mais peut-être plus encore culturelle : sa force politique est ébranlée. Les États n'arrivent plus à unir
leurs sociétés qui ont peur et se méfient les unes des autres, tentées par les replis nationalistes.

Quel avenir pour l'Europe? Quel avenir européen pour nos nations

Confrontations Europe a ouvert le débat en France sur le modèle d'"économie sociale de marché" lors des Entretiens Économiques Européens des 23 et 24 novembre 2011 à Paris, un concept apparu dans l'après-guerre en Allemagne et qui nous interpelle d'autant plus que celle-ci a réussi à préserver sa prospérité et qu'elle est aujourd'hui leader en Europe. Un sentiment d'attirance se mêle à un sentiment de rejet car si nous envions son modèle de croissance, nous refusons qu'elle nous domine.

Et pourtant, rien ne se fera sans elle, mais par contre, il serait dangereux – et illusoire – de projeter le modèle allemand sur les nations qui composent notre Union ! Les réactions de certains hommes d'État – soutenus par leur majorité – nous rappellent que les sociétés défendent leurs identités bec et ongles : Viktor Orban ne défend-il pas une vision mythique de la Hongrie ? Et le refus obstiné de David Cameron d'une Eurozone intégrée – défendant les intérêts financiers britanniques – ne traduit-il pas aussi sa nostalgie de la grandeur du Royaume-Uni ?

Les nations, riches de leur histoire et de leur culture, devront se rapprocher et partager leurs souverainetés pour assumer de grands défis : inventer une démocratie plurinationale, refonder l'espérance et former société en Europe ; organiser la sortie de crise en mobilisant l'ensemble des citoyens et des acteurs, en les solidarisant pour faire face aux marchés et bâtir une Europe unie, forte et ouverte sur le monde.

L'Eurozone est menacée d'éclatement, les agences dégradent les notes de ses pays : nous devons construire le gouvernement économique capable d'articuler stabilité et croissance. La conscience monte de l'urgence, mais cela n'a rien d'évident. D'abord, parce que tout le monde n'est pas d'accord, comme l'Allemagne, persuadée que c'est dans les politiques d'austérité que les nations retrouveront demain leur croissance. Et pourtant, difficile de demander à la Grèce encore plus d'austérité, quand même l'Italie demande un peu de répit ! Et parmi ceux qui sont d'accord avec l'objectif, le débat fait rage entre les partisans de la voie intergouvernementale et la voie communautaire. Débat stérile si on ne clarifie pas les obstacles à lever pour dégager la voie, qui sera à la fois intergouvernementale et communautaire.

La Commission européenne s'identifie au communautaire alors que la gouvernance de l'Union a toujours résidé dans la tension Commission/Conseil/Parlement et que l'Union économique reste à faire. Le président de la Commission a beau prétendre que le gouvernement économique, c'est elle, les Traités ne donnent à l'Union aucune compétence sur les budgets nationaux, seulement un pouvoir de sanction.

Quant au Parlement, il a tendance à la suivre et à se vouloir lui-même législateur et exécutif. Comment promouvoir une politique budgétaire si les États eux-mêmes ne décident pas d'abandonner un peu de leur souveraineté pour gouverner ensemble ?

Alors que le budget européen est au point mort et que le marché intérieur risque de se désintégrer, il est surréaliste que nos institutions se mènent querelle de prérogatives, et que selon qu'ils appartiennent à l'une ou à l'autre, les dirigeants et les élus freinent des quatre fers l'option d'un Traité pour l'Eurozone, en multipliant les amendements pour dévitaliser le projet du 9 décembre, comme par exemple la ratification par quinze pays plutôt que neuf, la durée de validité du nouveau texte, alors que la question première est la qualité du mandat à obtenir. Le Conseil de fin janvier, et donc celui de mars, ne se préparent pas sous les meilleurs auspices, et la France – affaiblie et qui n'arrive pas à clarifier sa volonté de transfert de souveraineté – a un problème de crédibilité face à une Allemagne qui campe sur ses positions... Aucun État – fût-il allemand – n'arrivera à s'en sortir seul, et tous ceux qui prétendent présider à la destinée de leur pays et de l'Union européenne demain doivent dire comment ils entendent gouverner en partenaires et pour quoi faire. Le débat sur les finalités doit se développer : quels sont les leviers de la croissance que nous pourrions mobiliser avec une politique budgétaire, la rénovation du marché intérieur et l'investissement de long terme dans la formation des hommes et dans les secteurs industriels stratégiques ?

Voilà les questions qu'il faut poser. Sinon, il est à craindre que les options institutionnelles soient d'autant plus faibles qu'elles ne prennent pas appui sur des projets de relance, légitimées par des sociétés plus sollicitées.

Confrontations Europe et ses partenaires, Astrid et Bertelsmann Stiftung, ont proposé un Manifeste pour une Eurozone solidaire et intégrée. Plus de 400 personnes ont joint leurs signatures pour appeler les chefs de gouvernement et des institutions communautaires à assumer leurs responsabilités. Car, comme le met en garde Martin Zaïmov, un ami bulgare, le manque de solidarités peut faire exploser les fondements de la paix en Europe. Cela vaut bien de partager un peu de nos souverainetés !

Claude Fischer, Présidente de Confrontations Europe


Claude Fischer est présidente de Confrontations Europe
http://www.confrontations-europe.org

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