par Patrick Martin-Genier, le dimanche 11 mars 2012

Samedi 10 mars, dans les locaux de l'Institut d'études politiques, lors d'une manifestation organisée par Europa Nova, le Mouvement européen et le journal Le Monde, les candidats à l'élection présidentielle se sont exprimés sur leur vision de l'Europe et ce que seraient leurs principales priorités en la matière s'ils étaient élus le 5 mai prochain.


Pour François Bayrou : une transparence indispensable

 

En guise de candidats, seuls François Bayrou pour le Modem et Eva Joly pour les Verts avaient fait le déplacement…Nicolas Sarkozy pour l'UMP était représeBnté par Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, le ministre des affaires européennes, M.Léonetti, étant lui présent lors de la matinée. Le parti socialiste enfin était représenté par Elisabeth Guigou, ancienne ministre des affaires européennes de François Mitterrand, intégré à l'équipe de François Hollande qui travaille sur les questions européennes.

 

Quelques minutes avant de faire son entrée en scène, François Bayrou donnait une interview à une télévision rue Saint-Guillaume, dans laquelle il exprimait sa foi dans l'avenir en étant résolument optimiste « car je suis un montagnard ». Fidèle à sa conviction européenne forte et sincère, François Bayrou a estimé qu'il s'agissait aujourd'hui de reconquérir la souveraineté que l'on ne peut plus exercer seul ; il est, même si cela peut paraître paradoxal, un « souverainiste européen ».

 

Selon le candidat du Modem, les institutions européennes actuelles posent problème, notamment le président permanent du conseil européen, M. Herman Van Rompuy qui, selon lui, a été choisi selon un critère déterminant : ne pas faire d'ombre à Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, ce qui, utilisant alors une expression très forte, constitue « un attentat contre l'idée européenne »…Il est indispensable d'avoir un vrai débat démocratique et faire preuve de transparence quant à l'avenir des institutions européennes, ce qui nécessite une implication du citoyen.

 

S'agissant de la relation franco-allemande, François Bayrou développe une idée qui est pratiquement celle de tous les participants à cette journée : si celle-ci est essentielle, elle ne doit pas être exclusive. Encore une fois, François Bayrou a exigé plus de transparence : selon lui, il y a eu beaucoup d'' « embrassades » entre les deux dirigeants, mais ces embrassades cachaient en réalité de vraies divergences. Selon le candidat centriste, les Français devraient avoir le droit de connaître les divergences qui existent entre les deux dirigeants, comme l'aurait fait le général De Gaulle en donnant une conférence de presse. François Bayrou a esquissé un débat intéressant : pour lui «  la méthode Monnet a été conçue au lendemain de la seconde guerre mondiale » ; est-ce à dire que celle-ci serait désormais dépassée ? Le candidat Modem a enfin délivré un message très fort ; dans le cadre de la crise de la dette «  jamais je n'aurai accepté que le FMI vienne régler nos affaires »…

 

Pour Eva Joly : une « refondation écologique »

 

A François Bayrou succédait Eva Joly. La candidate des Verts propose une Europe fondée sur la « refondation écologique ». Il s'agit de créer une Europe plus solidaire et plus offensive en lançant un programme de grands travaux et d'aller vers une Europe fédérale, le mot « fédéralisme » ayant au final été présent tout au long de cette mémorable journée. Pour Mme Joly, « l'Europe libérale aujourd'hui est réservée aux élites au détriment des peuples » et il s'agit aussi d'élire d'abord des responsables qui sujet européens. « je suis seule à porter un projet politique fédéral » a-t-elle asséné »…

 

Je lui posais alors la question de savoir ce que serait la première mesure qu'elle proposerait si elle accédait aux responsabilités gouvernementales et Mme Joly de répondre : «  la  mise en place d'une taxe sur les transactions financières qui viendrait alimenter les ressources propres de l'Union européenne ». Il ne faut pas non plus abandonner la taxe carbone. S'agissant de la relation franco-allemande il y a eu « accaparement de l'Europe » ce qui lui fait perdre toute légitimité. Eva Joly appelle de ses vœux une Europe indépendante grâce à des éoliennes et le stockage des énergies renouvelables : il s'agit de défendre une vision commune de sortie du nucléaire.

 

Mentionnons le fait que Jean-Marie Cavada, député européen et président du Mouvement européen, a  rendu un hommage sincère à la députée européenne après que celle-ci eût été stigmatisée sur ses origines  norvégiennes. Les propos qui ont été tenus sur la candidate des Verts ont été « détestables » a-t-il affirmé.

 

La révision des traités pour François Hollande

 

Le parti socialiste avait « délégué » plusieurs personnalités lors de cette journée : Christophe Caresche, député de Paris et membre de la commission des affaires européennes de l'Assemblée Nationale, Catherine Trautmann, députée européenne, ancien maire de Strasbourg et ancienne ministre de la culture de Lionel Jospin, enfin Elisabeth Guigou, ancienne «  Madame Europe » de François Mitterrand et ancienne garde des sceaux sous le gouvernement Jospin.

 

Officiellement, Catherine Trautmann est responsable de l'Europe au sein de l'équipe de campagne présidentielle de François Hollande. Posant cependant la question à la fois à Christophe Caresche, celui-ci m'a affirmé que cette question était traitée collectivement au sein de cette équipe de  campagne, associant également Pierre Moscovici ancien ministre des affaires européennes de Lionel Jospin. Élisabeth Guigou m'affirmait quant à elle que son rôle au sein de ce qui pourrait devenir l'antenne présidentielle au lendemain de  la victoire de François Hollande le soir du 5 mai, était plus spécifiquement ciblé sur « la renégociation des traités », comme quoi cette question de la révision des traités européens fait l'objet d'une étude attentive qui pourrait être proposée aux dirigeants européens. Élisabeth Guigou, comme l'ensemble des socialistes d'ailleurs ne s'offusque pas du front anti-Hollande  à supposer qu'il existe. Il est non contestable qu'une coalition conservatrice ne voit pas d'un bon œil l'arrivée de François Hollande au pouvoir.  La veille, François Hollande n'avait pas été reçu par le premier ministre polonais alors qu'il était en visite à Varsovie, mais seulement par le président polonais doté de pouvoirs symboliques…Les sociaux-démocrates, quant à eux, soutiennent le candidat socialiste : il y a donc bien une solidarité européenne pour le candidat socialiste dont une intervention sur le sujet de l'Europe est prévu au Cirque d'hiver la semaine prochaine.

 

Pour Christophe Caresche, se pose la question de savoir si l »Europe « n'a pas épuisé son projet »…Les Etats nationaux sont essentiels et les intérêts nationaux persistent. Il existe la difficulté de parler d'une seule voix en Europe.

 

Défendre les intérêts de l'Union dans le monde pour Nicolas Sarkozy

 

Restait enfin à l'UMP à préciser son projet européen. Ce fut la tâche délicate d'Alain Juppé tout juste de retour d'une réunion informelle des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne aux Pays-Bas, l'incontournable « gymnish »... Il revenait à Alain Juppé la difficile tâche d'expliquer ce que devrait être les priorités européennes du chef de l'Etat si celui-ci est reconduit dans ses fonctions, tout en dressant une sorte de bilan. L'ancien Premier ministre y a réussi en alliant clarté et humour. « Je n'aime pas les scénarios pessimistes » a-t-il déclaré pour continuer : « c'est comme lorsque l'on dit que Nicolas Sarkozy va être battu.. » a-t-il affirmé, provoquant un tonnerre d'applaudissements dans l'amphithéâtre Boutmy, sans que l'on sache exactement le sens à donner à ces applaudissements…

 

Pour Alain Juppé, il s'agit de défendre encore mieux les intérêts de l'Union européenne dans le monde, sortir de la crise et relancer l'Union pour la Méditerranée. Il s'est aussi attaché à défendre les deux traités signée à Bruxelles et ratifiés par le Parlement français. Pour lui, il ne faut pas rouvrir le débat institutionnel après le traité de Lisbonne. Il est nécessaire de préparer l'Europe pour les dix à quinze ans, aller vers un « fédéralisme budgétaire et fiscal ». Il a aussi énoncé les objectifs d'amélioration de l'espace Schengen, de la politique de sécurité et de défense commune, de l'énergie et la politique agricole commune. Enfin, il « n'y a jamais eu de ticket franco-allemand » tout en insistant sur l'importance de la relation franco-allemande. Alain Juppé a enfin annoncé que le gouvernement travaillait déjà sur la célébration du cinquantième anniversaire du traité franco-allemand de l'Elysée prévue au mois de janvier 2013.
 

Exprimer des convictions personnelles

 Cette journée aura donc eu le mérite de mettre en perspective les différentes propositions des candidats. Il eut été pourtant très important que Nicolas Sarkozy et François Hollande se déplacent en personne. En effet, la foi européenne repose également sur des convictions européennes personnelles très fortes. Nous ne doutons pas que ni le Président de la République ni le candidat socialiste ne manquent de conviction.

 

Par son action pendant cinq ans, Nicolas Sarkozy a montré qu'il savait faire bouger les lignes en Europe. François Hollande est quant à lui l'héritier d'une ferveur pro-européenne de la social-démocratie européenne et française, dans la lignée notamment de François Mitterrand. Entendre s'exprimer des convictions personnelles en la matière est tellement important. Mais ne doutons pas que sur l'Europe, le peu de temps qu'il reste aux candidats pour s'exprimer sera mis à profit dans ce sens.

 





 


Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris, vice-président et éditorialiste de Fenêtre sur l'Europe.

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