par Patrick Martin-Genier , le lundi 19 mars 2012

Tout le monde veut donc réformer l'Europe. Réformer ou simplement stigmatiser ? Bousculer, provoquer et déstabiliser ou contribuer positivement au débat ? Engranger des voix sur le dos de l'Europe ou manifester sa conviction européenne ?


Hollande-Merkel : un premier contact orageux ?


Les termes, récemment utilisés, comme pour l'ensemble de la campagne, sont assez éloquents quant à l'ambiance qui règne…Une ambiance qui conduit au boycott de François Hollande par plusieurs dirigeants conservateurs et non des moindres le temps de la campagne. Mais qu'auront donc à se dire Angela Merkel et François Hollande lundi 7 mai si ce dernier, élu président de la République, se rend à Berlin en guise de premier contact officiel. Le tapis rouge sera déroulé devant la chancellerie moderne de Berlin avec les gardes de la République, mais une fois dans les locaux et le bureau de la chancelière, l'explication risque d'être orageuse… Il n'y aura certainement pas d'embrassades comme avec Nicolas Sarkozy, bien que l'on sache que les embrassades, auxquelles ne sont d'ailleurs pas habitués les Allemands, sont forcément factices et ne sont pas de nature à cacher les divergences qui peuvent apparaître entre les deux dirigeants…


Renégocier un traité est chose difficile on le sait. Elaborer un traité modificatif de l'Union européenne serait très laborieux alors que les nouveaux textes adoptés récemment sont loin d'avoir été ratifiés par tous les Etats concernés, la Grande-Bretagne et la République tchèque ayant en outre refusé de faire partie du système. Et ce, même si au sein de l'équipe présidentielle de François Hollande, Elisabeth Guigou, ancienne ministre des affaires européennes, nous confiait récemment qu'elle s'attachait à cette question de la révision des traités… Serait-ce irresponsable politiquement et juridiquement ? C'est ce que faisaient valoir les trois ministres des affaires européennes du triangle de Weimar ( France, Allemagne, Pologne) réunis cette semaine dans la belle ville d'Antibes (Alpes-Maritimes) dont Jean Léonetti, le ministre français des affaires européennes, est le maire.



Europe : une entrée fracassante dans la campagne



A quelques encablures du premier tour de l'élection présidentielle, l'Europe a donc fait une entrée fracassante dans la campagne, mais, on l'aura compris, pas forcément de la façon la plus constructive qui soit.



A peine le Conseil européen avait-il décidé de la révision du traité de l'Union européenne afin de mettre en œuvre le mécanisme de stabilité et de discipline budgétaires que François Hollande faisait connaître sa volonté de renégocier les textes adoptés, ratifiés par le Parlement français, dès son entrée à l'Elysée, provoquant immédiatement l'ire de plusieurs dirigeants européens, dont la chancelière allemande Angela Merkel.





Dans un cas comme dans l'autre, l'Europe fait donc parler d'elle. Mais cela a un goût amer. L'Europe est ainsi servie sur un plateau aux électeurs français en guise d'exutoire de tout ce qui ne va pas en France. Il convient pourtant de se poser des questions : pourquoi l'Allemagne s'en sort-elle mieux que nous à tous points de vue ? Pourquoi est-elle en bonne santé économique, s'offre-t-elle luxe d'afficher un solde excédentaire de son système d'assurance maladie pour conserver facilement une notation AAA ? A priori pour ce pays, l'Europe n'a jamais constitué un obstacle voire une cause de tous les errements que nous constatons aujourd'hui en France sur l'ensemble de ces points.



Pourtant, après avoir vilipendé la volonté du candidat socialiste à l'élection présidentielle de ne pas respecter la parole de la France, Nicolas Sarkozy s'en prenait à son tour à l'Europe à travers les accords de Schengen sur la libre circulation des personnes. Adressant un ultimatum à peine voilé à ses voisins, le président-candidat les mettait en demeure de faire preuve d'une plus grande efficacité dans la régulation des flux migratoires, faute de quoi il ferait valoir une sorte de droit de retrait. Tout le monde en prenait pour son grade : les voisins européens accusés de laxisme, et, par ricochet, les socialistes accusés de vouloir régulariser massivement les étrangers en situation irrégulière.



Nicolas Sarkozy : un message politique fort



En exigeant à son tour la révision des accords de Schengen, en menaçant même de ne plus en respecter les termes, Nicolas Sarkozy a, paradoxalement, franchi un pas supplémentaire dans l'escalade « réformatrice » de l'Union européenne. Sans avoir besoin d'aller chercher bien loin l'objectif qui anime le président-candidat en l'espèce, l'ultimatum ainsi lancé à ses voisins européens, qui a certainement surpris les chancelleries, ressemble à s'y méprendre à la menace de mener une politique de la chaise vide, comme le fit le général de Gaulle du mois de juin 1965 au mois de janvier 1966 à propos de la politique agricole commune.



Nicolas Sarkozy irait-il jusque-là ? Que l'on apprécie ou pas la méthode, il est incontestable que le président de la République a su formidablement utiliser durant son quinquennat tous les leviers de l'Union européenne, notamment pour légitimer l'Europe sur la scène internationale, contribuer au sauvetage de la Grèce et de la zone euro qui était vouée à l'éclatement si, au final, la chancelière allemande avait campé sur son refus initial.



Ce faisant, il a donné un sens politique à l'action européenne que l'Europe communautaire avait perdue au cours de ces dernières années pour se renfermer sur sa technostructure. La politique a horreur du vide et le renforcement de l'intergouvernemental, avec la montée en puissance d'Herman Van Rompuy, président permanent du conseil européen, a eu comme corollaire l'affaiblissement continu de la commission européenne et de son président José-Manuel Barroso, qui n'a pas su défendre l'institution placée sous son autorité.



Entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, les autres candidats, en tout cas ceux qui sont des Européens convaincus, comme François Bayrou, ont des difficultés pour faire passer leur message. C'est dommage car l'Europe vaut mieux en effet. Rien n'est plus préjudiciable pour l'image de l'Europe que de la stigmatiser au moment des élections pour en fin de compte mieux s'y intégrer après…Car au final, il faut l'espérer, l'intégration européenne continuera après l'élection présidentielle. Autant jouer dès maintenant la transparence : c'est ce que réclame avant tout les Français.


Patrick Martin-Genier est Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris, Vice-Président et éditorialiste du site Fenêtre sur l'Europe.

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