Depuis la crise financière en 2008, il y a eu une convergence dans les niveaux européens et asiatiques des dépenses de défense. Bien que les niveaux de dépenses par habitant en Asie demeurent sensiblement inférieurs à ceux de l'Europe, la tendance actuelle en Asie des dépenses de défense va conduire à ce qu'elles dépassent celles de l'Europe, en termes nominaux, au cours de 2012, selon le rapport « Military Balance 2012 (1) publié récemment par l'Institut international pour les études stratégiques de Londres.
En Europe, les budgets de défense restent sous pression avec des coupes dans les programmes d'équipements ou dans les stocks d'armements. Entre 2008 et 2010, il y a eu des réductions des dépenses de défense dans au moins 16 Etats membres de l'OTAN. Dans une proportion significative d'entre eux, en termes réels, les baisses ont dépassé les 10 %.
L'effet de ces coupes dans les budgets des Etats européens a été mis en évidence par la campagne militaire en Libye, qui a souligné les lacunes existantes dans le ciblage, les avions ravitailleurs, et de le renseignement, la surveillance et la reconnaissance. Des questions ont été soulevées par exemple quant aux stocks de certaines nations en armes guidées de précision. Mais étant donné la pression continue sur les finances publiques européennes, il est peu probable que les budgets de défense inversent leur tendance à la baisse dans un avenir proche.
Certains pays européens étudient la mise en commun et le partage des ressources militaires (ce qu'on appelle « pooling and sharing »), de manière à économiser de l'argent tout en créant la même capacité, voire améliorée. Cela fait partie de l'initiative de «défense intelligente» (« smart defense ») proposée par le Secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen. Le « pooling and sharing » soulève des questions embarrassantes, comme celle de la dépendance mutuelle : certains Etats peuvent se demander si ils peuvent compter sur les autres pour mettre à disposition leurs capacités disponibles en cas de besoin.
Au sommet de Chicago en mai, l'OTAN identifiera les domaines des capacités dans lesquels les Etats pousseront l'initiative de «smart defense».
Alors que l'Occident réduit ses dépenses en matière de défense, l'Asie est de plus en plus militarisée, à la suite de la croissance économique rapide et des incertitudes stratégiques. En 2011, les dépenses de défense d'Asie ont augmenté globalement de 3,15 % en termes réels. La Chine, le Japon, l'Inde, la Corée du Sud et l'Australie ont représenté plus de 80 % du total des dépenses de défense en Asie.
Mais l'Australie, l'Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam vont tous investir dans l'amélioration des capacités aériennes et navales, comme l'Inde, le Japon et la Corée du Sud. L'Inde, par exemple, prévoit d'augmenter ses capacités maritimes en sous-marins et porte-avions.
La Chine, qui dépense le plus dans la région, a - selon les estimations de l'IISS - augmenté sa part des dépenses régionales à plus de 30 %. Les dépenses publiques de Pékin en 2011 ont représenté plus de 2,5 fois le niveau de 2001.
Il a été beaucoup porté attention aux porte-avions de la Chine et à l'avion de combat censé être furtif J-20. Mais les avancées technologiques de la Chine sont plus modestes que certaines hypothèses alarmistes sur son développement militaire ont suggérées. C'est une capacité naissante plus que réelle. La Chine, par exemple, ne dispose pas encore la capacité de faire décoller des avions de combat d'un porte-avions. Cependant, le développement par la Chine de capacités anti-satellites, de missiles balistiques anti-navires, de missiles de croisière, et de capacité de cyber-guerre est préoccupant.
Sa gamme croissante de plates-formes modernes renforce le changement progressif dans l'équilibre stratégique dans le détroit de Taïwan. De plus, les priorités stratégiques de l'Armée populaire de libération s'élargissent progressivement de la défense des frontières de la Chine à la projection de forces au sein de l'Asie orientale et plus loin, afin d'assurer la sécurité des voies de communication maritimes.
Autre domaine où l'Asie s'impose de plus en plus : les ventes d'armements
Les transferts d'armes conventionnelles dans le monde ont fortement progressé ces dernières années, l'Asie abritant les cinq plus gros importateurs tandis que les principaux exportateurs sont restés les Etats-Unis et la Russie, selon l'Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri). Sur la période 2007-2011, l'Asie et l'Océanie ont compté pour 44% des importations mondiales d'armements conventionnels en volume, loin devant l'Europe (19%), le Moyen-Orient (17% ) les Amériques (11 %) et l'Afrique (9 %), indique le rapport du Sipri, publié le 19 mars (2).
La Chine passe du statut de grand importateur à celui de grand exportateur La Chine, qui était le principal importateur d'armes sur la période 2002-2006, est
tombé à la quatrième place en 2007-11. La baisse du volume des importations
chinoises coïncide avec les améliorations de l'industrie d'armement de la Chine et de la hausse de ses exportations d'armes. Entre les périodes 2002-2006 et 2007-11, le volume des exportations d'armes chinoises ont augmenté de 95 %. La Chine se classe désormais au sixième rang des fournisseurs d'armes dans le monde, suivant de très près le Royaume-Uni. "Alors que le volume des exportations d'armements de la Chine est en augmentation,c'est en grande partie dû au fait que le Pakistan importe plus d'armes en provenance de Chine", affirme Paul Holtom, directeur du programme de recherche du SIPRI sur les
transferts d'armes. "La Chine n'a pas encore réalisé de percée majeure dans aucun autre marché important".
Ces tendances sont préoccupantes
La directrice de l'Agence européenne de la Défense, Claude-France Arnould, a entendu sonner l'alarme sur les dépenses militaires dans l'Union européenne, particulièrement en matière de recherche et technologie, lors du conseil des ministres de la défense, jeudi (22 mars), rapporte le blog Défense Bruxelles 2. (3)
"Les chiffres que nous avons sont « inquiétants sur la baisse des budgets, particulièrement en matière de recherche et technologie, et encore plus pour les projets menés en coopération" a-t-elle expliqué en une réponse de B2 lors de la conférence de presse qui a suivi le Conseil. On peut dire que nous avons atteint "le niveau d'alerte. Les chiffres sont alarmants".
Les budgets de recherche et technologie ont ainsi été réduits de 22 % les cinq dernières années selon une donnée agglomérant tous les chiffres des Etats membres (entre 2006 et 2010). Ceux-ci n'affectent ainsi qu'à peine 1 % de leur budget total de défense à la R&T (alors qu'ils s'étaient engagés à y consacrer 2%), soit 2,1 milliards d'euros en 2010. Quant aux projets de coopération, ils ne représentent plus que 12% du budget R&T (alors que l'objectif était de 20 %), soit 264 millions d'euros. Ce qui n'est pas grand chose ! La moitié de ces projets sont menés en bilatéral, essentiellement dans le cadre de la coopération franco-britannique ; pour nombre de pays (Italie, Espagne
), la coopération est faite de manière multilatérale par le biais de l'Agence européenne de défense. Le tout dans un contexte d'augmentation des budgets d'équipement (par effet de rattrapage sur les années précédentes)."
Cependant, d'autres tendances sont nettement plus favorables
Les 22 et 23 mars, les ministres des affaires étrangères et de la défense des 27 Etats membres de l'UE se sont rencontrés pour établir un bilan semestriel de la politique européenne de défense. A cette occasion, ils ont décidé de renforcer leur présence en Afrique, en prolongeant la mission Atalanta de lutte contre la piraterie, en activant le Centre d'opération pour la Corne d'Afrique c'est une première pour cet organe créé en 2003 (*) - et en demandant à la Commission européenne d'accélérer la mise en uvre d'une Stratégie pour le Sahel. Ils ont rappelé la nécessité de développer les pratiques de mise en commun et de partage des ressources militaires (ce qu'on appelle « pooling and sharing »), ainsi que les moyens militaires en eux-mêmes, afin de pouvoir mener à bien les missions opérées dans le cadre de la Politique commune de sécurité et de défense. Ils ont enfin renforcé les mesures à l'encontre des régimes syrien et iranien (4).
Un des exemples de cette mise en commun a été souligné, ce même 22 mars. Les 27 ministres de la défense ont signé une "déclaration politique" qui souligne "la nécessité de développer des solutions innovantes, économiques et flexibles dans un contexte financier difficile" dans le domaine du ravitaillement aérien. Ce projet, complexe à mettre en uvre, est l'une des initiatives portées par l'Agence européenne de la défense (AED) pour encourager les pays à renforcer ensemble leurs moyens militaires alors que les Etats-Unis se désengagent partiellement du continent. "Développer les capacités de ravitaillement en vol est considérée comme une priorité en Europe", a souligné Claude-France Arnould, directrice de l'AED. (5)
Rappelons que 11 projets de renforcement des capacités militaires ont été approuvés au Conseil des ministres de la Défense, le 30 novembre 2011.
Restons optimistes : l'Europe de la défense peut encore se construire mais le temps presse. Les contraintes budgétaires forcent les Etats à rationaliser leurs dépenses et travailler de plus en plus commun. Il n'y a pas d'autres alternatives en période durable de vaches maigres budgétaires.
La question demeure cependant : quand l'Europe va-t-elle comprendre qu'elle doit dépenser plus pour assurer la sécurité de ses citoyens ?
Edouard PFLIMLIN
Sources :
(1)http://www.iiss.org/publications/military-balance/the-military-balance-2012/press-statement/
(2)http://www.sipri.org/media/pressreleases/press-release-translations-2012/atlaunch_fre
(3)Budget militaire R&T : la cote d'alerte est atteinte, Bruxelles 2, 22 mars 2012, http://www.bruxelles2.eu/defense-ue/capacites-milit-%E2%80%93-exercices-ue/budget-militaire-rt-la-cote-dalerte-est-atteinte.html
(4)http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/EN/foraff/129252.pdf
(5)http://www.eda.europa.eu/News/12-03-22/Press_release_-_Pooling_Sharing_more_concrete_results_today
(*) http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/EN/foraff/129218.pdf
Edouard Pflimlin est chercheur à l'IRIS et chroniqueur à Fenêtre sur l'Europe.
Il est l'auteur d'une note pour la Fondation Schuman : "Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ?"
Lien : http://www.robert-schuman.eu/notes.php?num=33
Son dernier ouvrage : Edouard Pflimlin, "Le Retour du Soleil levant. La nouvelle ascension militaire du Japon", Ellipses, Paris, 2010, 220 pages, 19,50 euros.
http://www.editions-ellipses.fr/advanced_search_result.php?osCsid=0c99cfdfcc55b810ab32184c9fea36cd&keywords=pflimlin&osCsid=0c99cfdfcc55b810ab32184c9fea36cd&x=0&y=0