par Panayotis Soldatos, le mercredi 11 avril 2012

La crise dans la zone euro et les «dérapages» programmatiques et, parfois, tout simplement, d'imprudence oratoire, lors de campagnes nationales au sein de pays membres de l'Union européenne, campagnes, entre autres, à l'occasion d'élections fédérées (länder) allemandes et de l'élection présidentielle française, actuellement en cours, ont généré un vif débat sur la question du déficit de charisme et de capacité directionnelle européenne des leaders nationaux et ceci sur fond d'expérience historique.



1° De façon générale et mû par des réminiscences comparatives, on regrette alors l'absence de leaders historiques, tels que Schuman, Adenauer, Schmidt, Kohl, Mitterrand, signalant le déficit de stature politique et de capacité de mobilisation-dynamisation pro-européenne des leaders actuels, leur dystocie de projets européens et leurs «calculs comptables» de défense d'intérêts nationaux, leur démagogie électoraliste («acheter européen», voire «acheter national»; sanctuariser l'espace national devant les flux migratoires et le terrorisme international, notamment eu égard aux carences d'application des accords de Schengen; rouvrir le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire, fraîchement conclu; etc.), leur fixation sur le court terme. Parallèlement, on déplore la résilience des leaders de l'Union européenne devant l'incurie des dirigeants nationaux et on nourrit la nostalgie d'un Jean Monnet du temps de la Haute Autorité de la CECA ou d'un Jacques Delors du temps des années intégratives fécondes de la Commission européenne.


2° Certes, ces manifestations de mélancolie, de nostalgie, de ressentiments, d'insatisfactions, voire de désenchantement et de désaffection ont des sources conjoncturelles, jaillissant de la crise économique et financière dans la zone euro et des difficultés préexistantes ou afférentes des États membres. Cependant, l'essai d'identification de la responsabilité pour les carences de projets européens et, de façon corrélative, des conditions d'un meilleur leadership national et européen, par une recherche de personnalités dirigeantes charismatiques et volontaristes, porteuses de changement, est elliptique, pouvant même glisser sur le terrain de la quête d'expédients.
- En effet, la structuration économique mondiale, celle d'une globalisation transnationalisée, l'exacerbation de la concurrence, par la présence de nouvelles grandes puissances économiques, talonnées par des puissances émergentes, l'interpénétration inextricable des échanges économiques et des transactions financières, le chaos spéculatif de la finance internationale, la multiplication, à 27 États membres, des centres nationaux de décision et de leurs cycles de compétition électorale et, plus largement politique, l'intergouvernementalisation croissante du système institutionnel de l'Union européenne, l'absence de réelle fédéralisation des forces politiques européennes forment le substratum des contraintes structurelles-fonctionnelles de l'incurie du leadership national dans l'espace public européen, espace du reste fort réduit.
- Quant à la construction européenne, elle ne peut pas être davantage porteuse de leadership commun, innovant et décisif, vu les retards, les arythmies, les cacophonies structurelles et fonctionnelles des réformes institutionnelles de l'Union : la polyarchie du traité de Lisbonne (président du Conseil européen, président des sommets de la zone euro — bien que la deuxième fonction est actuellement cumulée par le premier--, président de l'eurogroupe, président de la Commission, président (rotation) du Conseil des ministres, président de la formation du Conseil «affaires étrangères», présidence du Parlement européen, «diluée-hypothéquée», dans ses rôles directionnels moteurs de mouvance intégrative, par l'accord d'alternance entre les deux principaux groupes politiques du PE, empreint de tractations qui sont loin d'être à l'abri d'un déficit démocratique), les difficultés d'unification du corps électoral européen, l'insertion croissante de la méthode intergouvernementale dans le processus décisionnel de l'Union, aux dépens de celle dite «communautaire», sont parmi les principales faiblesses institutionnelles de l'Union, hypothéquant tout leadership européen innovant et directionnel et tout contrepoids cohérent face à la cacophonie et aux «dérapages» des leaderships nationaux. C'est à ce niveau que l'on peut légitimement s'étonner de l'oubli, dans ce débat, de l'éloquente, «ô combien!», affirmation de Jean Monnet «rien n'est possible sans les hommes, rien n'est durable sans les institutions».
est Professeur émérite de l'Université de Montréal et
Professeur-Titulaire d'une Chaire Jean Monnet ad personam à l'Université Jean Moulin – Lyon 3


Panayotis Soldatos est Professeur émérite de l'Université de Montréal et 
Professeur-Titulaire d'une Chaire Jean Monnet ad personam à l'Université Jean Moulin – Lyon 3

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