1. Lancement du semestre européen : quid de la dimension sociale ?
Le démarrage du premier « semestre européen » se fait en trombe : la Commission européenne a déjà publié en ce début d'année trois documents-clés, l'examen annuel de la croissance accompagné du rapport sur l'état d'avancement de la Stratégie Europe 2020, du rapport macroéconomique et d'un projet de rapport conjoint sur l'emploi. L'objectif est clairement affiché : par l'avènement d'un nouveau cycle de gouvernance économique, l'Union européenne mise sur une croissance vigoureuse et durable.
Du diagnostic aux propositions
Quelle est la situation actuelle des marchés du travail ? Le projet de rapport conjoint sur l'emploi présente un diagnostic sur l'évolution structurelle des marchés du travail réaliste qui préoccupe : le taux de chômage de l'UE-27 stagne à 9,6 % depuis presque une année, l'emploi reprend une dynamique positive pour la première fois depuis deux ans néanmoins timide (+ 0,2%), le chômage de long terme est en hausse, l'éloignement structurel du marché du travail de catégories de population (les jeunes, les peu qualifiés, les immigrés) se confirme, l'augmentation de la productivité du travail est faible (+2%, après une période négative de six mois).
Deux éléments de constat émergent de ce projet de rapport : l'articulation formation-emploi d'une part et le débat sur la productivité du travail d'autre part. Concernant le triptyque formation-emploi-production, la crise a confirmé l'insuffisante adéquation entre offre et demande de compétences sur les marchés du travail nationaux. La Commission se veut néanmoins prudente en annonçant timidement l'existence éventuelle d'une "inadéquation entre les qualifications des personnes à la recherche d'un emploi et les compétences requises pour les emplois disponibles" alors que les projections mises en avant dans l'initiative New skills and Jobs en font état de façon criante.
Quoi qu'il en soit, elle se borne à une mention rapide du problème sans l'articuler avec les problèmes d'éducation et de formation.
La Commission entame également de façon inédite le débat sur les différentiels de productivité du travail en Europe et sur la dynamique salariale " importante pour corriger les déséquilibres internes et externes". Ainsi, "la correction durable des importants déficits accumulés de la balance courante et l'absorption de grandes poches de chômage passent par une évolution des coûts nominaux de la main d'uvre induisant, à moyen terme, une adaptation adéquate de la compétitivité des prix." Il manque cependant quelques indications chiffrées et comparables sur les différentiels de productivité du travail, problématique qu'il s'agira d'engager rapidement.
A partir de ce constat, les réformes structurelles des marchés du travail apparaissent évidentes : en les identifiant à juste raison comme l'un des éléments clés d'une approche intégrée de la reprise, aux côtés de l'assainissement budgétaire et des mesures de renforcement de la croissance, la Commission européenne présente quatre mesures prioritaires qui correspondent d'ailleurs aux objectifs mentionnés dans l'initiative-phare New Skills and Jobs .
Il s'agit en premier lieu de rendre les marchés du travail plus attractifs, en passant par une réorientation de la charge fiscale, par les abattements fiscaux et par l'investissement dans les structures de garde d'enfants. A défaut de viser à la requalification des chômeurs, le deuxième élément de réforme des marchés du travail correspond à la réinsertion des chômeurs selon l'approche du "Making Work Pay" qui part du principe selon lequel le fonctionnement des systèmes sociaux peut exercer une influence négative sur le comportement des acteurs du marché du travail.
En ce sens, on peut regretter le fait que la Commission se focalise davantage sur la diminution des revenus alternatifs au travail (revenu de remplacement et allocations chômage) que sur une augmentation des revenus nets issus de l'emploi et qu'elle n'évoque aussi pas la dimension requalification des chômeurs.
Il s'agit en troisième lieu de réformer les systèmes de retraite, objectif qui s'impose dans un contexte de vieillissement démographique et d'assainissement budgétaire : au programme, avancée de l'âge de départ à la retraite, réduction des systèmes de retraite anticipée, soutien au développement de l'épargne privée complémentaire, réexamen de la directive sur les fonds de pension et présentation des nouvelles mesures dans le cadre du suivi du livre vert sur les retraites. Enfin, il s'agit de poursuivre dans la voie de la conciliation entre la sécurité et la flexibilité. Soigneusement éludé des documents, le principe de flexicurité (qui n'apparait qu'une seule fois dans l'ensemble des textes diffusés) est abordé sous deux angles : d'une part, via les types de contrat de travail proposés (les CDI devraient être davantage utilisés) et d'autre part, via la simplification des systèmes de reconnaissance des qualifications professionnelles, priorité identifiée dans le Single Market Act du Commissaire Barnier et qui nécessitera un engagement fort des Etats pour l'engager.
Réalisation des objectifs UE2020 en matière d'emploi et d'éducation/formation : un échec annoncé
Qu'en est-il des mesures concrètes nationales ? Les mesures nationales concrètes révélées dans les projets de plans nationaux de réformes (PNR) semblent finalement bien éloignées des priorités structurelles identifiées par la Commission. Elles confirment ainsi les craintes de Fernando Vasquez qui avertissait aux EEE de Varsovie du risque que "les objectifs de la stratégie Europe 2020 ne soient pas pris en compte par les Etats membres et ne soient ainsi pas réalisés". Force est de constater que cela se confirme dans les PNR : aucun des objectifs en matière de taux d'emploi , de décrochage scolaire et de diplômés de l'enseignement supérieur ne sera atteint. En cause : des objectifs trop ambitieux, déconnectés des réalités, mais aussi un manque de volonté des Etats membres, qui ont pris des retards dans la définition même de leur propre taux objectif officiel. Nous n'en serions en fait, qu'à l'étape d'appropriation des objectifs par les Etats membres qui ne fournissent que des efforts de diagnostic. "L'analyse des projets de PNR révèle qu'en moyenne, une plus grande attention est accordée à l'analyse des défis actuels et des réponses possibles qu'à la définition de plans et mesures de réforme concrets. La plupart des projets de PNR n'indiquent pas clairement si les mesures décrites sont mises en place, ou au moins ajustées, en fonction des priorités de la stratégie Europe 2020 ."
Finalement, les résultats médiocres constatés dans les domaines de l'éducation et de la formation tout au long de la vie en 2010 seront très probablement reconduits d'ici à 2020. Or l'investissement social dans la formation et l'éducation est une priorité bien identifiée par Confrontations Europe et nécessaire pour créer les conditions d'une reprise économique durable et d'une relance du marché intérieur, dans un objectif de compétitivité. Où est donc l'esprit du SMA (Single Market Act) dans les documents de la Commission ?
L'éducation et la formation tout au long de la vie dans un esprit d'adapter en permanence les travailleurs aux nouveaux besoins et de les protéger des restructurations mal ou peu anticipées sont absentes des préoccupations immédiates.
De vives réactions Alors que le document devrait être présenté au Conseil le 4 février prochain, quelques députés socialistes et la Confédération européenne des syndicats (CES) ont vivement réagi aux recommandations de la Commission contenues dans ce premier examen annuel sur la croissance de l'UE. Devant le Parlement, le député britannique socialiste Stephen Hughes le qualifiera même d' "insulte aux droits socialement et économiquement essentiels des travailleurs, acquis de longue date et au principe même de la convention collective". La CES de son côté dans une lettre qu'elle a adressée au président Barroso, estime que le document "est une atteinte à l'Europe sociale, en net contraste avec l'approche accommodante et non interventionniste adoptée à l'égard de l'augmentation rapide des rémunérations les plus élevées, et notamment des primes bancaires."
2.Une Europe sociale qui se cherche : droits des travailleurs migrants et discrimination
Le 14 décembre 2010, le Parlement européen a rejeté la proposition de directive d'un permis unique de travail et de résidence pour les ressortissants de pays tiers, travailleurs immigrants non citoyens européens .
Les ambitions de la Commission européenne étaient pourtant à première vue louables : la proposition visait l'établissement d'un permis de séjour et de travail unique, ainsi que sa procédure d'obtention. Et malgré une série d'amendements introduits au rapport de la députée européenne PPE, Véronique Mathieu, les points de discorde entre les groupes politiques auront été décisifs sur l'issue du vote.
Pourquoi alors ce rejet ? La première raison est l'absence du respect de la mention "unique" dans le texte proposé. Une série de dérogations permet en effet d'exclure les travailleurs détachés, les travailleurs transférés au sein de leur entreprise, les travailleurs saisonniers, les réfugiés d'un champ d'application devenu très restreint et finalement résiduel, qui ne concerne que ceux que les directives sectorielles du plan d'action de 2005 ne touchent pas. La deuxième source de désaccord entre groupes politiques a porté sur l'égalité de traitement entre les ressortissants de pays tiers et les citoyens de l'Union européenne.
Pour l'Agence européenne des droits de l'homme (AEDH), la proposition n'était "que le prétexte d'instaurer une discrimination entre travailleurs, selon leur origine, leur statut administratif, leur qualification ou la nature de leur emploi", ce qui est en totale contradiction avec la Charte des droits fondamentaux et avec le modèle social européen que l'on cherche à bâtir.
Les députés européens ont ainsi voulu dénoncer cette partition de l'approche de la migration légale. Mais la Commission européenne n'a fait que s'adapter à la décision du Conseil et des Etats membres de 2001, qui ont refusé l'adoption d'une politique d'immigration légale horizontale qui aurait pourtant permis de proposer une législation applicable à tous les travailleurs en provenance de pays tiers. La raison principale du refus des Etats membres : une absence de consensus sur l'immigration de ressortissants de pays tiers peu qualifiés. L'approche verticale était donc inévitable et s'est traduite par l'adoption par la Commission européenne en 2005 d'un plan d'action relative à la migration légale.
D'ailleurs, la carte bleue européenne, officiellement mise en place depuis le 1er janvier 2010 est la première initiative sectorielle qui émerge de ce plan d'action. Deux autres propositions de directives, avec bien du retard par rapport au calendrier initial ont été récemment présentées et sont actuellement en discussion au Parlement. Elles concernent d'une part les travailleurs saisonniers, et d'autre part, les travailleurs transférés au sein de leur entreprise, travailleurs ressortissants de pays tiers.
Or les deux directives, qui visent à définir leurs droits et à établir une procédure commune d'entrée et de séjour dans l'UE en fonction de leur statut, ici saisonnier ou transféré, s'appuient sur les principes établis par la directive sur le détachement des travailleurs. Quand on sait les difficultés que cette dernière a à garantir son objectif initial de renforcer la protection des travailleurs dans le marché unique, du fait des arrêts rendus par la Cour européenne de justice, il y a de quoi s'inquiéter pour la construction d'un marché du travail européen qui fournisse une égalité de traitement à tous ses travailleurs !
Quoi qu'il en soit, même si les partenaires sociaux et fédérations européennes le souhaitent, il sera difficile voire impossible pour la Commission de se sortir de cette approche verticale, si les Etats membres ne le décident pas, option qui ne semble pas se dessiner à court et moyen termes.
3. Présidence hongroise de l'UE et mémorandum syndical
Janvier marque aussi le début de la présidence hongroise de l'Union européenne. Ses objectifs affichés en matière d'emploi et d'affaires sociales sont triples : tout d'abord, dans l'optique d'encourager la création d'emplois et la compétitivité durable, les initiatives-phares New Skills and Jobs et Youth on the move serviront de pilier. Il s'agit également au niveau législatif d'engager une révision de la directive sur la protection des travailleurs contre les risques du rayonnement électromagnétique et une extension de six directives du droit du travail aux travailleurs de la navigation maritime. Enfin l'heure sera au bilan : la présidence hongroise évaluera les résultats de l'année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion 2010. Une dernière tâche ardue puisqu'il faudra bien admettre les échecs en la matière : en ce début d'année, 84 millions d'Européens vivent en dessous du seuil de pauvreté (soit 17% de la population européenne totale) et un Européen sur dix vit au sein d'un ménage où personne ne travaille.
Dès la fin du mois de décembre, les partenaires sociaux ont remis à la présidence hongroise un mémorandum syndical dans lequel l'impact de la crise financière, économique et sociale, et l'Europe sociale et la dimension sociale du marché intérieur y sont abordés, aux côtés des thématiques sur le changement climatique et l'énergie, et sur l'élargissement, les relations commerciales et extérieures.
La CES souhaite s'assurer que les options de sortie de crise adoptées n'obèrent pas la dimension sociale de l'UE. En ce sens, elle propose que le plan de relance européen s'accompagne d'un "New Deal" social et écologique à hauteur de 1% du PIB de l'UE dans le but de stimuler l'emploi, les investissements et la croissance. La CES est revenue aussi sur la dimension sociale du marché intérieur, et en profite pour réitérer son appel à la Commission et au Conseil européens "d'agir de manière proactive pour protéger l'exercice des droits fondamentaux en adoptant tout d'abord une réglementation Monti II et en introduisant ensuite un Protocole de Progrès social dans les Traités."
La CES émet également des propositions sur toute une série de points clés du marché intérieur : services publics, sociaux et de santé, détachement des travailleurs, négociations collectives transnationales, directives sur le temps de travail et sur la portabilité des droits à pension complémentaire, migration.
Les clés sont désormais dans les mains de la présidence hongroise jusqu'à juillet prochain.
Paru dans Confrontations europe
http://www.confrontations.org/
Helène Zwick est chargée de recherches à Confrontations europe