par Baudouin Bollaert, le jeudi 31 mars 2011

Sale temps électoral pour Nicolas Sarkozy et Angela Merkel… Le chef de l'Etat français et la chancelière allemande semblent déjà victimes de l'usure du pouvoir. Mais alors que le premier remettra son titre en jeu dans un an, la seconde a encore presque trois années devant elle…


Pour tous les deux, les prochains mois seront acrobatiques. Nicolas Sarkozy devra ressouder ses troupes et, surtout, reconquérir une opinion de plus en plus allergique à son style. Angela Merkel, elle, devra refonder son alliance avec les libéraux et éloigner les rivaux qui, au sein même de la CDU, cherchent à l'écarter.

Et le couple franco-allemand, dans tout cela ? Sur le plan économique et financier, il donne toujours le ton pour sortir l'Union européenne de l'ornière. Entre hésitations et compromis, il a réussi à porter sur les fonts baptismaux le fonds de stabilisation et le pacte de compétitivité destinés à sauver la zone euro et assurer son développement. Ce sont peut-être les premières pierres d'un véritable "gouvernement économique"…

La prudence s'impose néanmoins. A Bruges en novembre dernier, Angela Merkel avait plaidé pour une "méthode de l'Union" donnant le rôle central au Conseil –donc aux Etats – n'ayant rien de commun avec la "méthode communautaire" inventée par Jean Monnet. D'où cette mise en garde de l'eurodéputée centriste Sylvie Goulard : "il n'est pas permis d'appeler « gouvernement » une laborieuse coordination à dix-sept, jusqu'à ce jour inefficace et, de surcroît, échappant à tout contrôle."

"A côté des Parlements nationaux", souligne-t-elle, il ne faudrait pas oublier que le Parlement européen est là pour assurer "la légitimation démocratique" de l'ensemble. Et, à l'instar du président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, ou de l'ancien ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, elle plaide pour une véritable "fédération budgétaire" encore en pointillés.

Le couple franco-allemand inquiète davantage sur les autres grands dossiers du moment. Qu'il s'agisse de l'avenir du nucléaire ou de l'intervention militaire en Libye, les divergences sautent aux yeux. A tel point que les deux pays, pour beaucoup d'observateurs, ne paraissent plus unis que par la seule fragilité de leurs dirigeants…

A l' "Europe puissance" prônée depuis des années par la France, sans que l'on en comprenne très bien le contenu, l'Allemagne oppose plutôt le concept d'une "grande suisse" pacifiste et écologiste. Pour Anne-Marie Le Gloannec, directrice de recherche à Sciences-Po, l'Allemagne n'a plus que deux horizons : l' "horizon national, voire régional", d'une part ; l' " horizon lointain, celui de la globalisation, avec la Chine en point de mire," d'autre part. Entre ces deux dimensions, estime-t-elle, "il n'y a plus d'Europe."

A trop simplifier, on risque certes de trahir la réalité. L'Allemagne, par exemple, a trop besoin du marché intérieur européen à l'intérieur duquel elle réalise 70% de ses exportations pour laisser tomber la Grèce, le Portugal ou l'Irlande… Depuis plus de cinquante ans, la construction européenne fait partie de son ADN. Mais elle n'est plus aussi "intégrationniste" qu'avant. Et, en cela, elle rejoint la France qui a toujours préféré l'Europe gaullienne à l'Europe de Jean Monnet…

Alors, fini le rêve de cette "Union de plus en plus étroite" dont parlent les traités ? Paradoxe ou pas, le dossier turc permettra d'y voir plus clair. Pour l'instant, Français et Allemands disent "non" à l'adhésion d'Ankara en défendant une certaine idée de la construction européenne. S'ils changent d'attitude, ce sera la preuve définitive que l' "Europe grand marché" l'a emporté sur l' "Europe politique".


Baudouin Bollaert est professeur à l'Institut catholique de Paris et ex-rédacteur-en-chef au Figaro.


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