par Romain Su, le vendredi 29 avril 2011

Il y a un peu plus d'un an jour pour jour, le parti conservateur Fidesz connaissait un triomphe électoral qui l'a conduit à contrôler près des deux tiers du Parlement hongrois. Depuis lors, le gouvernement de Viktor Orbán n'a cessé de défrayer la chronique, que ce soit dans ses relations avec ses voisins immédiats ou dans le cadre de l'Union européenne dont il préside du reste actuellement le Conseil. Retour sur les épisodes malheureux d'une année de pouvoir du Fidesz.


Spécialité charcutière d'origine italienne, le salami est aussi célèbre chez les historiens pour avoir inspiré à la fin des années 1940 une tactique de prise du pouvoir. La paternité de l'expression reviendrait au dirigeant communiste hongrois d'alors, Mátyás Rákosi, staliniste fervent qui était parvenu à éliminer « tranche après tranche » toutes les sources d'opposition potentielle au nouveau régime imposé par l'Union soviétique.

Quoique la Hongrie d'aujourd'hui ne s'apparente heureusement pas à son prédecesseur du temps de la guerre froide, l'avalanche de lois et de réformes votées par le Fidesz depuis son retour au pouvoir en avril 2010 et la mise sous tutelle progressive de la plupart des contre-pouvoirs nécessaires au fonctionnement d'une démocratie digne de ce nom autorisent malgré tout quelques analogies avec l'ancienne tactique du salami.

La première cible de l'activisme du gouvernement a été la Cour constitutionnelle, punie pour avoir censuré une loi controversée sur l'imposition à 98% des indemnités de départ des fonctionnaires. En novembre dernier, elle s'est vue dessaisie de sa compétence en matière budgétaire et fiscale ainsi que sur les questions relatives à la sécurité sociale et au droit de propriété. Des exceptions sont toutefois admises lorsque sont en jeu les "droits de l'homme, le droit à la vie et à la dignité" ou bien la "liberté de religion et de conscience " mais on imagine mal comment elles pourront être soulevées à propos de sujets d'ordre financier.

DES CONFISCATIONS À LA LÉGALITÉ DOUTEUSE

Cet obstacle levé, les autorités se sont efforcées de résoudre à-bras-le-corps le problème du déficit public au moyen d'un dispositif pour le moins radical : la nationalisation de facto de l'épargne retraite des travailleurs hongrois. Rappelons que comme la plupart des pays d'Europe centrale et orientale, la Hongrie avait mis en place à la fin des années 1990 un système de retraite dit "par piliers", conformément aux recommandations de l'OCDE. Ce modèle, qui combine répartition et capitalisation, se veut plus robuste que les systèmes exclusivement basés sur l'un ou l'autre mode de financement mais aussi plus souple dans la mesure où il contient un volet volontaire qui permet aux salariés de procéder eux-mêmes à l'arbitrage entre revenu immédiatement disponible et revenu futur.

Une loi votée en novembre a cependant mis en partie fin à ce système en posant aux assurés sociaux un ultimatum. Pour espérer pouvoir bénéficier au moment du départ à la retraite du pilier obligatoire de répartition, qui pèse pour près de 70% dans le montant des pensions, les salariés ont dû y transférer leur épargne retraite. Autrement dit, ils ont échangé des espèces sonnantes et trébuchantes – soit un pactole de 11 milliards d'euros – contre des droits à la retraite dont on sait qu'ils pourraient ne pas être honorés en raison de la situation démographique très préoccupante de la Hongrie. Si la mesure permet à l'État de retrouver à court terme l'équilibre budgétaire, elle est par définition à usage unique et reste sans effet sur le déficit structurel des comptes publics, une question récurrente quand on sait que la Hongrie n'a eu aucun budget proche de l'équilibre depuis 1995 au moins (Eurostat ne fournit pas de données antérieures).

Toujours dans le but de restaurer temporairement l'état des finances publiques, les autorités hongroises ont décidé de lever un "impôt de crise" sur certains secteurs d'activité comme l'assurance, la banque, l'énergie, la grande distribution ou encore les télécommunications. Coïncidence troublante, ce sont souvent des métiers essentiellement contrôlés par des entreprises étrangères. Celles-ci ont donc décidé de porter plainte pour discrimination devant la Commission européenne, qui est en train d'étudier le dossier.

LES MÉDIAS ET L'APPAREIL D'ÉTAT MIS SOUS TUTELLE

Dans un autre registre qui a davantage attiré l'attention, le Parlement hongrois a approuvé à quelques jours de Noël une loi qui instaure une Autorité nationale des médias et des communications (NMHH) et lui donne le pouvoir de sanctionner l'auteur de tout contenu "politiquement partial", "contraire à la dignité humaine" ou bien incitant à la haine contre des individus ou des communautés. Les amendes, pouvant atteindre 700 000 euros, devront être payées avant l'exercice du recours judiciaire, ce qui revient à mettre en faillite les contrevenants éventuels.

De l'avis même de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le texte constitue une "menace pour la liberté de la presse". Devant les protestations de nombreux pays européens ainsi que des instances de l'UE, le gouvernement hongrois a été contraint de revoir partiellement sa copie mais la NMHH n'en demeure pas moins contrôlée par des proches du pouvoir et ce, pour une durée de neuf ans. Plus largement, le Fidesz a placé au sommet de la plupart des grandes institutions publiques des personnalités qui lui sont favorables, de sorte qu'il pourra prolonger son influence au-delà de la durée de la législature.

Avec l'adoption par l'organe législatif d'une nouvelle Constitution la semaine dernière et sa ratiication hier lundi 25 avril par le président de la République Pál Schmitt, la boucle est presque bouclée. Outre des dispositions relativement rétrogrades sur la religion, la famille et l'avortement, elle contient un article qui donne au Conseil budgétaire, une institution aux mains des partisans de Viktor Orbán, la possibilité de demander au chef de l'État la dissolution du Parlement si celui-ci vote un budget jugé "non conforme". Si la camisole a certes vocation à s'éteindre lorsque la dette publique retombera sous le seuil des 50% du PIB, il faut signaler qu'elle avoisine aujourd'hui les 80%. Autrement dit, elle n'est pas prête de disparaître.

Le Fidesz aura beau jeu de se défendre en opposant aux "libéraux" la légitimité des urnes et la légalité de la procédure suivie pour adopter cette nouvelle Constitution. Pourtant, indépendamment du respect des règles formelles, le refus de la plupart des autres partis représentés au Parlement de cautionner un texte aussi fondamental pour l'existence de tout État-nation ne peut que l'entacher de lourds soupçons d'illégimité. Le Fidesz doit se rappeler que l'exercice des pleins pouvoirs par un seul parti, même oint par le suffrage universel, ne mérite pas le qualificatif de démocratique et Viktor Orbán, qui a lutté contre la dictature communiste, est bien placé pour savoir ce que signifie l'absence de contre-pouvoir dans un régime politique. En adhérant à l'Union européenne, la Hongrie s'est liée par un certain nombre de principes, comme Ulysse au mât de son navire. On attend maintenant des institutions de l'Union, moins sensibles au chant des sirènes, qu'elles remplissent leur devoir.


Romain Su est étudiant en Master 2 « Politiques Européennes » de l'IEP de Strasbourg

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