Les dépenses de prise en charge de la dépendance des personnes âgées, c'est-à-dire des personnes en perte d'autonomie physique ou psychique, vont doubler, voire tripler dans les pays de l'OCDE d'ici 2050, prévient l'OCDE dans un rapport (1) publié mercredi 18 mai, appelant les Etats à améliorer leur gestion en la matière et à mieux aider les acteurs du secteur.
En 2008, ces dépenses ont représenté en moyenne 1,5% du PIB des pays de l'OCDE. Elles se sont échelonnées de 0,1% du PIB au Portugal à 3,6 % en Suède, la France étant proche de la moyenne avec 1,7 %. La forte hausse est due au fait que la population âgée de 80 ans et plus devrait passer de 4 % à près de 10 % sur la même période. L'OCDE appelle à donc à réagir.
"Cette rapide hausse des coûts impose aux pays une optimisation des dépenses de prise en charge de la dépendance", estime Angel Gurría, Secrétaire général de l'OCDE. "Les politiques manquant de cohérence qui sont en place dans de nombreux pays doivent être revues pour stimuler la productivité et épauler les aidants familiaux, qui constituent l'épine dorsale des dispositifs de prise en charge de longue durée."
Actuellement, au sein de l'OCDE, quelque 70 % des personnes dépendantes sont prises en charge à domicile, un système moins coûteux que la prise en charge en établissement, qui, bien que moins utilisée, absorbe 62 % des dépenses. Et plus d'un adulte sur dix s'occupe d'une personne fragilisée.
AIDER LES AIDANTS
Mais, note l'OCDE, "la disponibilité d'aidants familiaux potentiels devrait se contracter du fait du taux d'activité en hausse des femmes" et parce que "les politiques sociales n'encouragent plus la retraite anticipée". Pour maintenir le ratio actuel aidants familiaux/personnes dépendantes, "il faudrait dans certains pays augmenter le nombre de ces aidants de 20% à 30%", relève l'OCDE.
Or, selon le rapport, le soutien qui leur est accordé
Pourtant, les épauler est une "solution triplement avantageuse" : pour les aidants, les "bénéficiaires des soins qui préfèrent que des proches et des amis s'occupent d'eux", et enfin pour les finances publiques. L'organisation basée à Paris suggère de fournir aux aidants "des prestations en espèces", "un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée", notamment en adaptant les aménagements du temps de travail, ou encore de proposer "des services de soutien" (formations, accompagnement psychologique, etc.). Elle souligne aussi qu'"il est important de ne pas trop utiliser cette main-d'uvre informelle" et juge que "de nombreux pays doivent renforcer leur secteur formel" qui emploie aujourd'hui entre 1 % et 2% de la population active.
Pour "satisfaire la demande future" d'aidants, l'OCDE préconise de solliciter davantage d'"aidants formels migrants", déjà bien présents dans de nombreux pays (un sur quatre aux Etats-Unis et au Royaume-Uni et jusqu'à un sur deux en Autriche, Grèce, ou Italie). Ils suggèrent notamment d'augmenter le nombre de permis de travail qui leur sont accordés.
La situation de la France est plutôt flatteuse. Les auteurs du rapport situent notre pays dans le haut de la fourchette en matière de gestion de la dépendance, derrière le Japon qui "fait beaucoup" pour les travailleurs du secteur, et les pays nordiques, même si leur mode de gestion "coûte beaucoup plus cher".
Parmi les points positifs pour la France, l'OCDE note que les dépenses devraient y doubler plutôt que tripler et salue un "exemple d'universalisme ciblé", avec l'Allocation personnalisée d'autonomie (3) "qui varie selon les besoins et la capacité à contribuer". Ils notent aussi que la France est le pays ayant le marché de l'assurance-dépendance le plus développé, 15 % de la population de 40 ans et plus ayant une couverture de ce type, devant les Etats-Unis où ce taux est de 5 %, jugeant toutefois que ce type d'assurances privées restera sans doute un phénomène de "niche" au sein des 34 pays de l'OCDE.
Ces projections plutôt avantageuses pour la France sont confirmées par l'Insee et la DREES. Le financement public de la perte d'autonomie des personnes âgées va croître dans les trente prochaines années mais à un rythme supportable, selon les projections de l'Insee et de la DREES présentées mercredi à un groupe de travail sur la dépendance.
"Les chiffres ne sont pas très élevés; ça monte modérément jusqu'en 2025 et de façon un peu plus accentuée jusqu'à 2040 mais si l'on ramène cela au PIB 2010 cela fait grosso modo dix milliards d'euros à trouver en 30 ans", a expliqué à l'AFP le président du groupe de travail, l'économiste Jean-Michel Charpin, ancien directeur général de l'Insee.
RISQUES DE SANTÉ ET RÉTICENCES
Cependant, cet avenir est loin d'être « rose ».
En effet, les personnes qui aident un proche dépendant s'exposent à des risques de problèmes de santé mentale accrus de 20 %, signale l'OCDE dans son rapport, appelant les pays de la zone à ne pas trop se reposer sur ces "aidants familiaux". Ce phénomène s'explique par le fait que "s'occuper plus de 20 heures par semaine d'une personne âgée est physiquement dur et mentalement stressant".
En outre, indique l'organisation, les aidants "ont moins de chances d'occuper un emploi qu'un non-aidant, et, s'ils en occupent un, ont plus de chances de travailler à temps partiel et moins d'heures. Ils sont également confrontés à un risque plus élevé de pauvreté". Face à ce problème, les Français sont dans la moyenne, aux côtés des Britanniques et des Espagnols.
Une étude récente TNS Sofres (2) publié lundi 16 mai 2011 souligne aussi que plus d'un Français sur deux (55%) ne se sent pas capable de prendre en charge une personne âgée dépendante et 67 % se disent insatisfaits de l'action des pouvoirs publics dans ce domaine. Ce sentiment est particulièrement aigu chez 28 % des personnes interrogées, qui se disent "totalement démunies" devant une telle éventualité. Sur le plan financier, 42 % des personnes qui ont répondu se disent incapables de s'acquitter du coût mensuel moyen de 2.200 euros pour un hébergement en maison de retraite si un de leurs parents devait avoir recours à cette solution.
Seuls 14% des parents des personnes interrogées pourraient payer eux-mêmes leur séjour en maison de retraite, 29% seraient contraints de vendre une partie ou la totalité de leur patrimoine, et 10 % se feraient financer par leurs enfants.
Au total, seuls 43% pourraient payer eux-mêmes la maison de retraite, 53% si leurs enfants les aidaient financièrement.
Une large majorité (67%) juge qu'à l'heure actuelle la prise en compte des personnes âgées par les pouvoirs publics n'est pas satisfaisante.
Ce sentiment d'insatisfaction, qui augmentait d'année en année depuis le lancement de ce baromètre en 2003, a toutefois reculé de quatre points cette année, où un débat national sur la dépendance a été lancé, et est revenu au même niveau que celui constaté en 2007.
Les rapports des groupes de travail, dans le cadre du débat national en France sur la dépendance voulu par le gouvernement devront être rendus fin juin. Les premières mesures décidées par l'exécutif seront incluses dans le projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale (PLFSS).
Les pouvoirs publics doivent donc encore accroître leurs efforts pour que la prise en charge des aînés soit mieux assurée sur tous les plans.
Sources : AFP, OCDE, TNS Sofres, Sénat
(1) Le rapport de l'OCDE sur la dépendance :
http://www.oecd.org/document/2/0,3746,fr_21571361_44315115_47905474_1_1_1_1,00.html
(2) Etude TNS Sofres : « Les Français et le grand âge »
http://www.tns-sofres.com/points-de-vue/9D4E933F1FD44EA3A62E40A67812EE3F.aspx
(3) Les chiffres clés de la dépendance en France :
Les personnes dépendantes:
- Au 31 décembre 2009, 1,2 million de personnes touchaient l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA): environ 700.000 à domicile et 440.000 en établissement, selon les chiffres officiels.
Créée en 2002, elle est réservée aux plus de 60 ans après une évaluation médico-sociale du niveau de dépendance. Versée par le département, elle varie entre 530 et 1.235 euros suivant le degré de dépendance et le lieu de résidence (domicile ou établissement).
- Les plus de 60 ans devraient représenter un tiers des Français en 2035 et les plus de 75 ans 11,9 millions, selon l'Insee.
- On estime à 800.000 le nombre de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de troubles apparentés.
- Selon les projections de l'un des groupes de travail ministériels, la France comptera jusqu'à 2,3 millions de bénéficiaires de l'APA en 2060.
Les dépenses publiques:
- L'Etat, les collectivités, la Sécu consacrent à la dépendance aux environs de 25 milliards d'euros par an. Des projections, reprises par le gouvernement, tablent sur un besoin annuel accru de 10 milliards dans 15 ans.
Rapport d'information fait au nom de la mission commune d'information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque, 26 janvier 2011, Sénat.
http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-263-notice.html
Edouard PFLIMLIN est journaliste et chercheur associé à l'IRIS
(http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=pflimlin).
Il est l'auteur d'une note pour la Fondation Robert Schuman : « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? ».
Il a écrit dans l'ouvrage dirigé par Gaïdz Minassian, "Eurasie. Au cur de la sécurité mondiale", publié en avril 2011 aux Editions Autrement, un chapitre sur "le renouveau de l'architecture de sécurité européenne".
Son dernier livre : « Le retour du Soleil levant. La nouvelle ascension militaire du Japon » est paru en juin 2010 aux Editions Ellipses.
http://www.editions-ellipses.fr/fiche_detaille.asp?identite=734