« A sa session de printemps, le Conseil régional d'Aquitaine a pris connaissance du tableau complet des aides aux entreprises accordées par la région. C'est une panoplie qui comprend plus de 300 régimes différents vous avez bien lu : 300 régimes. Les autorités régionales en sont fières, mais elles sont pourtant trop modestes puisque, la Cour des Comptes en évalue quelques dizaines de plus. De la même manière, nous avons appris que l'éventail des aides aux jeunes comportait 54 mesures différentes. Encore s'agit-il, dans les deux cas, des seules aides régionales, auxquelles s'ajoutent les aides nationales, départementales, communales et même européennes, même si beaucoup de régimes sont en commun.
Nos compatriotes sont incités à tout, mais par des moyens différents : à épargner comme à consommer, à embaucher des jeunes, des seniors et des handicapés, à rechercher, à innover, à se former, à profiter des RTT comme des heures supplémentaires ; à investir en centre ville, en banlieue et en zone rurale, dans le bio et dans le stratégique, tout seul, en partenariat ou en cluster, dans l'exportation comme dans la reconquête du marché intérieur ; à devenir propriétaire comme à devenir locataire, à vivre au pays et à étudier à l'étranger, etc. Et les élus de s'auto-féliciter : tout est prévu, tout est financé, tout est accompagné.
Mais pourtant, en dix ans, la richesse produite en Aquitaine est restée inférieure à celle de la moyenne de la zone euro, et le taux de chômage de nos jeunes reste au niveau scandaleusement élevé de la moyenne nationale, autour de 25%. Tout se passe comme si les élus se donnaient des objectifs de moyens (sur les motifs et le montant des dépenses publiques), sans véritablement s'intéresser aux résultats : vrais emplois créés, valeur ajoutée supplémentaire, renforcement de la base productive régionale, valorisation de nos ressources humaines, attractivité du territoire pour les investissements et les talents, compétitivité par rapport aux régions comparables et concurrentes.
L'Aquitaine est un reflet, porté à la caricature, d'un mal, hélas plus répandu en France : l'addiction aux aides publiques. Certes, le phénomène est une dérive inhérente à la démocratie : pour séduire les électeurs, chaque candidat est tenté irrésistiblement de tout promettre, et ses auditeurs aiment à céder à ces chants de sirènes. Il est aggravé par la tradition proprement française qui fait de l'Etat et, plus généralement de la puissance publique, y compris les collectivités locales le chef d'orchestre légitime de toute la vie économique et sociale. Colbertisme, gaullisme, socialisme se retrouvent dans une vision de l'économie selon laquelle les impulsions, les innovations, les orientations viennent du centre, ou du sommet, mais toujours de la politique : le « marché » n'est qu'un instrument aveugle, une sorte de mal nécessaire parce que le reste du monde s'en satisfait, une jungle dans laquelle les braves petits Français auraient besoin de leur guide national pour leur donner la boussole, l'itinéraire, le véhicule, le ravitaillement, le réconfort. Et, trop souvent, la voiture-balai
Cette philosophie nous conduit à deux phénomènes complémentaires aux effets parfaitement contradictoires : d'un côté, la multiplication des contraintes auxquels sont soumis les acteurs du marché, tous « suspects ». Notre Code du travail est le plus volumineux du monde industriel, et ce qu'il permet encore sera bientôt proscrit par les règles environnementales qui prolifèrent vertigineusement à Paris comme à Bruxelles. D'où, de l'autre, la volonté d'aider les « gentils entrepreneurs » qui sont potentiellement les mêmes que les « méchants capitalistes ». Et la spirale s'autoalimente : toujours plus de contraintes, toujours plus d'aides pour en atténuer les effets négatifs, toujours plus de contrôles pour éviter les effets d'aubaine, toujours plus de mesures pour
simplifier les dispositifs antérieurs.
Ce faisant, nous alimentons une double machine infernale.
La première, c'est évidemment la machine à augmenter la dépense publique, donc les impôts et/ou la dette publique. Par l'effet direct de ces aides. Mais plus encore, par l'effet indirect de la création de services nécessaires pour instruire, pour expertiser, pour gérer, pour contrôler, pour coordonner. Des services administratifs qui fonctionnent selon le statut et la « culture » de la fonction publique française, donc profondément hostiles à leur propre réforme lorsqu'ils ont réussi leur mission. On empile des administrations qui, au bout d'un moment, contribuent inconsciemment à entretenir le problème pour justifier leur propre maintien en vie. Qui a osé faire le bilan, en termes d'emplois administratifs, des transferts de compétences qui ont eu lieu, en France, des communes vers les intercommunalités, puis de l'Etat vers les régions, et de Paris vers Bruxelles ? Alors que ces transferts de pouvoirs étaient justifiés pour dépenser moins ou mieux, l'effet global est une nouvelle floraison bureaucratique qui intervient au plus mauvais moment pour notre pays. Et pourtant, jamais la décentralisation et la construction européenne n'ont été aussi nécessaires.
Le second effet, plus pervers, est encore plus grave.
C'est la déresponsabilisation des acteurs économiques. Le vrai chef d'entreprise, celui qui a un tempérament de créateur, ne va pas passer son temps à analyser 300 régimes d'aide, à tirer les sonnettes des dizaines de distributeurs d'argent public. Son temps, son énergie, sont concentrés sur son métier : inventer, produire, diriger, séduire, gagner. Trop souvent, les autres découvrent que leur modèle économique est mal pensé le jour où les aides cessent. On entend alors : "On nous a encouragés à nous lancer dans ce projet, cette production, cet investissement, cette recherche, cette formation et ça ne marche pas !" Quant aux jeunes, auxquels sont offerts 54 coups de pouce, combien d'entre eux, osent pourtant dire "on ne fait rien pour nous !" Rien d'efficace.
100 milliards de déficit budgétaire prévus pour 2011. Plus de 50 milliards de déficit commercial. Il est grand temps de comprendre que ces carences jumelles sont les symptômes d'un même mal : l'addiction française. Et de commencer à s'attaquer à ses causes, et plus seulement à l'eczéma superficiel.
publié sur le site d'Alain LAMASSOURE
Alain Lamassoure, est ancien ministre français des Affaires européennes puis du Budget, ancien membre de la Convention européenne. Actuellement député européen (Parti populaire européen, PPE), il est vice-président de la délégation française du groupe PPE et Président de la Commission des Budgets du Parlement européen.
http://www.alainlamassoure.eu