par Jean-Pierre Rochette, le lundi 08 août 2011

En tant qu'experte du crédit responsable et de la restructuration de crédit, la banque du Crédit Municipal de Paris commente le rapport du Comité chargé de préfigurer la création d'un registre national des crédits aux particuliers. Acteur de la lutte contre le surendettement, CMP Banque examine chaque année plusieurs dizaines de milliers de cas de personnes malendettées. Selon Jean-Pierre Rochette, Directeur Général de CMP Banque, le rapport du Comité chargé d'étudier la mise en place d'un fichier positif, apporte des recommandations qui permettent de mieux cerner les enjeux d'un tel projet.






Un double objectif : protéger et responsabiliser l'emprunteur, informer le prêteur

Actuellement, le système d'attribution des crédits repose largement sur le principe « déclaratif », or les déclarations inexactes sont fréquentes (risque généralement pris en compte par les établissements). L'objectif du fichier positif est de réduire l'écart entre la déclaration des emprunteurs au moment de leur demande de crédit et la réalité de leurs engagements financiers et de ce fait, d'informer le prêteur de façon simple et rapide sur la situation d'endettement du client. En réduisant le nombre de déclarations erronées, la mise en place d'un tel fichier permettrait à la fois de protéger et de responsabiliser l'emprunteur.

1. Une opération techniquement complexe

Les données du fichier s'annoncent très détaillées et ses contenus, peut-être trop ambitieux ; le coût envisagé par le rapport pour la création d'un tel outil en démontre clairement la complexité, aussi bien en termes d'investissement que de fonctionnement.

2. Le problème de l'accès aux données

La création du fichier comporte un double risque :

- risque d'indiscrétion inévitable sur 25 millions d'emprunteurs alors que la population jugée « à risque » est déjà largement identifiée au travers des fichiers d'incidents, le FICP ou le FCC (cf. notes ci-dessous).

- risque d'utilisation commerciale : dérives d'utilisation à des fins marketing voire de violation des principes du secret bancaire, même si le rapport prévoit des garde-fous.

3. Une solution utile mais nécessairement incomplète

Le projet de création du fichier positif est motivé par l'idée que le surendettement n'est pas exclusivement lié aux accidents de la vie. Toutefois, la seule consultation du taux d'endettement des emprunteurs ne permet pas de cerner leur situation budgétaire ni leur capacité réelle de remboursement : le fichier ne peut pas intégrer les « charges contraintes » (abonnements téléphoniques, factures énergétiques, loyer, etc.) qui sont essentielles au calcul du « reste à vivre ». Le fichier ne suffit donc pas à appréhender la solvabilité réelle des emprunteurs.

Pour être efficace, c'est à dire pédagogique, ce fichier devrait être accessible par les seuls emprunteurs afin d'en connaître le contenu puis de le communiquer aux prêteurs au moment de leur demande de crédit. Un pas supplémentaire vers la responsabilisation des candidats à l'emprunt qui les inciterait à réaliser un diagnostic de leur endettement, d'éviter certaines dérives liées aux achats compulsifs et d'enrayer l'accumulation de crédits de trésorerie. Ce mode de consultation permettra en outre d'inviter les particuliers à restructurer leurs dettes si leur situation est critique. Enfin, il permet aussi de réduire les risques d'indiscrétion ou de détournement commercial des données privées.

4. Le coût de l'opération

A la lecture du rapport, les frais envisagés pour la mise en place de ce fichier semblent très importants (entre 525 et 820 millions d'euros pour sa mise en place, à quoi s'ajoutent des charges annuelles de fonctionnement de 37 à 76 millions d'euros – cf. p.93). Un coût étonnamment élevé qui souligne la complexité de l'opération et invite à s'interroger sur sa faisabilité.


Cette étude très approfondie fait ressortir, bien plus qu'on le pensait, la difficulté de ce projet. Avant de lancer une telle entreprise, commençons par mesurer, comme cela a déjà été suggéré, l'impact de l'ensemble des mesures d'ores et déjà mises en place par la loi Lagarde. En corrélation avec ces réformes protectrices, le véritable enjeu de la lutte contre le surendettement est de responsabiliser les clients par la voie de l'éducation financière et de n'octroyer de crédit que dans le cadre d'un échange direct avec un professionnel.


Jean Pierre Rochette est Directeur Général de la Banque du Crédit Municipal de Paris. 

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