par Panayotis Soldatos , le lundi 29 août 2011


A.- La logique constitutionnelle de réduction du déficit démocratique d'un système superposé, en l'occurrence communautaire européen.

Les tenants d'un rôle, sans cesse croissant, des parlements nationaux dans la Communauté et, maintenant, dans l'Union européenne ont réussi, avouons-le, à mettre de l'avant une finalité de réduction du déficit démocratique de la CE/UE, un grand nombre d'entre eux dissimulant leur principal objectif, celui du ralentissement de la mouvance supranationale et de la parlementarisation de la construction européenne, voire sa renationalisation.

1° Certes, la question du déficit démocratique de la CE s'est vite posée à divers niveaux de son architecture institutionnelle, étant même consubstantielle à ses prémisses de fondation. En effet, le triple souhait des pères fondateurs d'introduire, dans le schéma des pouvoirs publics communautaires, une importante dose de rationalité intégrative (Commission et Cour de Justice), d'exercice en commun de droits souverains (Conseil) et de dépolitisation du processus (Commission supranationale), pour éviter des affrontements d'intérêts nationaux; Assemblée non directement élue, pour ne pas s'engager, de façon prématurée, dans des débats électoraux et dans des controverses politiques sur une voie de fédéralisation, avec un vrai parlement européen, élu et légiférant), explique le déficit démocratique initial du système communautaire.

Dans une telle approche pragmatique de fondation, le déficit démocratique initial des institutions européennes était justement issu de leur légitimité indirecte, jugée, précisément, insuffisante – déficitaire, du point de vue de la culture politique des États membres --, puisque basée sur une légitimation en provenance des institutions nationales (Commission nommée par les gouvernements démocratiques des pays membres; Conseil composé de ministres bénéficiant d'une légitimité dans leur système national; Assemblée parlementaire composée de représentants des parlements nationaux).


2° Le remède, dans une optique toujours conforme à la culture politique des États membres, résidait dans une légitimation des institutions de la CE, certes processuelle, autonome et aux sources propres, c'est-à-dire communautaire, avec, pour l'essentiel, à terme, un législatif de type bicaméral, dont la chambre basse serait issue du suffrage universel, et un exécutif émanant du législatif et responsable devant lui. Et c'est justement ce processus qui s'est mis en marche lorsque la volonté politique l'a permis, en 1976, par l'Acte d'élection du Parlement européen au suffrage universel, en 1979 par la première élection directe de députés européens, en 1992 par le traité de Maastricht, introduisant les premiers pouvoirs de colégislateur (codécision) du PE (ayant déjà certains pouvoirs en matière budgétaire et de coopération législative), élargis par les traités ultérieurs, comme aussi la coinvestiture de la Commission. Aussi, en toute logique constitutionnelle, la réduction du déficit démocratique d'un système superposé, celui de la CE/UE, s'inscrivait-elle sous l'enseigne de la démocratisation-légitimation de ses propres institutions, plutôt que dans l'insertion (dans ce cas, réinsertion) au système communautaire de rôles d'institutions nationales, en l'occurrence des parlements nationaux.

B.- L' «agenda caché» de la revendication-imposition d'un rôle des parlements nationaux dans l'UE : la promotion d'un processus de «renationalisation» du système communautaire européen.


1° Placé dans la logique susmentionnée de réduction du déficit démocratique, le constituant communautaire a opté, l'avons-nous vu, dans une optique, certes étapiste, qui s'apparente à la logique d'un pré-fédéralisme, pour le renforcement du Parlement européen, grâce à son élection au suffrage universel direct, son pouvoir d'approbation du collège des Commissaires et (depuis le traité de Lisbonne) d'élection de son président, ses attributions de colégislateur. De la sorte, on a renforcé le degré de légitimité du législatif et de l'exécutif et déduit d'autant le déficit démocratique des institutions; en même temps, par cette approche de légitimation directe du système, aux fondements propres, c'est-à-dire communautaires, on a, entre autres, sciemment, coupé le «cordon ombilical» liant les parlements nationaux à la CE/UE, parlements qui, auparavant, désignaient une partie de leurs membres – selon les quotas nationaux— pour siéger à l'Assemblée européenne.

Pareil processus de «rupture» et d'éloignement des parlements nationaux du processus communautaire était le résultat naturel d'une démarche de réduction du déficit démocratique de la CE/UE; dès lors, il ne devrait permettre aucun débat sur leur éventuel «rapatriement», ne fût-ce que partiel, dans le système européen, sous l'angle, souvent prétexte, d'un processus de réduction du déficit démocratique de la CE/UE.

Aussi, seule la question de l'information des parlements nationaux, ainsi «coupés» des travaux communautaires, avait-elle, désormais, une pertinence et le constituant, en étant conscient, a cherché, au fil des diverses réformes, les remèdes : la création et le fonctionnement de la COSAC ainsi que la coopération et rencontres interparlementaires(parlements nationaux-PE) en font partie; de même, un régime formel d'information, dans le cadre du processus d'adoption d'actes communautaires, fut établi, dès le traité d'Amsterdam (Protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne»), qui réintroduit, de façon indirecte et procédurale, certes subtile, les parlements nationaux dans le processus, par une règle (forme substantielle) de «pause» obligatoire, d'un délai d'attente de six semaines, dans la procédure législative, pour permettre auxdits parlements de se prononcer, en amont, sur les propositions d'actes législatifs; il fut, enfin, affiné et élargi, dans ses paramètres, lors du traité de Lisbonne, par des dispositions qui nous paraissent suffisantes, sur le plan des besoins d'information, et, notamment, celle de l'article 4 du Protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne, qui, entre autres, porte le délai d'attente à huit semaines.

Une telle information en est une de rationalisation politique et de fonctionnalité de l'œuvre législative de la CE/UE, dans la mesure où les parlements nationaux peuvent ainsi se permettre de s'atteler à deux démarches : l'une pédagogique, en relayant l'information sur l'œuvre communautaire à leurs membres et, au-delà, aux populations nationales qu'ils représentent; l'autre de coopération, en exprimant des points de vue sur des projets de législations européennes, dont certaines (directives) dépendent du niveau national pour leur mise en œuvre. En somme, il s'agit, principalement, de réformes de réduction du déficit de communication, de rapprochement indirect du citoyen de l'œuvre communautaire, de facilitation de la coopération dans la mise en œuvre, au niveau national, de la législation européenne et, bien accessoirement et indirectement, de réduction du déficit démocratique de la CE/UE, ce dernier se réduisant efficacement par des réformes, l'avons-nous souligné et illustré, à impact direct sur les institutions européennes, elles-mêmes.


2° Cela dit, même dans cette optique de réduction du déficit de communication et de coopération, force nous est d'observer certains inconvénients, ceux de l'alourdissement de processus législatif européen et ceux de l'affaiblissement de la clause d'habilitation (le représentant de chaque État membre au niveau ministériel est «habilité à engager le gouvernement de l'État membre qu'il représente et à exercer le droit de vote)", introduite par le traité de Maastricht (certes, c'était le prix à payer pour faciliter le dialogue avec les institutions parlementaires nationales, les socialiser à l'oeuvre intégrative européenne et rapprocher la CE/UE du citoyen). Sur le plan de l'habilitation plus spécifiquement, on comprend la réduction, «politiquement», du degré d'«immédiateté» d'exercice du droit de vote et d'«autonomie», sur le fond, d'un ministre, membre du Conseil, organe collégial communautaire, dans l'éventualité où il serait mis devant une résolution préalable de son parlement désapprouvant une proposition d'acte législatif(dans des cas de gouvernements de coalition, cette pression politique serait accrue).


3° S'agissant toujours de la réinsertion des parlements nationaux dans le système de l'Union européenne, leur rôle est bien plus substantiel lorsque l'on se tourne vers l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité : on y voit, même, l'amorce, sous couvert de réduction du déficit démocratique de l'Union, d'un processus de «renationalisation» du système par un rôle «décisionnel» des parlements nationaux.

En effet, le Protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, rattaché au traité de Lisbonne, reconnaît aux parlements nationaux certains pouvoirs d'intervention au processus communautaire, lui-même, en vue du respect du principe de subsidiarité, pouvant, même, aboutir à l'abandon d'une proposition législative : dans le cadre de la procédure législative ordinaire, des avis motivés représentant au moins une majorité simple des voix attribuées aux parlements nationaux entraînent le réexamen de la proposition législative et, en cas de son maintien, un avis motivé de la Commission est requis, «justifiant la raison pour laquelle elle estime que la proposition est conforme au principe de subsidiarité»; les avis de la Commission et des parlements nationaux sont communiqués au législateur européen qui les examine; si, dans la foulée de cette procédure et, notamment, des avis de ladite majorité des parlements nationaux sur la non-conformité d'une proposition législative au principe de subsidiarité, «en vertu d'une majorité de 55% des membres du Conseil ou d'une majorité des suffrages exprimés au PE, le législateur est d'avis que la proposition n'est pas compatible avec le principe de subsidiarité, l'examen de la proposition législative n'est pas poursuivi» (article 7, par. 3, b) du Protocole).




Panayotis Soldatos est Professeur émérite de l'Université de Montréal et 
Professeur-Titulaire d'une Chaire Jean Monnet ad personam à l'Université Jean Moulin – Lyon 3

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