Sous la pression croissante de la crise, le tabou sur la révision du Traité de Lisbonne est en train de tomber .
De tous côtés (politiques, institutionnels, académiques) des appels à une réforme substantielle des dispositions du Traité relatives à la gouvernance économique (inchangées en substance depuis Maastricht) se multiplient.
L'UEF FRANCE se réjouit d'une telle évolution des esprits , ayant elle-même prôné une telle réforme depuis un an (cf. lettre ouverte n°2 aux députés européens français du 26 Octobre 2010 : "Pour un Traité de Maastricht II établissant la gouvernance économique de l'UE" - voir annexe)
Le débat étant donc enfin ouvert, on peut à présent s'aventurer à poser les questions préliminaires suivantes relatives à la procédure (sans reprendre ici les multiples déclarations, arguments et analyses repris par la presse) :
1. Quel calendrier ?
S'il semble ne plus être question de renvoyer la réforme au "long terme", il reste à déterminer si la procédure de révision peut/doit être ouverte avant ou après 2014.
Il est difficile d'imaginer qu'une révision d'une ampleur suffisante (voir ci-après) puisse entrer en vigueur (après négociations, signatures et ratifications) avant l'échéance européenne de 2014.
Dès lors, il faudrait sans doute attendre le renouvellement et l'installation des nouveaux membres du PE et de la Commission à l'automne 2014 pour ouvrir formellement la procédure. Ceci permettrait de faire de cette perspective de réforme un des grands thèmes de la campagne politique qui précèdera ces renouvellements. Le débat lui-même devrait donc démarrer bien avant cette date - c'est à dire dès 2012 afin que les premières ébauches de textes soient disponibles au début de 2013.
(On ne peut toutefois exclure que des évènements imprévus ou incontrôlés, comme une remise en cause - ou le blocage de la ratification - de l'accord du 21 juillet établissant le Mécanisme européen de stabilité (MES), ne provoquent une forte accélération du calendrier de la réforme)
2. Quelle procédure ?
Vu la nature de la révision à présent envisagée, seule la procédure "ordinaire" de révision du Traité (article 48 § 1 à 5) pourrait s'appliquer, c'est à dire :
- élaboration d'un "projet de révision" par un État membre, par le PE ou par la Commission,
- convocation d'une "Convention" par le Conseil européen statuant à la majorité simple après consultation du PE,
- adoption par la Convention, statuant par "consensus", d'une "recommandation" à l'intention de la "Conférence des représentants des gouvernements" (CIG)
- adoption par la CIG, statuant d'un "commun accord", des modifications à apporter aux traités,
- ratification par tous les États membres dans un délai maximum indicatif de deux ans,
- réunion du Conseil européen après ce délai si, 4/5 èmes des États ayant ratifié, certains autres "rencontrent des difficultés" de ratification.
3. Quelle initiative ?
En l'état actuel du débat, il est possible que certains États membres (notamment l'Allemagne) prennent l'initiative requise. L'autre hypothèse - combinable avec la précédente - serait que le PE lui-même fasse usage de son nouveau droit d'initiative en la matière donnant ainsi à la procédure une plus grande légitimité démocratique et ouvrant potentiellement un champ plus large au débat et à la nature des propositions de modification du Traité elles-mêmes.
Il semble, d'ores et déjà, que les principaux groupes politiques du PE (PPE, PSE , LIB) s'ouvrent progressivement à cette idée. Dans ce cas, les premières consultations et autres démarches préliminaires pourraient être confiées à la Commission des affaires constitutionnelles d'ici la fin de 2012.
4. Quelle ampleur de la révision ?
Celle-ci pourrait porter uniquement sur les dispositions du Traité relatives à la politique économique et monétaire (Titre VIII du TFUE) et plus particulièrement sur les 7 articles établissant la gouvernance économique de l'UE (articles 120 à 126 du TFUE). Mais il ne peut être exclu que certaines dispositions, relatives à la politique monétaire (articles 127 à 133), au protocole sur l'Eurogroupe ou aux statuts de la BCE par exemple, ne doivent également être ré-examinées.
Rappelons pour mémoire et dans le désordre les principales modifications évoquées à ce jour de sources diverses :
- suppression de l'"interdiction" d'assistance financière de l'UE (y compris la BCE) aux "administrations centrales" des États membres,
- création d'un "Fonds Monétaire Européen" et/ ou d'un "Trésor européen",
- extension des compétences de la BCE ,
- création de "bons du trésor européens",
- institutionnalisation de l'Eurogroupe,
- création d'un "Ministre européen des Finances",
- représentation commune des États membres de l'Eurogroupe dans les Institutions et conférences financières internationales,
- etc ...
Il n'est d'autre part pas exclu que l'occasion soit saisie pour revoir également certaines dispositions institutionnelles en matière fiscale et budgétaire - remettant par exemple en cause la règle de l'unanimité sur des questions telles que l'harmonisation fiscale et les ressources propres de l'UE.
5. Quel impact sur les autres dossiers et procédures en cours ?
Au cas où le MES - actuellement en cours de ratification - entrerait en vigueur comme prévu en Juillet 2013, la procédure de révision devrait bien sûr en tenir compte. Il faudrait notamment envisager la communautarisation de ce système inter-gouvernemental, après avoir vérifié la compatibilité des termes de cet accord avec la réforme souhaitée du Traité lui-même.
Il faudrait de la même façon tenir compte des nouvelles directives de législation secondaire ("Six pack") en cours d'adoption, relatives à la législation financière, au mécanisme de surveillance budgétaire et économique, etc...
L'autre dossier à prendre en considération serait celui de la question budgétaire européenne stricto sensu dont la négociation devrait débuter en 2012 : la réforme des ressources propres et l'adoption du cadre financier pluriannuel pour 2014/2019.
6. "A fiscal union now?"
Parmi les propositions de réforme apparues récemment, la plus ambitieuse est sans doute celle du Président de l' UEF EUROPE et député européen Andrew DUFF. Conçue dans une optique délibérément fédéraliste, elle représente un saut décisif de l'UE dans une nouvelle dimension où la souveraineté et la solidarité renforcée des États s'exerceraient dorénavant dans le cadre communautaire et non plus par des concertations et accords inter-gouvernementaux détachés des Institutions et des mécanismes démocratiques et juridiques de l'UE.
Parmi les propositions les plus novatrices et radicales d'Andrew DUFF figure la suppression de l'exigence d'une ratification unanime des États membres de toute révision du Traité, proposition déjà avancée par l'UEF FRANCE dans sa "lettre ouverte" n°3 du 20 novembre 2010.
7. L'Utopie créatrice.
L'UEF FRANCE se réjouit du rôle créateur de l'"utopie fédéraliste" qui semble à présent inspirer les sources les plus autorisées - au moins sur la question de la solidarité économique et financière des membres de l'UE.
Elle n'ignore cependant pas les réticences nationales et les difficultés politiques et techniques que rencontrerait la réforme envisagée.
Elle est particulièrement consciente du problème que pose la longueur de la procédure de révision éventuelle, notamment en regard de l'aggravation quasi quotidienne de la crise traversée par l'Europe - et elle n'exclut donc pas la nécessité d'un calendrier accéléré.
Elle souhaite que les mesures d'urgence déjà prises ou en cours d'adoption permettent un rétablissement provisoire de la situation.
Elle estime que la seule annonce et perspective d'une réforme fondamentale et durable de la gouvernance économique de l'UE contribuerait , en allumant une "lumière au fond du tunnel", à calmer les esprits, à rétablir la confiance de l'opinion publique et celle des milieux financiers responsables, à mobiliser et unir les énergies des États et des Institutions .
L'UEF espère donc que, fidèle à sa tradition de force motrice et innovatrice européenne établie par Altiero Spinelli, le Parlement européen s'engagera délibérément et sans délai dans cette entreprise salvatrice de réforme- au nom de l'intérêt général des citoyens qu'il représente .
Jean-Guy Giraud est président de l'UEF-FRANCE
http://www.uef.fr