La campagne militaire en Libye contre le régime despotique et sanguinaire du colonel Mouammar Kadhafi est en train de s'achever, les derniers bastions tenus par les séides du régime honni devraient tomber assez rapidement.
Quels enseignements peut-on en tirer sur le plan militaire ?
Sur le plan politique, le fait marquant est la retenue des Etats-Unis d'Obama. Confrontés à une grave crise économique et à des situations difficiles pour leurs troupes à gérer en Irak et Afghanistan, ils ont laissé le leadership des Européens pour les opérations militaires.
La crise libyenne a donc montré et confirmé une tendance qui se dessine depuis quelque temps outre-Atlantique : l'effacement progressif de l'intérêt américain vis-à-vis de l'Europe, souligne Isabelle Lasserre dans Le Figaro (Isabelle Lasserre, "L'Europe passe l'épreuve du feu", Le Figaro, 24 août 2011). Ils ont très vite mis fin à la participation de leurs avions de combat, fournissant notamment des drones et des avions-ravitailleurs.
La crise a aussi montré que l'Europe de la défense n'existait pas ou très peu. Seuls 6 pays européens sur 27 (Belgique, Danemark, France, Italie, Norvège et Royaume-Uni) ont participé aux frappes aériennes en Libye.
Alors qu'on parle régulièrement du couple franco-allemand, en réalité c'est le couple franco-britannique qui a été le moteur de l'intervention et leurs avions et hélicoptères ont réalisé plus de 80 % des missions. "La défense européenne est à bout de souffle" comme le titrait le quotidien suisse Le Temps,le 23 août dernier. Pour l'expert militaire Dimitry Queloz : " L'élément fondamental à retenir est l'incapacité de l'Europe de mettre en place une véritable politique de sécurité . D'une part, la haute représentante de l'Union européenne pour la politique étrangère et la sécurité, Catherine Ashton, a écarté la possibilité d'employer les maigres outils militaires de l'Union et a limité son action aux sanctions économiques et commerciales et à l'aide humanitaire. D'autre part, les principaux Etats membres ont été incapables de parler d'une seule voix." Et Queloz d'ajouter : "Cette cacophonie montre bien que l'Alliance atlantique constitue aujourd'hui, et probablement pour longtemps encore, la seule «défense européenne» crédible!
On connait les tenants et aboutissants de cette division, entre la France et le Royaume-Uni, interventionnistes, l'Allemagne, en opposition, et un large marais de pays attentistes. Mais l'autre élément non moins important relevé par Queloz est que les "opérations militaires en Libye révèlent également à quel degré de faiblesse les différentes armées européennes en sont arrivées". "La diminution des effectifs humains et matériels, commencée au lendemain de la Guerre froide et poursuivie en raison de la crise économique de 2008, a conduit à une véritable «surchauffe» dans l'emploi des moyens militaires conventionnels." La France pouvait "tout au plus déployer 30 avions", et son porte-avions "le seul existant en Europe", et le Royaume-Uni "une vingtaine d'avions de combat"
Un peu faible pour l'historien. "La faiblesse militaire de l'Europe Union européenne et pays membres est ainsi étalée au grand jour, au moment où les Etats-Unis sont contraints d'adopter une nouvelle position stratégique."
Un constat partagé par le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, début septembre. Selon lui, les capacités militaires européennes sont insuffisantes dans plusieurs domaines : "Si nous n'avons pas eu de difficulté pour les avions d'attaque au sol, estime Rasmussen, nous avons manqué de haute technologie de capacités de renseignements. L'Europe en est largement dépourvue, ce sont les Etats-Unis qui les possèdent". Autre souci : les appareils de transport. "Nous avons en Europe davantage de soldats que les forces américaines, mais nous ne pouvons pas les bouger", regrette le secrétaire général. Le message est le suivant : il veut que les budgets militaires croissent. Ce qui n'est guère dans l'air du temps, souligne Jean Guisnel dans Le Point («Les leçons de la guerre en Libye, Le 8 septembre 2011, Le Point)..
L'opération en Libye, pour laquelle les Européens, ont dû se reposer sur des moyens américains pour certaines missions, a donc mis à jour les besoins dans certains secteurs, notamment en matière de munitions de précision, de reconnaissance et de surveillance voir l'importance des drones d'observation américain, et de ravitaillement. Sur les drones, le général Vincent Tesnière, n°2 de l'état-major multinational de l'OTAN à Poggio Renatico (Italie) a insisté sur "le rôle déterminants des drones armés" dans la campagne de Libye, conduite depuis cet état-major. "C'est une capacité absolument fondamentale, insiste l'officier qui estime que si l'on avait eu 30 ou 40 drones armés, on aurait fait ce qu'il fallait faire", rapporte le blog de référence sur les questions militaires, « Secret défense » de Jean-Dominique Merchet. En clair, on aurait quasiment pu se passer d'avions pilotés. Mais seuls les Etats-Unis ont déployé quelques drones... Sans eux, la guerre aurait été beaucoup plus compliquée à mener.
Il reste que : "la campagne libyenne a montré que l'Europe, menée par deux pays leaders, était capable de mener une action militaire d'envergure", souligne Isabelle Lasserre. Le couple franco-britannique a tenu souligne, Nicolas Gros-Verheyde dans son blog Bruxelles 2, spécialisé sur les questions liées à l'Europe de la défense. "Il démontre mieux que n'importe quel exercice dans des champs de betterave, que les deux armés peuvent sinon agir ensemble du moins de concert ou côte à côte."
Et, point positif, ces missions se sont déroulées sans anicroches. 5 mois d'opérations quotidiennes n'ont entraîné aucune perte du côté de nos forces, alors que plus de 2 000 cibles militaires libyennes ont été détruites... La campagne a aussi été marquée sur le plan du matériel par les performances du chasseur polyvalent français Rafale.
Néanmoins, on l'a vu, il y a des problèmes de capacités miitaire.
Besoins de coopération européenne accrue
Pour Queloz, c'est clair : "La crise libyenne montre donc, une fois de plus, la nécessité de disposer de moyens de guerre classique en quantité suffisante." Et "L'Europe ne pourra donc plus se réfugier systématiquement derrière la puissance militaire américaine et sera contrainte de prendre davantage en main sa sécurité (
). Cette prise en charge devra s'accompagner d'une augmentation des moyens militaires conventionnels, donc des dépenses d'armement, si elle veut réellement être crédible. La crise économique, sans doute durable, qui secoue l'Europe en ce moment risque cependant de rendre cet effort très difficile."
A la suite de ces opérations en Libye, les Européens pourraient ou devraient décider d'étendre leur coopération militaire afin de mutualiser certains moyens, a affirmé lundi 19 septembre la directrice exécutive de l'Agence européenne de défense (AED), la Française Claude-France Arnaould.
Dans des domaines l'AED a un rôle à jouer.
Mais il n'est pas certain que l'Europe de la défense va connaître une nouvelle impulsion. Il y a là une divegence de fond entre la France et le Royaume-Uni. Et le ministre des affaires étrangères britannique William Hague a opposé lundi 18 juillet le refus définitif de son pays à un concept de quartier général permanent de l'Union européenne, soutenu en particulier depuis des années par la France. "Il est très clair que le Royaume-Uni ne donnera son accord à un QG permanent de l'UE ni maintenant, ni à l'avenir", a-t-il déclaré à l'issue d'une réunion avec ses collègues de l'UE à Bruxelles, qualifiant cette position de "ligne rouge" pour son pays.
La raison de ce refus est qu'un tel QG "ferait double emploi avec les structures de l'OTAN" et que "ce serait une solution très coûteuse", a-t-il affirmé.
Le chemin vers l'Europe de la défense renforcée est ténu et sinueux.
Edouard Pflimlin est journaliste et chercheur associé à l'IRIS.
Il est l'auteur d'une note de la Fondation Robert Schuman : « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? », parue en 2006.
Se la procurer : http://www.robert-schuman.eu/doc/notes/notes-33-fr.pdf
Edouard Pflimlin est journaliste et chercheur associé à l'IRIS.
Il est l'auteur d'une note de la Fondation Robert Schuman : « Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ? », parue en 2006.
Se la procurer : http://www.robert-schuman.eu/doc/notes/notes-33-fr.pdf