par Clotilde de Gastines, le samedi 10 décembre 2011

Avec les crises de la dette publique, la question de la performance économique des organisations publiques se pose partout en Europe. Les conséquences de ces restructurations sur le travail et sur la santé des agents passe souvent à la trappe sauf dans certains pays, comme la Finlande. Au bout d'un an d'enquête dans 7 pays, des experts pilotés par des chercheurs de l'institut britannique Working Lives Research Institute vont rendre leurs travaux sur la santé et les restructurations dans la fonction publique (HiresPublic - Health Impact on restructuring in the Public Sector). Morceaux choisis.


Tourbillon

Tous les secteurs publics sans exception sont affectés par des réformes et réorganisations autour du concept générique de Nouveau Management Public, que ce soit la révision générale des politiques publiques à la française (RGPP) ou la Big Society britannique. De manière générale, les réorganisations sont constantes dans les grandes fonctions publiques : administration centrale, territoriale, fonction hospitalière et éducation.

Celles-ci sont très marquées en Europe par les spécificités nationales. Les comparaisons en la matière sont donc difficiles. Quelques spécificités émergent cependant. L'hôpital, l'enseignement et la fonction publique territoriale ont une main d'œuvre majoritairement féminine. Les administrations centrales belges et française font exception, car elles sont plus masculines, le peu de femmes étant cantonnées dans des postes subalternes ! La moyenne d'âge et le taux de syndicalisation sont plus élevés que dans le privé. Le public garde encore une fonction sociale, car la proportion de personnes avec des incapacités et des handicaps est supérieure au privé (surtout en Belgique et au Royaume-Uni).

Autre point commun : les inégalités sont légions. Certains postes à statuts sont très sécurisés, alors que d'autres ont très peu de droits (vacataires, intérimaires), bien que les différences soient très marquées selon les pays, et les secteurs. Dans le secteur de la santé par exemple, tous les pays d'Europe sauf la Belgique et la Roumanie font appel aux travailleurs migrants, qui sont plus mobiles et pas toujours aussi bien rémunérés que les nationaux (surtout en France, en Italie et en Allemagne).


Le nouvel ordre public

Les restructurations prennent des formes diverses : baisse des effectifs, déménagement, externalisation, intensification du travail. Les effectifs sont rarement touchés. Le volume d'emploi public a légèrement baissé en Finlande, Allemagne, Italie et Belgique au cours des dernières années (entre 1 à 4%). En Finlande, les suppressions de postes ont plutôt touché l'administration territoriale, avec des externalisations. En Belgique, ce sont les professionnels de la santé qui ont subi une baisse d'effectifs. Le phénomène s'est caractérisé par des départs à la retraite, le non-remplacement (un fonctionnaire sur deux en France !) ou le non-renouvellement de contrats à durée déterminée.

En revanche, la situation est plus grave en Roumanie et au Royaume-Uni. Sur les 5 dernières années, un quart des postes du service de santé roumain a disparu (le nombre de médecins restant stable). Les salaires des fonctionnaires ont baissé de 25%. Du côté britannique, 20 à 30% des effectifs du service public a été détruit. Les suppressions concernent surtout le personnel managérial et administratif à la suite d'une fusion d'un tiers des institutions locales dans de nouvelles unités.

La privatisation et l'externalisation de services ont souvent conduit à restreindre l'accès au dialogue social, surtout en Finlande et au Royaume-Uni. De plus, les prestataires privés de services britanniques mis en concurrence et donc « compétitifs » paient des salaires plus bas et offrent une protection sociale au rabais. Pour les agents du public, la baisse effective des salaires est de 5% en raison de l'inflation. Ils ont été gelés pendant deux ans. L'annonce aujourd'hui, à la veille d'une grande grève du secteur public d'un hausse de 1% sur deux ans risque d'attiser le mécontentement.

La santé, de côté

Les employeurs, y compris l'Etat, ont la responsabilité légale de maintenir et de promouvoir la santé de leurs agents au travail. Mais cela se joue de manière différente sur le terrain. Et les données sont d'inégales qualités pour bien l'apprécier. Dans la ligne de l'accord-cadre européen de 2004 sur le stress, certains pays ont mis en place des outils de mesures des accidents du travail. En Italie, le secteur public prend en compte les risques psycho-sociaux par l'intermédiaire de formation et par l'identification des éléments stressants. Dans cette veine, une campagne sur le bien-être au travail au Royaume-Uni a généralisé l'utilisation du HSE Management Standards.

Cela a notamment permis de donner aux directeurs des gouvernements locaux des lignes directrices pour réduire le stress et de gérer le changement. La France a institué des Comités d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT) qui peuvent rendre des avis sur les réorganisations.

Le plus souvent, ce sont les taux d'absentéisme et d'accident du travail qui renseignent sur la santé et le climat social. Toutes les enquêtes publiques sur les conditions de travail et la santé dans les sept pays étudiés constatent l'augmentation du stress et des troubles musculo-squelettiques. Les réorganisations mettent en effet en cause le contrat psychologique qui lie les agents du public à l'État. Ce contrat repose sur l'acceptation de salaires plus bas que dans le privé en échange de la sécurité de l'emploi. Changer les règles du jeu bouleverse la culture du service public.

Le dialogue social peut accompagner ces évolutions. Bipartite ou tripartite selon les pays et les structures représentatives. Dans l'administration centrale française, les conventions collectives sur les salaires et les accords sur les conditions de travail ne sont pas contraignants ! Et surtout ils ne s'appliquent ni aux vacataires, ni aux intérimaires. Ce qui plante la graine de la division entre des « privilégiés » et des « perdants » et ouvre la perspective de la mise en cause de ces statuts.

Le rapport conclut que la Finlande et le Royaume-Uni (loin derrière) ont les meilleures pratiques concernant la prise en compte de la santé dans les restructurations. Pour bien mener le changement, Astrees et le WLRI déclinent 18 recommandations. Deux d'entre elles insistent sur la dimension spécifique du service public.

Il est important que tous les employés du service public « soient traités de manière juste et transparente ». Les intérimaires, vacataires et contrats à durée déterminées ne doivent pas porter le fardeau des restructurations, surtout quand ils ne sont pas couverts par le dialogue social. Enfin, lorsque le donneur d'ordre public externalise vers le privé, il doit tenir compte des mesures à chaque étape de la restructuration : formation, planification, information et consultation, mise en œuvre et consolidation.

De plus, la motivation de nombreux travailleurs repose sur le sens du service public, qui peut être entamé par une restructuration. La reconnaissance de la valeur de leur contribution passée, présente et future dans la sauvegarde du bien public est essentielle.

La lettre de Metis 29 nov 2011


Clotilde de Gastines est rédacteur en chef de Metis

http://www.metiseurope.eu

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