par Patrick Martin-Genier, le mardi 05 janvier 2010

Quelques semaines après le désastreux sommet de Copenhague, le principal défi que va devoir affronter l'Union européenne sur la scène internationale est celui de sa crédibilité.


Plusieurs acteurs pour un seul siège ?


Le problème central qu'elle va devoir résoudre est celui de savoir qui va pouvoir exprimer ce nouveau visage de l'Europe : M. Van Rampuy, président permanent du conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, Mme Ashton, ministre des affaires étrangères de l'Union européenne ou en fin de compte les chefs d'Etat et de gouvernement eux-mêmes ? M. Van Rampuy considère ainsi qu'il est désormais l'interlocuteur du président des Etats-Unis et qu'il sera présent dans toutes les rencontres internationales auxquelles l'Europe sera appelée à participer. Mme Ashton a quant à elle fait savoir que compte tenu de sa vive intelligence, elle réussirait à son poste, ce qui est probablement une manifestation de l'humour britannique. Toujours est-il que qu'elle a bien l'intention de remplir son rôle si l'on en croit la récente visite faite au Premier ministre espagnol, pays qui va exercer la nouvelle….présidence tournante de l'Union européenne qui, elle, continue à exister !

Tout cela risque paradoxalement de complexifier les choses, alors même que le président Obama a, lors du sommet de Copenhague, montré le peu de cas qu'il faisait de l'Union européenne. S'enfermant dans une pièce avec le Premier ministre chinois puis négociant avec l'Inde, il a sans ménagement écarté l'Europe de cette grande négociation diplomatico-environnementale. Ceci alors même que l'Europe est tout de même à l'origine d'une initiative ambitieuse de réduction des gaz à effet de serre et a été et continue à être la pointe de la lutte pour la préservation des ressources de la planète.


Être présente sur les grands sujets internationaux


Cela est dommageable pour l'Europe, mais elle n'a, pour une fois, qu'à s'en prendre à elle-même. Elle a ainsi été incapable non seulement de faire preuve d'un front commun, mais a aussi fait preuve d'une rare incompétence dans la préparation de ce sommet, laissant la délégation du pays hôte mener ses débats presque à sa guise. S'apercevant du cafouillage, Nicolas Sarkozy, président de la République française, s'efforça de redresser la barre, il était hélas trop tard. Le président Barroso a, une fois de plus, brillé par son incapacité à jouer le rôle de leader en l'absence de toute autre autorité représentant l'Union européenne et alors que la fonction de président permanent du conseil européen n'était pas encore entrée encore en vigueur.

Ce qui s'est passé à Copenhague ne devrait pas se reproduire. On aurait aussi aimé que s'exprime "la" source communautaire autorisée sur la récente exécution d'un citoyen britannique en Chine, pays qui viole quotidiennement les droits de l'homme et avec une rare arrogance. L'Europe se veut-elle porteuse de valeurs comme elle l'a si bien fait valoir lors du débat sur le projet de constitution européenne ? Ou chaque Etats fera-t-il le voyage à Pékin uniquement pour signer de fabuleux contrats industriels sans aborder la question de la violation des droits de l'homme qui nous rappelle quotidiennement que la Chine est l'une des dernières grandes dictatures au monde à juger "rapidement" pour reprendre la métaphore d'une ancienne candidate à l'élection présidentielle en France, mais dans un sens souvent expéditif ? Plus l'Europe sera forte, plus il sera possible d'influer sur le sens des évènements internationaux.

Cette question centrale de l'unité se pose aussi sur les autres grands sujets internationaux, comme le conflit israélo-palestinien. Alors que l'Union européenne est le premier contributeur net de l'Autorité palestinienne, elle ne compte presque pas dans les négociations censées aboutir à la création d'un Etat palestinien, seule garantie d'une paix durable au Proche-Orient. L'Europe devrait ainsi prendre de nouveau l'initiative à se sujet, y compris en divergence avec les Etats-Unis si cela est nécessaire. L'initiative diplomatique est une manifestation de la volonté politique : c'est ce dont a besoin l'Europe en urgence !

Ainsi et hélas, il n'est pas sûr que le numéro de téléphone unique de l'Europe communautaire que cherchait Henry Kissinger, alors secrétaire d'Etat de Richard Nixon, figure sur l'annuaire de Bruxelles. Le traité de Lisbonne contient ainsi plusieurs failles que les acteurs de la scène européenne semblent aujourd'hui découvrir.


Qui contrôlera la diplomatie européenne ?


En premier lieu, et comme nous l'avons déjà écrit, M.Van Rampuy ne présidera pas les sessions spécialisées du conseil des ministres…L'Espagne est ainsi depuis le 1er janvier le pays qui préside les différents Conseils des ministres de l'Union européenne (agriculture, environnement, économie et finances par exemple). Le président du conseil européen ne pourra donc imprimer sa marque sur ces sessions spécialisées où les différents Etats sont représentés en fonction de leur poids démographique.

En second lieu, il existe une ambiguïté fondamentale en ce qui concerne le positionnement de la "ministre des affaires étrangères" de l'Union européenne. Nommée par ses pairs à qui elle devra rendre compte, Mme Ashton est aussi vice-présidente de la Commission européenne, qui est pourtant le seul exécutif communautaire. Auprès de qui ira-t-telle chercher ses ordres : auprès de M.Van Rompuy, de M.Barroso, président de la Commission ou dans les principales capitales européennes ?

À la lumière de ces ambiguïtés, on comprend mieux l'enjeu de la bataille qui s'est engagée sur la création du futur service diplomatique de l'Union européenne. Qui peuplera les bureaux du service diplomatique de l'Union européenne : des "eurocrates", des diplomates britanniques ou français en majorité, voire des diplomates allemands, le secrétaire général du conseil européen devant, à relativement brève échéance, prendre la suite du Français ?

Les défis pour l'Europe en 2010 sont donc majeurs. À elle d'utiliser du mieux possible les outils qui lui a donné le traité de Lisbonne. Une valse hésitation ne ferait qu'affecter de façon durable sa crédibilité.


Patrick Martin-Genier est Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris, expert des questions européennes.

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