par Europe et Entreprises, le lundi 01 février 2010

Sept handicaps persistants pour les euro-entrepreneurs, sept priorités d'actions pour les années 2010 présentées par l'Association Europe et Entreprises.


Une nouvelle décennie s'engage pour l'Europe, avec un nouveau traité de Lisbonne, un nouveau président désigné du Conseil européen et une nouvelle Commission complétant le Parlement récemment élu. Il est temps de mettre à jour ses priorités d'action.

Il y a dix ans l'Europe s'était fixée à Lisbonne l'objectif de devenir en 2010 l'économie de la connaissance « la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Ce pari a échoué car elle ne s'en est pas donné les moyens, alors qu'elle en avait le potentiel. Et quand la crise mondiale a éclaté à l'automne 2008, les Etats se sont renationalisés autour de « leurs » banques et « leurs » entreprises, s'endettant chacun pour soi, sans aucun plan européen.

Pour les euro-entrepreneurs, ces constats d'échec sont le résultat logique des occasions manquées lors des années 2000 : face à une concurrence globalisée, trop de handicaps ont gâché nos atouts européens. A l'aube des années 2010, il devient vital d'en tirer les leçons.

Handicap n°1 : des euro-entrepreneurs dissuadés de l'être…

Malgré les acquis du marché unique et de l'euro, les entrepreneurs manquent encore d'outils de base pour devenir vraiment euro-entrepreneurs. Le statut européen de société rescapé de trente-cinq ans de blocages n'a été adopté que par une poignée d'entreprises, faute de réunir les mérites requis. La Commission a attendu 2008 pour proposer un statut simplifié de société privée européenne adapté aux PME, maintes fois revendiqué, mais qui demeure aujourd'hui bloqué. Elle a par contre retiré, sans justification, son projet de statut européen des associations, comme celui des mutualités. Le brevet communautaire divise les Etats depuis plus de trente ans pour des motifs subalternes. Et la fiscalité européenne des sociétés reste un patchwork décourageant. Le « cahier des charges des euro-entrepreneurs » présenté en 2008 par Europe et Entreprises listait déjà tous ces retards.

…et priorité n°1 : débloquons les outils dont nous avons besoin

· adopter le statut de société privée européenne, qui doit être véritablement attractif,
· offrir aussi un statut européen aux associations, mutuelles, fondations, etc.,
· s'accorder enfin sur un brevet communautaire fiable et peu coûteux,
· assurer un régime européen définitif de TVA simplifié pour les opérateurs,
· supprimer toutes les doubles impositions trans-européennes,
· mettre en place un régime européen d'assurance crédit exportation.


Handicap n°2 : une identité commune mal assumée…


Par delà les réformes du traité de Lisbonne, l'Europe peine à affirmer son identité face à la globalisation. Elle n'a pas su adopter une réponse solidaire à la crise, comme y appelait Europe et Entreprises, faute d'un plan communautaire et d'une coordination de mesures demeurées essentiellement nationales. Le même constat peut être fait pour la « méthode ouverte de coordination » privilégiée par la stratégie de Lisbonne, qui misait sur une émulation des bonnes pratiques entre Etats. L'expérience a montré qu'une approche européenne laissée aux seuls Etats cumulait les inconvénients (divergences, opacité, contradictions, déficit de contrôle et de résultats) et ne pouvait guère suppléer les mérites spécifiques de l'approche communautaire (propositions basées sur l'intérêt commun, débats ouverts et démocratiques, décisions majoritaires dans le respect du droit, contrôle effectif de leur mise en œuvre). La Commission doit s'affirmer en défendant avec conviction et sans faiblesse la primauté d'un intérêt général communautaire, qui constitue sa raison d'être.

…et priorité n°2 : revitalisons l'approche communautaire

· promouvoir un meilleur ressenti européen (valorisation de notre identité commune, renforcement de l'approche communautaire, réexamen de la communication),
· affirmer notre identité solidaire dans les enceintes internationales qui visent à encadrer la globalisation (G20, OMC, FMI, OIT), en y revendiquant d'une seule voix une mondialisation mieux régulée (sécurité, concurrence, social et environnement),
· ne pas laisser non plus l'Europe au vestiaire lors des missions commerciales avec les pays tiers, aujourd'hui conduites trop exclusivement par les diplomaties des Etats.


Handicap n°3 : une union monétaire sans union économique…


Malgré l'euro, qui est notre plus belle réussite et notre « bouclier » commun, les ministres des finances n'ont pas su engager ensemble une gouvernance économique face à la gestion fédérale de la Banque centrale européenne. L'attelage Europe doté depuis dix ans du « moteur » euro n'y a pas adapté tout le reste (« direction » politique, « châssis » budgétaire et fiscal, « suspensions » sociales), ce qui le fragilise au lieu de le renforcer. Et la Commission est restée trop en retrait dans l'Eurogroupe. Avec pareil équipage, il n'est pas étonnant que la crise ait fait voler en éclats les disciplines du pacte de Maastricht. Sans stratégie commune, les délocalisations vont s'accélérer. Notre compétitivité, notre cohésion et nos emplois, sans oublier la pérennité même de l'euro, sont menacés si on continue ainsi.


…et priorité n°3 : donnons nous les moyens de l'union économique


· impliquer directement et régulièrement les chefs de gouvernement dans des réunions au sommet de l'Eurogroupe, au-delà des seuls ministres des finances,
· engager le nécessaire rapprochement des politiques budgétaires des Etats, avec des économies d'échelle et une réduction programmée des dettes publiques,
· assurer l'harmonisation des assiettes fiscales, notamment des sociétés, à des seuils compatibles avec l'ouverture, en fonction d'un calendrier pluriannuel contraignant,
· doter la zone euro d'un fonds commun permettant d'affronter de façon solidaire tout choc asymétrique frappant un Etat participant.


Handicap n°4 : un budget européen aussi à l'étroit que bancal…


Malgré l'élargissement à 27 et les transferts de compétences, les moyens budgétaires sont restés limités à 1% du PIB (à comparer avec un budget fédéral américain de 20% du PIB). Engagés aux trois-quarts dans l'agriculture et l'appui aux régions en retard, ils ne financent que très marginalement les investissements communs dont dépend notre développement compétitif solidaire : infrastructures et réseaux transnationaux, programmes de recherche, échanges de formation, capacité et innovation énergétique, protection de l'environnement. Alors que les capitaux abondent sur les marchés, l'Union n'a pas su les mettre de son côté.

…et priorité n°4 : redéployons les finances publiques européennes

· accompagner tous transferts de compétence par les moyens correspondants : la Commission devrait récuser des tâches dont on lui refuserait les moyens logistiques,
· concentrer les interventions budgétaires européennes sur des objectifs et priorités communes, y compris transfrontalières, mettant l'accent sur notre compétitivité,
· doubler un budget de recherche trop marginal (5% de 1% du PIB) en s'assurant un effet catalyseur sur les programmes nationaux qui lui sont trente fois supérieurs,
· développer une ingénierie financière des fonds structurels leur permettant, au-delà des subventions, d'accorder aussi à l'instar de la BEI des prêts, des bonifications, des garanties d'emprunts, des appuis en capital-investissement et capital-risque,
· s'accorder sur un grand emprunt européen pour nos investissements d'avenir, justifié par des économies d'échelle et appuyé par l'ouverture des marchés publics.


Handicap n°5 : un marché unique laissé en jachère…


Avec la globalisation, le marché unique n'est plus que l'abord immédiat d'un marché devenu mondial. Dans la foulée du programme 1992 beaucoup de progrès ont été faits pour lever les entraves aux échanges. L'élargissement continental en fut l'aboutissement. Mais l'élan est retombé. Les administrations nationales maintiennent des prescriptions superfétatoires et protègent des bastions corporatistes. On reste loin d'avoir créé ce « site Europe » intégré, supprimant les doubles emplois et les triples coûts, dont les euro-entrepreneurs ont besoin.


…et priorité n°5 : relançons l'achèvement du marché unique

· relancer un programme pluriannuel d'achèvement du marché unique notamment recentré sur trois obstacles persistants : fiscalité, services et marchés publics,
· réguler une concurrence fiscale trop exclusivement fondée sur les délocalisations d'assujettis mobiles (capitaux, sièges, filiales) sans souci des soudures transfrontalières, des équilibres régionaux, des petits entrepreneurs et des ménages,
· activer le décloisonnement très en retard du marché unique des services, où l'Europe ne s'accorde pas à elle même ce qu'elle revendique à l'OMC,
· relancer l'ouverture effective des marchés publics qui a échoué à 95%, faute d'un quelconque incitatif réel des administrations nationales à acheter européen,
· développer un régime européen de sous-traitance simplifié et attractif pour les PME,
· appuyer par l'exemple de notre intégration, par nos accords et par nos aides d'autres marchés communs partenaires, dont dépend l'équilibrage du commerce mondial.


Handicap n°6: des services publics déconnectés de l'Europe…


Bruxelles s'est d'abord intéressé aux services publics dans la mesure où ils créaient des monopoles et des protections affectant la liberté des échanges. Les intérêts publics et sociaux ainsi défendus ont ensuite été mieux légitimés, sous réserve d'aménagements. On peine aujourd'hui à passer à une troisième étape qui verrait des services européens d'intérêt général encadrer le marché unique en fonction de nos exigences communes. Alors que la crise met l'accent sur le retour des Etats dans l'économie, il devient urgent de s'y atteler.


…et priorité n°6 : créons des services européens d'intérêt général


· mettre en place une administration communautaire des douanes unifiant les contrôles aux frontières externes sous l'autorité de la Commission européenne,
· compléter et renforcer les agences européennes supervisant le marché unique sur des points clés, en réseau avec les administrations des Etats : sécurité économique et financière, propriété intellectuelle, protection civile, énergie et environnement,
· promouvoir autour de ces agences des concessions et partenariats public/privé pour développer les réseaux trans-européens (transports, énergie, informatique, télécommunications, environnement) renforçant notre sécurité et notre compétitivité.


Handicap n°7 : une société civile à la traîne…


Les citoyens ont longtemps été laissés à l'écart d'une Europe fondée sur les Etats et sur le marché. Les effets négatifs en ont été bien perceptibles lors des crises récentes révélées dans l'opinion. A présent que l'Europe s'interroge sur son devenir, avec des Etats et des marchés eux-mêmes en crise, il est urgent d'associer les Européens à ses débats et à sa gouvernance. Jean Monnet proposait déjà d'unir les Européens plus que de coaliser des Etats. Ceci nécessiterait de se fixer un objectif à ce jour paradoxalement trop oublié : rendre possible et valorisant de devenir Européens. A défaut, comment crédibiliser l'Europe ? Le Parlement et la Commission devraient en faire un axe majeur de leur nouveau programme.


…et priorité n°7 : donnons aux Européens un rôle moteur


. engager un partenariat resserré avec la société civile qui doit être plus directement associée à la construction de l'Europe (consultations, auditions, forums),
· promouvoir les corégulations, autorégulations et médiations socioprofessionnelles dans les domaines où un rôle clé doit revenir à ces partenaires (cf. social, normes, professions, services, commerce, consommation, énergie, environnement),
· engager un programme pluriannuel cohérent pour donner au cours des années 2010 des droits européens plus effectifs aux citoyens, aux entrepreneurs et aux associations, avec des statuts communs attractifs, des procédures simplifiées et des moyens juridiques autonomes, c'est-à-dire des incitations réelles à agir ensemble.

Ces sept handicaps ne persistent que par notre faute.
Ces sept priorités ne dépendent que de notre volonté.
Elles doivent être entendues dès 2010, sept sur sept !


http://www.europe-entreprises.com

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