par Ad van Tiggelen, le mardi 13 avril 2010

Nous venons à peine de sortir de la plus sévère crise économique de l'après-guerre que déjà les analystes prévoient que les bénéfices des entreprises (hors secteur financier) atteindront l'année prochaine de nouveaux sommets historiques. Les bénéfices mondiaux devraient grimper de plus de 30% en 2010 et de près de 20% en 2011… si on peut en croire les estimations du consensus.
Nous n'y croyons pas, du moins pour 2011.


Les estimations des analystes sont collectées et publiées par IBES (Institutional Brokers' Estimate System). Ceci se fait à l'échelle mondiale depuis 1987 pour 45.000 sociétés issues de 70 pays!

Bien que de nombreux analystes individuels soient réputés pour le bien-fondé de leurs prévisions pour les sociétés qu'ils suivent, les estimations consensuelles combinant les estimations de tous ces professionnels ont tendance à souffrir d'un optimisme excessif.

Huit années sur dix, les analystes ont significativement réduit leurs
prévisions initiales à mesure que l'année progressait et que la réalité s'imposait. Malgré cela, les estimations du consensus constituent la pierre angulaire de la plupart des techniques de prévision des valorisations pour les marchés d'actions. Existe-t-il d'ailleurs une alternative?

Ceci étant dit, l'optimisme des analystes pour 2010 est compréhensible. L'économie mondiale se redresse progressivement, les taux d'intérêt restent extrêmement bas les stocks devront être reconstitués et la comparaison avec
les bénéfices déprimés de 2009 est relativement facile. Par conséquent, la croissance bénéficiaire attendue de 32% en 2010 pourrait bien être atteinte, même si la croissance des chiffres d'affaires est susceptible de demeurer modeste.

En 2011, les choses seront néanmoins tout à fait différentes.

Alors que les gouvernements commenceront à s'attaquer à leur endettement élevé (via des augmentations d'impôts?) et que les banques centrales relèveront lentement leurs taux, le contexte devrait devenir moins favorable. De plus, la
comparaison avec les bénéfices plus élevés de 2010 sera plus difficile et une plus grande partie de la croissance bénéficiaire sera tributaire de la croissance des chiffres d'affaires. Or, les chiffres d'affaires ne pourront croître que si les entreprises peuvent augmenter leurs prix, un développement qui ne peut être exclu, mais qui semble plutôt improbable.

Les taux obligataires occidentaux ne suggèrent en effet pas une nette hausse des prix et des pressions inflationnistes!

Les prévisions bénéficiaires consensuelles existent depuis près de vingt ans. Durant cette période, la rentabilité des entreprises (part des bénéfices dans le PIB) a probablement enregistré sa hausse la plus prononcée de l'histoire humaine.

Ce boom des bénéfices a essentiellement été provoqué par cinq facteurs :

- Les bénéfices du secteur financier ont triplé en pourcentage du PIB (surtout aux Etats-Unis) ;

- Le taux moyen de l'impôt des sociétés a diminué continuellement ;

- Les coûts de financement se sont repliés dans le sillage de la baisse des taux d'intérêt ;

- La consommation a connu une forte progression, mais pas le coût du travail car l'offre de main-d'œuvre mondiale a augmenté et les consommateurs ont dépensé une partie de la hausse de la valeur de leur habitation ;

- La mondialisation a incité les sociétés occidentales à accroître sensiblement la part de leurs bénéfices réalisés en dehors de leur marché domestique.

De ces cinq facteurs, le dernier est le seul qui soit susceptible de continuer à contribuer à la croissance bénéficiaire à long terme des marchés développés. Les autres auront moins d'importance, pour des raisons
évidentes.

Où cela nous mène-t-il?

Pour l'instant, les secteurs plus cycliques profitent toujours de l'impulsion donnée par le redressement de leurs bénéfices. A mesure que l'année 2010
progressera, les attentes continueront à augmenter et les comparaisons deviendront de plus en plus difficiles, ce qui conduira probablement à des déceptions et à un glissement vers les secteurs plus défensifs.

Pour 2011, nous serons dès lors contents si la moitié de la croissance bénéficiaire attendue de 20% est réalisée. Mais même un tel résultat laisserait les valorisations des marchés d'actions à des niveaux plutôt attrayants.


Par Ad van Tiggelen est Stratégiste Senior à ING IM 

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