par Bruno Vever, le vendredi 22 octobre 2010

"Ni avec toi, ni sans toi". Cette épitaphe qui clôturait "La femme d'à côté" serait-elle en train de donner son ton fatal et délétère aux relations avec notre voisin d'outre-Rhin comme avec l'euro ? Les indices qui font en tout cas craindre un alourdissement du climat se sont succédé ces derniers mois.


C'est bien sûr Angela Merkel qui, à force de freiner des quatre fers à l'encontre d'une solidarité des pays de l'euro, a fini par endosser à son tour une réputation de "dame de fer", ne concédant l'arrangement du printemps dernier que face au risque d'un embrasement méditerranéen.

C'est aussi Nicolas Sarkozy qui persiste à cultiver l'exception française. Ayant subitement admis la nécessité d'un rapprochement fiscal avec l'Allemagne, il a mandaté la Cour des comptes pour un examen comparatif, relevant au passage que ce sont les sociaux-démocrates qui ont aboli outre-Rhin l'impôt sur le capital – tout comme leurs homologues espagnols -. Mais ce fut pour assurer sans autre transition que cet impôt, désormais exclusivement français, sera maintenu car il n'est pas "le président des riches" !

Ainsi, au lieu de travailler entre Français et Allemands dans la cohérence, le pragmatisme, le sérieux et si nécessaire la discrétion pour construire cette union économique qui manque cruellement à l'union monétaire, on continue – comme toujours tout au long de ces douze premières années de l'euro – à faire diversion et à distraire l'opinion.

Malgré les bonnes intentions, le "tea time" new-yorkais Sarkozy-Merkel effaçait mal la prise de distance de Berlin faisant suite au clash de la veille à Bruxelles. Et Pierre Lellouche peinait à rassurer en affirmant, après une "sortie" anti-bruxelloise qui eut été impensable outre-Rhin, "le franco-allemand, c'est comme çà !", joignant à l'appui pouce et index…

De semaine en semaine, le chaud et le froid soufflent ainsi de part et d'autre du Rhin, de Bruxelles, de l'euro et de l'Europe, attisés par les bourrasques de la mondialisation. Sous ces rafales incontrôlées, l'union monétaire, même lestée de son nouveau ballast de 750 milliards d'euros, ressemble plus que jamais à un bateau ivre. Il manque encore et toujours un commandement à la barre, malgré tous les mérites du travail en soute de Jean-Claude Trichet.

Depuis sa mise en place en 1999, l'UEM n'a en effet cessé de s'avérer une entreprise bancale : l'euro ne s'est accompagné que d'une "cohabitation" économique approximative des pays participants, bien en deçà du cahier des charges d'une union monétaire cohérente et durable. La zone euro n'a guère progressé depuis sur la voie de l'intégration, alors même que la mondialisation ne cesse de rebattre les cartes.

L'élargissement de l'UEM a en effet été préféré à son approfondissement, avec une zone euro passée de 11 à 16, bientôt 17 en janvier – alors que l'un n'aurait pas du aller sans l'autre -.

La France et l'Allemagne cofondatrices de l'euro n'ont cessé de se jouer mutuellement une interminable valse–hésitation, passant des échappatoires aux oppositions, sur des sujets aussi essentiels que la revalorisation de l'Eurogroupe, l'institutionnalisation d'un Sommet des pays de l'euro, l'indépendance de la Banque centrale européenne, le contrôle des déficits publics, les pouvoirs disciplinaires de la Commission, la nature et la portée des sanctions aux manquements et infractions, la rigueur budgétaire, la gouvernance euro-économique, le taux optimal de change, la création et les modes de gestion et d'intervention d'un véritable fonds monétaire européen et, last but not least, la conception politique d'une UEM permettant d'aller plus loin dans l'intégration, avec ou sans les autres.

Quand elles se rejoignent, c'est hélas pour revendiquer plutôt moins d'Europe que plus d'Europe. En témoigne leur connivence à obtenir l'alignement du budget communautaire sur leurs propres restrictions nationales, sans considération des projets communs d'avenir et des économies d'échelle qui ne peuvent être réalisés qu'à l'échelle européenne.

Avec des responsabilités certainement partagées, tant la France que l'Allemagne des dernières années ont ainsi paru, en matière d'Europe et d'euro, regarder plus volontiers du côté du frein que de l'accélérateur, de l'attentisme que de l'initiative, du jour le jour que de la vision commune, du chacun pour soi que de la solidarité.

Certes, les réformes économiques requises, auxquelles les agences de notation et les marchés financiers prêtent eux-mêmes la plus grande attention, finissent par s'engager en Europe, mais dans une grande disparité et avec des effets très inégaux. Les émeutes grecques du printemps dernier face aux hausses d'impôts et aux restrictions salariales, mais aussi les conflits sociaux français de cette rentrée liés à la réforme des retraites contrastent avec les mutations bien plus consensuelles et réussies outre-Rhin, il est vrai acclimatées de longue date par les contraintes de la réunification.

En toute hypothèse, il manque à ces réformes, pour la plupart douloureuses et impopulaires, la solidarité et l'ambition pour l'avenir que l'Europe devrait assurer, renforçant leur acceptabilité. Autant de perspectives qui ne resteront que verbales et virtuelles en l'absence d'un gouvernement organisé de l'Europe, c'est-à-dire dans l'immédiat d'un gouvernement de l'euro.

Ce commandement intégré qu'appelle l'euro, chacun sait qu'il ne sera pas possible sans refondation du couple franco-allemand. Mais ceci nécessiterait de part et d'autre une volonté, une vision, une audace, une affirmation, une vigueur. En un mot une relance.

Paris et Berlin sont-ils prêts à voir plus loin que leurs postes-frontières sans signification, leurs réflexes pavloviens, leurs sondages fluctuants, leurs clientèles et leurs corporatismes du moment ?

Paraphrasons Saint-Just pour constater qu'après toutes les péripéties vécues à ce jour par notre continent, euro y compris, l'Europe aussi reste une idée neuve en Europe.


Bruno Vever est secrétaire général d'Europe et Entreprises

http://www.europe-entreprises.com

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