par Baudoin Bollaert, le jeudi 11 juin 2009

Le président de la Commission européenne n'a pas bonne presse en France. José Manuel Barroso a beau parler un français parfait, citer abondamment ses auteurs hexagonaux préférés, montrer une culture littéraire, économique et même scientifique bien au-dessus de la moyenne, il n'arrive pas à emporter l'adhésion… Je ne parle pas de l'adhésion de l'homme de la rue qui ne le connaît pas ou peu, mais de celle des "gens qui comptent" : le monde médiatique, la haute fonction publique et la classe dirigeante.


Nicolas Sarkozy vient-il finalement de soutenir sa candidature à un second mandat ? Les beaux esprits font la fine bouche et se pincent le nez… Ils reprochent pêle-mêle à M. Barroso son approbation de la guerre américaine en Irak, son atlantisme indéfectible, ses idées trop libérales, sa révérence devant les grands de ce monde, son souci de ne déplaire à personne, son manque de courage, son absence de vision, j'en passe et des meilleures… On en arriverait presque à lui imputer la fameuse directive Bolkestein qui remonte pourtant à la Commission précédente !

Pourquoi tant de haine chez les uns, de mépris chez les autres, de parti pris chez la plupart ? Le fait que le chef de l'Etat français, la chancelière allemande, le Premier ministre espagnol ou son collègue britannique souhaitent officiellement son maintien à la tête de la Commission devrait jouer en sa faveur. Eh bien, non ! Ces appuis multiples venus de la droite comme de la gauche seraient la preuve de la médiocrité du personnage ! Bref, c'est parce qu'il ne gênerait personne que l'ancien chef du gouvernement portugais se verrait récompenser par un deuxième mandat…

Il est vrai que José Manuel Barroso est affable, peut-être trop affable ; ductile, peut-être trop ductile ; libéral, peut-être trop libéral… Mais ses prédécesseurs Jacques Santer et Romano Prodi lui ont-ils été vraiment supérieurs ? Quant à Jacques Delors qui reste – pour les Français, du moins – une sorte de « vache sacrée », la statue du commandeur, un modèle jugé indépassable, est-ce lui manquer de respect que de rappeler qu'il régnait sur un collège de seize commissaires représentant douze pays seulement alors que M. Barroso s'efforce de faire travailler ensemble vingt-sept commissaires représentant autant de nations souveraines ?


Avec l'élargissement de 2004, le poids des Etats nationaux s'est incontestablement affermi dans l'Union européenne. Et ce n'est pas la faute de José Manuel Barroso... Comme le note l'ancien eurodéputé Jean-Louis Bourlanges, observateur avisé de la scène bruxelloise, l'Etat-nation est ainsi devenu "un élément central de l'identité de l'Union et un facteur mortel de sa dislocation;" La Commission et le Parlement se débattent comme ils le peuvent, avec les pouvoirs dont ils disposent. Mais, dans le "triangle institutionnel", le Conseil se taille la part du lion.

Si les transferts de souveraineté ont été nombreux dans le passé, c'est plutôt l'inverse aujourd'hui. Relisons la tribune libre d'Angela Merkel et Nicolas Sarkozy publiée le 31 mai dernier, à la veille des élections européennes, dans le Journal du Dimanche et Die Welt : "Nous voulons une Europe forte qui nous protège. Une Europe forte ne signifie pas nécessairement toujours plus de compétences pour l'Union européenne, toujours plus de législation européenne ou toujours plus de moyens financiers. Nous refusons une Europe bureaucratique qui applique mécaniquement des règles tatillonnes…"

Le message est clair : l'Europe forte sera celle des Etats ou ne sera pas. Le double "non" français et néerlandais au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel, le "non" irlandais au traité de Lisbonne en 2008, l'énorme abstention enregistrée lors des récentes élections européennes, tout cela montre que si l'Union est trop petite pour être divisée, elle est désormais trop vaste pour prétendre à l'intégration totale. Son dernier grand projet fédérateur, la monnaie unique, remonte au traité de Maastricht ratifié en 1992. Autant dire à Mathusalem…

La donne a changé et l'un des mérites de José Manuel Barroso est de l'avoir compris. Il aurait été suicidaire de sa part de vouloir partir en guerre contre les Etats. Mais il aurait été tout aussi ravageur de renoncer à toute ambition commune. Bien sûr, on peut déplorer telle ou telle de ses attitudes ou telle ou telle de ses décisions. Mais à la tête d'une Commission dont il n'est, faut-il le rappeler, que le primus inter pares, il a su lancer des initiatives intéressantes dont le paquet énergie-climat est sans doute le meilleur exemple.

S'il est désigné pour un deuxième et dernier mandat, M. Barroso aura l'avantage de bien connaître le poste et de n'avoir plus rien à perdre. Il lui faudra bien sûr compter avec un parterre de commissaires largement renouvelé, surveiller de près les scrutins nationaux dans les 27 pays de l'Union et s'habituer aux nouveaux équilibres du Parlement européen… Mais son expérience et sa souplesse d'esprit ne seront certainement pas superfétatoires pour défendre les valeurs et les intérêts de l'Union dans un monde secoué par la crise économique venue des Etats-Unis.


Baudoin Bollaert est ancien rédacteur-en-chef au Figaro; maître de conférences à Sciences Po et à Paris II.

Dernier livre paru : "Le Roman du Vatican secret" (éditions du Rocher-mai 2009)


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