L'autorité politique et morale de la future commission sera-t-elle inversement proportionnelle à la victoire de la droite conservatrice et libérale aux élections européennes du 7 juin dernier ?
Tout semble en effet se passer, comme si les jeux étaient faits d'avance : la droite a gagné, donc M.Barroso sera le prochain président de la Commission européenne. Ainsi en ont décidé les chefs d'état et de gouvernement réunis en Conseil européen à Bruxelles les 18 et 19 juin dernier, tout en restant prudent sur la suite des évènements.
Ce faisant, on semble faire fi des pouvoirs du Parlement européen au sein duquel d'autres grandes sensibilités politiques que la seule droite conservatrice et libérale sont représentées de façon importante, notamment les socialistes et surtout les Verts, lesquels souhaitent de façon tout à fait légitime faire entendre leur voix au sein de l'hémicycle.
N'est-ce pas étrange de voir aujourd'hui les chefs d'Etat et de gouvernement louer les mérites de José Manuel Barroso qui pourtant n'a pas brillé ces dernières années tant par son audace politique que par sa pugnacité, c'est le moins que l'on puisse dire, qu'il s'agisse des critiques répétées adressées à son institution, de son attitude sur la crise économique, bien que Nicolas Sarkozy ait affirmé que le président de la Commission avait toujours été à ses côtés dans cette période difficile
C'est probablement cette proximité avec les chefs d'Etat et de gouvernement qu'on lui demande de ne pas modifier.
Or la Commission européenne, faut-il le rappeler, constitue l'exécutif communautaire, c'est-à-dire à dire le gouvernement européen : elle doit veiller au respect des traités et dispose d'un droit d'initiative en matière législative et ne peut par suite se borner à n'être qu'une sorte de secrétariat supplétif du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement. Un commissaire ne doit pas recevoir d'ordre des Etats et le président de cette institution doit lui-même diriger de façon effective son équipe c'est-à-dire faire preuve de l'autorité nécessaire pour ne pas se laisser imposer des « oukases » de la part des Etats.
Or ce qui se passe aujourd'hui est significatif : les portefeuilles de commissaires se négocient dans les capitales, notamment à Paris, Londres et Berlin. M.Barosso, adoubé, n'a qu'à bien se tenir alors qu'institutionnellement, c'est-à-dire lui de répartir les portefeuilles entre les commissaires.
On comprend donc mieux pourquoi certains souhaitent attendre la ratification définitive du traité de Lisbonne, notamment à l'issue du référendum irlandais considéré comme désormais positif, puisqu'il est désormais prévu que le président et la Commission ne pourront effectivement entrer en fonction qu'après un vote d'investiture du Parlement, l'exécutif communautaire devant refléter la majorité issue des élections. Or, si tel était le cas, des surprises pourraient intervenir, puisque si M.Barroso compte des amis à gauche comme à droite, il compte également des ennemis dans les deux camps
Or il s'agit aujourd'hui de savoir dans quelle direction l'Europe va s'orienter dans les cinq années qui viennent. Veut-on, dans les grandes capitales, une Europe des grands Etats constituant une sorte de directoire de fait réduisant la Commission à un rôle subalterne, donnant ainsi un coup d'arrêt à l'intégration européenne ? Ou veut-on une Europe plus politique donnant plus de pouvoir à l'exécutif communautaire à la veille de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne qui prévoit que le futur « ministre des affaires étrangères » sera à cheval sur la Commission et le Conseil des ministres ? La nomination du futur président du Conseil européen, qui agite les capitales depuis plusieurs mois, serait-elle également conçue comme un moyen de réduire le rôle politique de la Commission et donc une façon de ralentir l'intégration européenne, ce qui pourrait être le cas si Tony Blair venait à occuper cette fonction.
Par-delà la personne même de M. Barroso, il est impératif que le futur président, tout en faisant preuve d'un certain consensus, soit une personnalité de premier plan capable de résister aux tendances centrifuges qui ne manqueront pas de se manifester dans les cinq ans qui viennent, voire de savoir dire « non ». Réduire la Commission européenne reviendrait à toucher à l'un des piliers du système communautaire conçu par Jean Monnet.
Patrick Martin-Genier
Patrick Martin-Genier est universitaire spécialiste des questions européennes