A l'issue de plus de quatre mois d'intenses débats sur les modalités et le calendrier de l'élection du Président de la Commission européenne, les députés européens ont approuvé le 16 septembre 2009 la reconduction de José Manuel Barroso à la tête de l'exécutif européen. Depuis le mois de juin 2009, date où il a reçu le soutien unanime des chefs d'Etat et de gouvernement pour être candidat à sa propre succession, José Manuel Barroso a du franchir de nombreuses étapes et se plier aux exigences d'une véritable campagne électorale auprès des groupes politiques du Parlement européen. C'était inédit dans l'histoire de l'Europe.
Editorial paru sur le site du cercle des européens le 23 septembre 2009
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Reconduit à une forte majorité
Cette désignation a été entérinée par 382 voix , 219 députés européens votant contre et 117 s'abstenant (718 votants sur un total de 736 députés). Alors que ce vote se déroulait selon les règles du traité de Nice, c'est-à-dire à la majorité simple, le large soutien apporté à la candidature de J.M. Barroso lui permette d'être élu par anticipation - selon les critères plus stricts du traité de Lisbonne. Ce traité prévoit en effet une élection à la majorité des membres composant le Parlement européen et non à la seule majorité des votants. Incertaine ces dernières semaines eu égard au feu des critiques de tous bords adressées au bilan de la Présidence Barroso, la reconduction de ce dernier le renforce dans sa légitimité et son autorité.
Le coup de force du Parlement européen
Dès le lendemain des élections européennes, la désignation du Président de la Commission européenne figurait en tête des priorités des députés. D'abord, les députés ont fait un premier coup de force en refusant de se prononcer sur la candidature de José Manuel Barroso dès la session constitutive du 14 juillet 2009, ce qui les aurait privés d'un véritable débat public sur le choix du Président de la Commission. Dans la foulée du report du vote, chaque groupe politique a eu le temps de formuler ses attentes vis-à-vis de la nouvelle Commission, contraignant ainsi le candidat à soumettre un véritable programme politique pour les 5 prochaines années. D'une lettre de deux pages , transmise le 18 juin par José Manuel Barroso aux chefs d'Etat et de gouvernement des 27, où il traçait les grandes lignes du nouveau mandat qu'il sollicitait, on est passé, le 3 septembre, à un programme détaillé de 41 pages ! C'est avec la publication de ces "orientations pour la prochaine Commission". que le débat avec les parlementaires a été lancé. Ont ensuite suivies les auditions du candidat Barroso devant les principaux groupes politiques (PPE, S&D, ADLE et Verts/ALE), puis une discussion en séance plénière du Parlement européen, le 15 septembre. Fait innovant : la vidéo de cette dernière séquence est accessible dans son intégralité sur le site du Parlement.
Les socialistes s'abstiennent, les libéraux avancent leurs pions
José Manuel Barroso a pleinement bénéficié des voix du Parti populaire européen (PPE), qui avec ses 265 élus forme le plus grand groupe du Parlement. Le Président sortant a également pu compter sur le soutien moins attendu - de la majorité des membres du groupe ADLE. Grâce au subtil jeu politique de son Président, l'ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt. Le groupe a en effet obtenu des engagements sur des demandes clés, comme la création d'un nouveau portefeuille pour les droits fondamentaux et la non-discrimination ou la défense d'un budget européen alimenté par des ressources propres. José Manuel Barroso a enfin bénéficié du soutien, il est vrai plus embarrassant, du nouveau groupe des Conservateurs et réformateurs (CRE) aux tendances fondamentalement eurosceptiques [1].
Affaiblis par leur revers électoral de juin, les Socialistes et Démocrates (SD), de par leur abstention, ont largement contribué à la reconduction de José Manuel Barroso. Les 21 députés espagnols et les 7 portugais jouant, eux,
la carte ibérique en votant pour José Manuel Barroso.
Parmi les principaux opposants à la reconduction de l'ancien Président figurait le groupe des Verts/Alliance libre européenne (ALE), mené par un Daniel Cohn-Bendit particulièrement critique à l'égard du bilan du Président sortant. Malgré l'adoption du Paquet énergie-climat en décembre 2008, reconnu comme un accord décisif dans la lutte contre le changement climatique et pour lequel José Manuel Barroso s'était directement impliqué, celui-ci n'est pas parvenu à convaincre les Verts de sa volonté de conduire la "transformation écologique de l'Europe", comme l'exigent ces derniers.
Barroso II : une Commission plus forte, plus sociale, plus écologique, plus régulatrice ?
Pour convaincre plus de la moitié des députés européens, le Président sortant a mis l'accent sur la partie "sociale" de son programme face aux demandes pressantes des socialistes et démocrates, soutenus dans cette démarche par d'autres groupes dont les Verts. Il a réaffirmé son attachement au modèle européen d'"économie sociale de marché" en s'engageant à le défendre dans le contexte de crise internationale. Lors de son discours devant les députés , il a évoqué "une nouvelle ambition sociale" et l'impératif de lutte contre le chômage. "Dans le contexte de la crise, le chômage est notre problème numéro un à nous Européens. (
) La crise ne sera pas terminée tant que l'on ne reviendra pas à la création d'emploi" a-t-il déclaré. Si le "renforcement de la cohésion sociale" figure en deuxième position de son programme, le Président de la Commission est allé plus loin en annonçant qu'il serait prêt à amender la directive Services (dite Bolkestein) déjà amplement remaniée lors de son adoption par le Parlement européen et dont la mise en uvre a révélé certains effets pervers. La révision de cette directive était au cur des revendications du S&D. José Manuel Barroso déclarait ainsi : "je suis déterminé à combattre le dumping social en Europe, quelque soit sa forme".
Souvent considéré comme trop conciliant à l'égard des grands Etats, José Manuel Barroso s'est engagé à convaincre les Etats de la nécessité d'une "plus grande coordination" et d'une "vision intégrée de l'Europe". Il a également marqué sa volonté de mettre en place un véritable système européen de supervision financière, "reflétant la nature intégrée de notre marché", et susceptible de prévenir les crises systémiques bancaires telle que celle déclenchée en 2007. Alors que la réforme du budget européen fait partie des grands chantiers de la prochaine Commission, il a souligné son souhait, à l'adresse en particulier du groupe ADLE, de trouver "les moyens les plus efficaces pour le financement des politiques de l'Union" à travers des ressources propres pour l'Union.
José Manuel Barroso n'a pas manqué d'évoquer, à l'intention des Verts, une "nouvelle ambition en matière de lutte contre le changement climatique", dont la création d'un poste de commissaire au Climat serait la preuve.
Réelles concessions ou catalogue de bonnes intentions ? L'histoire tranchera
Au delà du choix du Président de la Commission, celui des autres membres du collège sera tout aussi décisif pour l'avenir de l'Europe dans les années qui viennent. La composition de la nouvelle Commission qui sera arrêtée après le vote irlandais fournira donc une première indication d'un éventuel changement de cap. Face à l'ampleur des défis économiques, sociaux et climatiques, les premiers mois de travail de la nouvelle Commission apporteront des éléments de réponses.
Le fait le plus marquant est que pour la première fois, un candidat à la Présidence de la Commission, soutenu mais non nommé comme il aurait du l'être par le Conseil européen - a mené campagne auprès des députés européens, élaboré un programme politique détaillé défendu pied à pied devant ceux dont dépendait son élection . Il en résulte une politisation au sens non partisan de la Commission qui devrait lui redonner une nouvelle crédibilité. Pour une Europe forte, il faut une Commission forte, légitimée par les Etats, par un Parlement votant démocratiquement et en pleine lumière pour que les citoyens prennent conscience des enjeux. Exercice finalement réussi.
Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens
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