Depuis plus d'un an, la Grèce est sous le feu de projecteurs de l'actualité. Les émeutes étudiantes à Athènes ont révélé un malaise social de première grandeur et montrer au monde qu'un pays européen pouvait laisser sa jeunesse dans le désespoir. Le taux de chômage des jeunes, voilà bien en effet un fléau qui menace la stabilité de nos démocraties. En danger de déstabilisation politique, la Grèce est au bord de la faillite et il faudra bien du courage au nouveau Premier ministre, socialiste, Georges Papandréou, pour redresser la situation du pays. Il n'a pas le choix. Il doit le faire. Et d'urgence.
Editorial paru sur le site du cercle des européens le 21 décembre 2009
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Papandréou doit agir avec force et courage pour éviter à son pays de sombrer dans la plus grande crise qu'un Etat de l'eurozone ait jamais vécu.
D'abord, Georges Papandréou doit accepter de renier les promesses faites lors de la campagne électorale. Il ne s'agit plus aujourd'hui d'augmenter les salaires et les allocations de l'Etat providence, mais de mettre en place un plan de rigueur pour redresser les finances publiques. Le temps presse, les investisseurs abandonnent le pays, tandis que les créanciers frappent à la porte du ministère des finances en réclamant leur dû : Thyssen-Krupp, par exemple, a construit un navire aux technologies hautement sophistiquées, mais qui reste amarré dans le port de Kiel en attendant que les Grecs veuillent bien régler à l'entreprise sa facture de quelque 550 millions d'euros. Dans le domaine de la santé, le gouvernement grec doit à ses fournisseurs de médicaments et de dispositifs médicaux, plusieurs milliards d'euros.
Il faut ensuite que le nouveau Premier ministre prenne les mesures énergiques de redressement réclamées par l'Union européenne et par le FMI. Elles vont rendre encore un peu plus difficile la vie de ses concitoyens, dont le plus grand nombre ne dispose que de revenus modestes, certes, mais a-t-il le choix ? Il a déjà annoncé un train de mesures drastiques : arrêt du recrutement de fonctionnaires, gel des salaires des 60% de fonctionnaires gagnant jusqu'à 2000 euros par mois, réduction des dépenses de sécurité sociale...il est aussi prévu une taxe de 90% sur les bonus des banquiers, ainsi que le gel des dépenses militaires.
Papandréou s'est déjà atteler à redonner à la Grèce sa crédibilité. Celle-ci est largement entamée depuis que l'UE s'est rendue compte il y a quelques années que les gouvernements successifs avaient systématiquement triché en communiquant des statistiques trompeuses sur la situation économique et financière grecque. On se souvient que le directeur général d'Eurostat - l'office statistique de l'UE pourtant non impliqué dans cette tricherie avait fait les frais du scandale. Papandréou vient de révéler que le déficit budgétaire, évalué par son prédécesseur Costas Caramanlis à hauteur de 6,7% du PIB, serait en réalité proche de 13% ! Ce qui n'a d'ailleurs pas manqué de provoquer une chute des marchés obligataires. Le ministre des Finances vient, quant à lui, d'annoncer la création d'un office statistique réellement indépendant.
Enfin Papandréou a clairement dit qu'il considérait la crise comme largement provoquée par une corruption endémique contre laquelle il était déterminé à lutter. Déclaration courageuse, et qui ne m'étonne guère de la part de Georges Papandréou que j'ai particulièrement apprécié lorsqu'il était (juste) ministre des Affaires étrangères (poste qu'il cumule à présent avec celui de Premier ministre) dans les années 2002/2004. Il sait que c'est ce qui mine le pays, et ce qui commence au demeurant à miner l'Europe.
Un test pour la Grèce, pour l'euro et pour l'Europe toute entière
Trouver 55 milliards d'euros (c'est ce qui est estimé devoir permettre à la Grèce de faire face à ses dettes les plus importantes) ne sera pas chose facile. Les grands prêteurs ne semblent pas vouloir faciliter la tâche du nouveau Premier ministre, afin d'éviter les errements du passé. Les agences de notation qui n'avaient pas donné de signaux d'alerte véritablement sévères jusqu'ici viennent de dégrader de A à BBB+ (du jamais vu dans l'eurozone), la note de l'Etat grec, surenchérissant d'autant son accès au crédit.
Certes, on a vu dans le passé des Etats mis en faillite : le Mexique (1982) et surtout l'Argentine (2001). Ce qui conduit du reste à s'interroger sur le rôle du FMI qui avaient posé tardivement - vis à vis de l'Argentine des exigences dont le peuple a beaucoup souffert. Ici, c'est un pays membre de l'eurozone qui est en difficulté, et chaque pays de la zone ne peut être que concerné.
La période actuelle appelle à l'action, si l'on ne veut pas aller dans le mur, et mettre en péril l'euro.
D'une part, elle fait prendre conscience de la vertu des règles du Pacte de stabilité et de croissance, car il est évident qu'un Etat incapable de payer ses dettes et d'emprunter à un coût raisonnable sur les marchés internationaux, se met en danger lui-même et menace la stabilité tous les autres.
D'autre part, cette crise ayant plus ou moins résolu le problème posé par le gonflement de la dette privée à travers la débauche de liquidités des banques, a généré une dette publique qui n'est pas soutenable. Or les mesures de rigueur qui doivent être prises pour alléger cette dette sont-elles soutenables par la population ? C'est la question qui se pose en Grèce, comme ailleurs.
Par ailleurs, cette crise est révélatrice du nouveau positionnement de l'Allemagne en Europe. Celle-ci refuse désormais de payer pour les autres. Madame Merkel vient de faire savoir à qui voulait l'entendre qu'il n'était pas question de fournir des liquidités européennes, voire du FMI, à la Grèce. Cette dernière devait se corriger elle-même. A noter au demeurant que l'article 125 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) interdit au budget européen de voler au secours d'un Etat de l'eurozone. (selon cette article en effet, "l'Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un Etat membre, ni ne les prend à sa charge".)
Enfin et surtout, le cas de la Grèce dépasse la seule question de la bonne gestion économique et financière qui s'impose à tous les membres de l'UE, et plus particulièrement aux Etats de l'eurozone. C'est la question de la gouvernance politique qui est posée.
L'Europe n'est pas seulement un marché commun. C'est aussi une démocratie fondée sur des valeurs communes entre tous les Etats membres.
Or avec la Grèce voici un Etat, base de l'édifice de la démocratie occidentale, dont les piliers tremblent sur leurs fondements en raison d'une gouvernance jusque là trop faible et d'une corruption qui dérobe aux citoyens leurs droits.
Georges Papandréou en est bien conscient : sa mission ne se limite pas à redresser une situation économique périlleuse, elle est aussi politique au sens le plus noble : rééquilibrer une la société grecque au sein de laquelle quelques uns concentrent entre leurs mains la richesse tandis qu'un cinquième de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (moins de 4000 euros par an) avec une classe moyenne en voie de paupérisation et un nombre croissant de jeunes diplômés confronté au chômage. La Grèce est un grand pays de culture, une magnifique civilisation et il faut croire qu'elle surmontera les difficultés actuelles.
La Grèce est le miroir de ce qui peut se passer chez les autres Etats membres, avec la crise. Ce qu'elle connaît aujourd'hui, tout autre Etat européen peut le connaître demain.
Aussi, si les nouvelles institutions communautaires ont une réflexion à mener et des actions à envisager, c'est bien à propos de la situation actuelle de la Grèce qu'elles doivent le faire. Pour que l'Europe sorte renforcée de la crise, au lieu de s'affaiblir dangereusement.
Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens
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