"Casses-toi, pauvre con !". Les médias ont surtout retenu cette formule musclée de l'inauguration, samedi dernier à Paris, du 45ème salon international de l'agriculture par Nicolas Sarkozy. Le président de la République a pourtant prononcé un long discours sur l'Europe verte qui mérite tout autant l'attention, sinon plus
"Je veux une nouvelle ambition pour l'agriculture en Europe," a-t-il déclaré. " J'affirme que l'agriculture du XXIème siècle doit être une agriculture de production, une agriculture où chaque agriculteur est considéré comme un entrepreneur qui doit vivre de son travail avec des prix qui reconnaissent la qualité de ce travail."
Paroles en l'air ? Certainement pas. La politique agricole commune est certes financée jusqu'en 2013. Mais Nicolas Sarkozy ne veut pas attendre le dernier moment pour engager la discussion avec les partenaires de la France sur l'inévitable "refondation" de la PAC. Pour lui, "2013 pour un jeune de 22 ans qui s'installe, c'est demain matin."
Considérant que la meilleure défense c'est l'attaque, le chef de l'Etat est donc "décidé à jouer un rôle offensif" pour couper l'herbe sous le pied des adversaires de l'Europe verte. La présidence française de l'Union qui commencera le 1er juillet lui en fournira l'occasion. Et il veut obtenir des résultats dès 2009.
Avis aux Britanniques : "ceux qui veulent détruire la PAC," a-t-il lancé, "ne croient pas en l'Europe !". Mais avis aussi aux experts de l'OMC : "on ne peut plus continuer à imposer à nos entreprises agricoles un dumping environnemental, un dumping social, un dumping fiscal, un dumping monétaire dont l'ampleur croît chaque jour, bien au-delà des débats feutrés de Genève. Je ne veux pas les déranger, mais qu'ils ne comptent pas sur ma signature pour continuer sur ce rythme dans ces conditions."
Depuis la grande réforme de 1992, la PAC a connu plusieurs ajustements importants. Les aides à la production ont été remplacées par des aides directes, les aides à l'exportation ont été supprimées et les prix européens se sont rapprochés des prix mondiaux. Il n'empêche : certains disent que l'Europe verte coûte encore trop cher, qu'elle absorbe plus de 40% du budget européen et que la France qui en est la principale bénéficiaire est mal placée pour donner des leçons aux autres
Tout cela est sans doute vrai. Mais il se trouve que la donne a changé. Finis les lacs de lait et les montagnes de beurre jadis stigmatisés par Mrs Thatcher ! Oubliés les excédents en tous genres, terminées les céréales à bas prix
Aujourd'hui, on manque de lait, les stocks sont au bord de la rupture et le prix du blé flambe à la bourse de Chicago
Le retournement est complet et, plutôt que de transformer les paysans européens en gentils jardiniers, voilà qu'on leur demanderait presque aujourd'hui de se remettre à la production intensive !
Pour Michel Barnier, ancien commissaire à Bruxelles et actuel ministre français de l'agriculture, le doute n'est pas permis : "la PAC a un bel avenir devant elle puisqu'il faudra multiplier par deux la production agricole d'ici à 2050 pour nourrir 9 milliards d'êtres humains." L'arrivée de nouvelles classes moyennes en Chine et en Inde va doper la demande. Comment l'Europe, moins soumises aux aléas climatiques que l'Asie ou l'Afrique, n'en tiendrait-elle pas compte ?
Le volontarisme est une chose, la réalité une autre. Nicolas Sarkozy n'a pas gagné la partie. Les marathons agricoles du passé, à Bruxelles, sont là pour rappeler que les négociations ont toujours été rudes
Mais quand le chef de l'Etat se fixe quatre objectifs au premier rang desquels figure "la sécurité alimentaire" et lorsqu'il plaide avec fougue pour une " préférence communautaire renouvelée", il ne prend personne en traître. La direction est clairement indiquée. A bon entendeur, salut
Baudoin Bollaert est ancien rédacteur-en-chef au Figaro. Maître de conférences à Sciences Po et à l'Isad, il est aussi l'auteur avec Jacques Barrot de "L'Europe n'est pas ce que vous croyez" (Albin Michel-Fondation Robert Schuman, 2007).