L'Union pour la Méditerranée, chère à Nicolas Sarkozy, sera officiellement lancée le 13 juillet à Paris. A la demande de l'Allemagne, cette initiative française a été replacée dans la continuité du partenariat euro-méditerranéen décidé à Barcelone il y a treize ans pour tenter déjà de réduire la fracture entre les deux rives de "Mare Nostrum", pacifier la région et rééquilibrer, dans l'optique du grand élargissement aux pays de l'Est, l'Union européenne vers le sud
L'échec relatif de ce partenariat nécessitait une remise en question. Les rapports du Programme des Nations-unies pour le développement (PNUD), de la Banque mondiale, de l'Institut pour la Méditerranée, de l'Agence française du développement ou du Cercle des économistes montrent en effet clairement que les objectifs du processus de Barcelone n'ont pas été atteints. Si l'on considère le PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat entre 1990 et 2006, note par exemple l'ancien diplomate Denis Bauchard dans "Politique étrangère", les "écarts entre les deux régions se sont accrus".
Dans un contexte politique plombé par l'interminable conflit israélo-palestinien, la faute en incombe principalement aux pays du sud incapables de s'entendre entre eux. Il faut dire qu'ils sont nombreux, sans doute trop, autour de la table : Algérie, Autorité palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Syrie et Tunisie
Mais, au sein même de l'Union européenne, des dissensions existent car tous les Etats membres n'ont pas le même intérêt à développer une véritable politique méditerranéenne.
"Tout Etat doit faire la politique de sa géographie", disait Napoléon. Vu son passé colonial et les liens qui l'unissent aux pays du Maghreb et au Liban, la France ne peut évidemment pas se désintéresser de son flanc méridional. La volonté de Nicolas Sarkozy de rebattre les cartes pour développer de nouveaux mécanismes entre pays riverains, sans aller jusqu'à l'intégration, apparaît donc louable et cohérente. Reste à savoir si ce projet d'Union pour la Méditerranée, avec sa présidence bicéphale et son futur secrétariat général sans doute basé à Tunis, sera plus efficace que ce qui existe déjà
L'UE dispose d'un arsenal impressionnant pour coopérer avec les Etats méditerranéens. Du processus de Barcelone proprement dit à la politique européenne de voisinage, en passant par une myriade d'accords d'association et de programmes d'aides, ce ne sont pas les initiatives qui manquent. D'où une impression d'empilage qui peut laisser sceptique. Mais puisque les partenaires de la France ont accepté le projet d'Union pour la Méditerranée au Conseil européen des 13 et 14 mars derniers, autant lui donner une chance.
Jean-François Jamet, consultant auprès de la Banque mondiale, suggère quelques pistes : par exemple, que les vingt-sept Etats membres parlent d'une seule voix - par le biais d'un représentant unique au sein de la nouvelle enceinte - de façon à alléger le processus de décision ; que la société civile et les Parlements nationaux soient associés de près à l'entreprise ; que l'adhésion à l'OMC de pays comme l'Algérie, la Syrie, le Liban ou la Libye qui n'en sont pas encore membres soit encouragée ; ou encore que des accords sur la gestion des ressources naturelles et des flux migratoires soient négociés
Denis Bauchard, se faisant l'écho des préoccupations arabes, estime pour sa part que l'Union pour la Méditerranée ne pourra progresser que si la France et l'Europe s'impliquent plus activement dans le processus de paix au Moyen-Orient. Il ajoute qu'une plus grande liberté de circulation des biens - notamment agricoles - et des personnes est souhaitable. "Un geste est attendu, dit-il, surtout au profit des étudiants." Enfin, l'ancien ambassadeur, aujourd'hui conseiller à l'Ifri, note que l'Union pour la Méditerranée ne pourra réussir que si le secteur privé est associé à sa mise en uvre.
L'avenir du pourtour méditerranéen ne peut laisser personne indifférent. Mais, à notre avis, le projet porté par Nicolas Sarkozy devra obéir aux mêmes règles, ou presque, que la politique d'élargissement. Car si la "capacité d'intégration" de l'UE est mise en péril, si son mode de gouvernance se fractionne exagérément et si ses ressources financières diminuent comme neige au soleil, l'Union pour la Méditerranée restera un vu pieux ou, pire, une usine à gaz dont seuls quelques habiles fonctionnaires tireront bénéfice
Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef du Figaro, est enseignant à Sciences Po et à l'Isad. Il est notamment auteur avec Jacques Barrot de "L'Europe n'est pas ce que vous croyez" (Albin Michel 2007).