Le rapport Cohen-Tanugi, qui pose la question de l' "Europe dans la mondialisation", répond entre autres à une question cruciale, celle de la nouvelle raison d'être de l'UE.
La construction européenne répondait initialement à l'objectif d'installer la paix en Europe. "La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible.", déclarait Robert Schuman, le 9 mai 1950.
Aujourd'hui, la paix durable en Europe apparaît comme un fait acquis, et le sens même de l'Union européenne est en question. Celle-ci doit donc à tout prix redonner une légitimité et un objectif à son existence. Dans le monde actuel, en constante évolution, l'Europe doit entrer de plain-pied dans la mondialisation.
Le rapport Cohen-Tanugi, commandé par les ministres français de l'économie, des Finances et de l'Emploi (Christine Lagarde) et du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité (Xavier Bertrand), cherche à apporter des réponses à ce défi de "l'Europe dans la mondialisation". Dans ce cadre, il examine ce que pourrait être l'avenir de la Stratégie de Lisbonne.
La Mission dresse un bilan mitigé de la Stratégie de Lisbonne telle qu'elle a été menée jusqu'à aujourd'hui, réaffirmant le bien fondé de ses objectifs, mais critiquant une mise en uvre trop souvent inefficace.
Il propose donc pour l'après Lisbonne (à partir de 2010), de mettre en place une nouvelle stratégie nommée "EuroMonde 2015", et regroupant deux dimensions, l'une interne, et l'autre externe. La dimension interne, appelée "Lisbonne Plus", se situerait dans la continuité de la Stratégie de Lisbonne, tout en en améliorant le fonctionnement. L'objectif serait d'adapter les Etats membres de l'UE à la mondialisation, notamment via une politique de modernisation économique, sociale et environnementale centrée sur l'innovation.
Mais la réelle nouveauté du projet "EuroMonde 2015" est sa dimension externe. Le rapport lui même parle d'une "révolution copernicienne" et d'un " changement de paradigme". Le sens de la construction européenne n'est plus la paix dans le vieux continent, ni même l'amélioration des relations entre ses Etats-membres, mais devient l'ouverture sur le monde et l'adaptation à la mondialisation.
"L'importance prise par la dimension externe n'est en effet pas anodine : elle marque l'entrée de la construction européenne dans une phase nouvelle de son histoire, centrée non plus sur elle-même, mais sur sa relation au reste du monde. Cette nouvelle phase représente un véritable changement de paradigme dont nous nous efforçons de décliner les implications", explique le rapport.
Voilà le nouveau projet politique mobilisateur que cherche l'UE, sa nouvelle raison d'être. La rupture n'est pas totale. L'objectif de prospérité était au cur de la vision des pères fondateurs, mais il s'agit aujourd'hui d'aller plus loin. Si l'Europe veut continuer d'exister, elle doit être capable de peser sur le monde, de défendre ses intérêts sur la scène internationale.
Bien sûr, pour pouvoir défendre ses intérêts, il faut être capable de les définir. L'UE, dans sa diversité, est-elle capable de préciser quels sont ses intérêts communs ? Les intérêts des Etats n'entrent-ils pas en contradiction les uns avec les autres ? Sur certains points particuliers, c'est indéniable, mais il semble qu'aujourd'hui, on puisse trouver des lignes directrices fédératrices, sur lesquelles tous les membres de l'Union peuvent se retrouver.
L'émergence de nouvelles grandes puissances comme la Chine ou l'Inde impose à l'Europe de s'unir encore plus pour peser davantage dans un monde de plus en plus globalisé. Les enjeux énergétiques, par exemple, sont cruciaux. Les pays d'Europe sont, dans leur immense majorité, dépendants de l'extérieur concernant les approvisionnements en gaz et en pétrole. Sur un tel sujet, le marché commun n'est pas suffisant. Les dotations en ressources de l'Europe sont très largement insuffisantes pour lui permettre d'assurer son indépendance énergétique. Sans une politique extérieure commune de l'énergie, l'Union ne peut pas diversifier de manière satisfaisante ses approvisionnements, ni peser dans des négociations avec le principal fournisseur qu'est la Russie voisine.
La nécessité de baser la poursuite de la construction européenne sur une dimension externe apparaît donc indispensable. Mais pour cela, il faut une réelle volonté politique. Le Traité de Lisbonne permet des avancées dans ce domaine. Les pouvoirs accrus du haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères, véritable "ministre européen des affaires étrangères" qui ne dit pas son nom, la création du poste de président du Conseil européen, qui donnera un visage à l'UE sur la scène interne et internationale, sont deux avancées majeures, mais insuffisantes.
Les dirigeants des pays européens doivent prendre conscience de la nécessité de définir des intérêts communs et de nouvelles politiques extérieures communes. L'Europe ne doit plus être l'objet de critiques, mais l'objet de projets. L'UE est le seul moyen de garder une place de première importance sur la scène mondiale. Et l'Europe a des atouts, au premier rang desquels son marché intérieur colossal, argument crucial dans les négociations économiques avec les pays partenaires.
L'Europe doit mettre en commun ses atouts, pour peser sur la scène internationale. Pour relever ce défi, il lui manque "l'ambition collective et les moyens", affirme le rapport Cohen-Tanugi. Un double déficit à combler. Certes, la tâche est grande, mais la construction européenne ne doit-elle pas être, n'a-t-elle pas toujours été une grande utopie qui se réalise ?
Timothée Decroix est chroniqueur à Fenêtre sur l'Europe et étudiant en Master 1 de sciences sociales, économiques et politiques à la Faculté de Sciences Sociales et Economiques de l'ICP.
http://www.icp.fr
Tout le rapport :
http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/Euromonde2015-Rapportfinal.pdf