par Philippe Herzog, le lundi 02 juin 2008

La révolution informationnelle et la mondialisation nous obligent à repenser et à réformer nos systèmes d'éducation. Le devoir de connaître et de s'ouvrir aux autres répond à deux défis : le dialogue interculturel et l'innovation, qui consiste à relier des idées à des marchés. Car le défi culturel ne doit pas être opposé au défi économique. L'éducation est un facteur crucial de croissance et d'emploi, ce qui conduit à repenser la relation du système éducatif et de l'économie.


Pourtant, la plupart des systèmes nationaux d'éducation, inadaptés à cette nouvelle donne, résistent. Les États s'accrochent à leurs prérogatives, alors même qu'ils ne savent plus définir les missions. De son côté, et malgré ses compétences limitées – d'appui- l'Union joue un rôle positif qui devra être renforcé.

Les processus qui ont permis d'engager la mobilité au niveau européen doivent être poursuivis, afin de viser une identité européenne des contenus et des programmes. Pour que les Universités s'européanisent, un cadre commun de coopération est nécessaire. La fragmentation des systèmes nationaux entraîne en effet un coût très élevé de duplication des exigences, et l'internationalisation se fait donc sans bénéficier d'une base européenne solide. Et ceci d'autant plus que l'absence de politique extérieure commune ne permet pas de construire des relations d'échanges universitaires entre l'Europe et les grandes régions du monde, si souhaitables dans une perspective de co-développement.

Pendant ce temps, les Etats-Unis agglomèrent les cerveaux et la Chine investit massivement dans le capital humain. L'Union européenne devrait aussi lancer une méthode ouverte de coordination pour fonder la comparaison, émuler les réformes, susciter les coopérations. Les objectifs devront être différenciés. A titre d'exemple, si la Bulgarie a besoin d'un soutien massif pour reconstruire un système éducatif, la France a surtout besoin de partenaires pour se réformer.

L'harmonisation européenne n'en est qu'à ses débuts. Elle doit entraîner de profonds changements du système d'organisation nationale des filières et spécialisations. Dans un nouveau système, le disciplinaire pur, très exigeant, serait sélectif et internationalisé. Les filières de masse seraient professionnalisées et pluridisciplinaires, avec une ouverture internationale. Des filières à double dominante feraient un pont. L'Université doit aussi se placer dans la perspective de la formation d'un marché européen du travail qualifié. Celle-ci est engagée et sera élargie aux migrants extracommunautaires avec le système blue card**.

Enfin, des critères d'évaluation et des conditions efficaces de financement sont à construire. Aujourd'hui, les classements internationaux mettent la pression. Or, le contrôle n'a lieu qu'à un niveau très agrégé, la réflexion sur les coûts manque, il est donc très difficile de passer à un contrôle de résultats et d'efficience. De surcroît, l'indicateur crée le conflit et on n'aime pas l'évaluation, en France particulièrement. Pourtant, il faudra bien la bâtir de façon ascendante, quand la tutelle descendante est une des raisons de la crise du système. Quant au problème du financement, il est d'autant plus aigu que les coûts d'une éducation de qualité ne cessent de croître. C'est pourquoi les financements publics devraient être mixés avec des financements privés (entreprises et les fonds d'investissement***). L'idée d'un "capital-éducation" personnel a été lancée. Des fonds devraient être conçus et co-gérés par des voies contractuelles. Enfin, les banques devraient aussi participer. A l'origine de la crise financière actuelle, après avoir abusé de la titrisation des crédits, elles vont maintenant réclamer des fonds pour se recapitaliser et restreindre le crédit. Les dirigeants politiques devront être placés devant leurs responsabilités en matière d'utilisation de l'épargne. Il y a des arbitrages difficiles à faire.

L'Union doit se saisir du problème et offrir un cadre. Elle doit créer des fonds dédiés à l'enseignement, en particulier pour développer les partenariats Université-Entreprises. De même il y a besoin d'initiatives à l'échelle globale : saluons l'ancien ambassadeur anglais à Washington, David Manning, qui propose de créer une Banque mondiale de l'Education ; et agissons.

Publié dans Interfaces n° 38 de mai 2008


* Extraits de l'intervention de Philippe Herzog, au Colloque annuel de la Conférence des Présidents d'Université, des 2, 3 et 4 avril 2008 à Bruxelles.
** Selon la Commission, il faudra créer, entre 2006 et 2015, 12,5 millions d'emplois très qualifiés et 9,5 millions de qualification moyenne, tandis que le nombre des peu qualifiés sera réduit à 8,5 millions.
*** AXA vient de créer un fond de 100 millions d'euros pour la recherche universitaire sur le risque et le changement climatique. L'Ecole d'Economie de Paris a reçu une contribution de 40 millions d'euros de la région Ile de France.


Philippre Herzog est président de Confrontations Europe 

http://confrontations.org

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