par Noêlle Lenoir, le mercredi 02 juillet 2008

Le non irlandais au traité de Lisbonne du 12 juin 2008 est venu rappeler, s'il en était besoin, que l'Europe est loin d'être sortie du tunnel de la crise institutionnelle ouverte à la suite du non français sur le traité constitutionnel en mai 2005. Trois ans, c'est long. Il n'avait pas fallu plus d'un an en effet après le rejet en 1954 par l'Assemblée nationale française de la Communauté européenne de Défense (CED) pour recoller les morceaux entre les Etats de l'Europe occidentale en lançant le projet d'une Communauté Economique Européenne. Dès la conférence de Messine en 1955, les ministres des Affaires étrangères des six avaient convenu d'un plan B : construire l'Europe, non sur une défense commune et une gouvernance politique intégrée, mais sur un marché ouvert et des solidarités qui créent entre les économies des Etats des liens si forts que les gouvernements sont obligés d'avancer ensemble.




Editorial de Noëlle Lenoir paru le 1er juillet sur le site du Cercles des Européens
http://www.ceuropeens.org




Le traité de Rome de 1957, qui a présidé à la naissance de l'Europe que nous connaissons actuellement, a donc été la trouvaille qui a permis aux Européens de sortir de l'ornière.

Le traité de Lisbonne qui s'est substitué à feu le traité constitutionnel après le double non français et néerlandais sur le premier, est aussi un plan B. C'est l'honneur de l'Allemagne et de la France de l'avoir mis sur la table et fait accepter par tous les 27 Etats membres de l'Union. Mais ce plan B est d'une autre facture que celui représenté par le traité de Rome.

Dans les années 50, tout ou presque était à inventer. Aujourd'hui, l'Europe a atteint un niveau d'intégration économique et politique élevé. Il ne s'agit donc plus de changer de cap. C'est impossible. L'Europe est sur les rails. Le marché est une donnée de fait, et il a généré une croissance dont on oublie trop vite les fruits. Seuls les pays rentrés de fraiche date dans l'Union sont conscients de l'apport de cet espace de libertés économiques et politiques, et de protection sociale, sans équivalent dans le monde. Il faut sans doute le rendre encore plus bénéfique du point de vue des citoyens. Face à la crise internationale – énergétique et financière – que nous vivons, il faut que l'Europe démontre qu'elle a des retombées positives en termes d'emploi et de maintien du pouvoir d'achat. C'est déjà le cas avec la baisse des tarifs de roaming (communications téléphoniques intra-européennes sur portables). Ce sera bientôt le cas avec la création de l'EPA, l'espace européen de paiement qui permettra à chacun de faire des virements bancaires transeuropéens aussi facilement que dans son propre pays. L'euro est aussi un moyen d'amortir le choc pétrolier dans les pays de l'eurozone. Mais c'est encore insuffisant pour éloigner les craintes. Au-delà du marché, l'Europe est une entité politique, avec des institutions d'inspiration fédérale comme le Parlement européen, la Commission européenne et la Cour de Justice européenne. C'est d'ailleurs ce qui fait à la fois son originalité et son image de marque démocratique, en dépit des reproches de technocratie qui lui sont adressés.

Faute de revenir en arrière, il faut donc avancer. La Présidence française de l'Union n'est certes pas l'équivalent de la Présidence française de la République. Loin s'en faut. Le Président du Conseil européen qu'est depuis aujourd'hui Nicolas Sarkozy ne gouverne pas en tant que tel l'Europe. La gouvernance politique européenne est collégiale et elle doit tenir compte des états d'âme des vieilles nations du continent qui ont toutes de fortes identités.

Le Président du Conseil de l'Union doit faire avec. Il a trois missions. Deux sont traditionnelles, la troisième plus nouvelle. D'abord et avant tout, le Président de l'Union, pendant les six mois de sa présidence, est un facilitateur et un négociateur. Son art est de réunir les gouvernements autour de la table et les conduire à s'entendre sur des projets en commun. Ensuite, il doit donner le rythme en définissant des priorités, et des résultats à atteindre avec un calendrier. Ce que la présidence française a fait en affichant très tôt ses quatre priorités autour du “Paquet” Energie/Climat”, de l'immigration, de la défense et de la révision de la PAC.

Enfin, et cet impératif est plus nouveau, la Présidence de l'Union qui donne le là des avancées à réaliser pendant son mandat a pour mission de dialoguer avec les opinions publiques. Ce dialogue incombe bien entendu au premier chef aux dirigeants politiques des Etats, mais ce doit être également une préoccupation majeure de la présidence du Conseil. L'Europe est compliquée, les processus de décision presque illisibles. Malgré tout, les Européens sont capables de comprendre le pourquoi des débats et des décisions qui sont prises en leur nom par leurs dirigeants. Contrairement à ce qui est parfois affirmé, l'Europe n'est pas rébarbative. Il suffit d'expliquer l'objectif et les contraintes des décisions prises à Strasbourg et Bruxelles.

Dialoguer, dialoguer, dialoguer, et retrouver un esprit communautaire fait de solidarité non seulement entre les Etats, mais entre les peuples, c'est l'enjeu des présidences de l'Union, et singulièrement de la présidence française !


Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguées aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens 

http://www.hec.fr/institut-europe

http://www.ceuropeens.org

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