par Noëlle Lenoir, le mardi 15 juillet 2008

Beaucoup pensent que l'avenir du traité de Lisbonne dépend de la façon dont les Irlandais et leur gouvernement sauront aider l'Europe à sortir de la crise née du non au référendum du 12 juin 2008. En fait, le processus de ratification d'un traité européen peut subir bien d'autres impedimenta que le rejet d'un référendum. Ainsi, si aux lendemains du non irlandais, la reine d'Angleterre, puis par le Parlement chypriote ont ratifié le traité de Lisbonne, la course d'obstacles n'est pas terminée. Il reste non seulement à voter dans six Etats (en dehors de l'Irlande), mais il faut par ailleurs attendre les décisions de plusieurs cours constitutionnelles.


Que va dire en particulier la Cour constitutionnelle tchèque appelée à se prononcer en octobre prochain sur la conformité du traité de Lisbonne à l'ordre constitutionnel du pays ? La saisine de cette juridiction est l'une des manifestations du bras de fer qui oppose au sein du parti majoritaire (Parti Civique Démocrate, ODS) les souverainistes aux pro-Européens. Elle révèle notamment les divergences entre le Président de la République – Vaclav Klaus – et son Premier ministre – Mirek Topolanek. Le chef de l'Etat est viscéralement eurosceptique, alors que le chef de l'exécutif s'est, lui, empressé de faire savoir que son gouvernement plaiderait devant la Cour en faveur de la conformité du traité de Lisbonne à la Constitution tchèque.

Demander au juge constitutionnel de se pencher sur la constitutionnalité d'un traité européen devient une habitude dans nombre d'Etats membres. C'est le cas en France où le Conseil constitutionnel, depuis Maastricht en 1992, s'est prononcé sur quasiment tous les traités européens (à l'exception de celui de Nice), sa décision sur le traité de Lisbonne datant du 13 décembre 2007. La Constitution de 1958 a en effet institué une procédure - inspirée de l'enseignement tiré par le Général de Gaulle des débats sur la Communauté européenne de Défense (CED) - à l'origine destinée à empêcher l'application en France de traités aussi attentatoires à notre souveraineté que celui de la CED ! Les temps ont changé. La France s'est ouverte sur l'international et s'est intégrée dans l'Europe. Aujourd'hui, tout en désignant les dispositions du traité mettant en cause "les conditions essentielles de la souveraineté nationale" et impliquant en conséquence une révision de la Constitution, le juge constitutionnel français accompagne, plus qu'il ne les entrave, les progrès de la construction européenne. Le Conseil a notamment considéré que les compétences transférées à l'Union par le traité de Lisbonne en matière de justice, le passage de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée dans certains domaines, ou encore l'attribution au Parlement français du pouvoir de bloquer une législation européenne au nom de la subsidiarité, exigeaient de réviser la Constitution. Ce qui a permis à cette révision d'être adoptée dès le 4 février 2008 au travers d'une formule aussi vague qu'efficace selon laquelle "la France peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne." La ratification par voie parlementaire du traité a ensuite pu avoir lieu forte de cette validation constitutionnelle.

Il n'est pas certain que les choses se passent toujours et partout aussi facilement. Une décision favorable de la Cour constitutionnelle tchèque ne sera peut-être pas suffisante pour venir à bout de l'opposition d'une partie des sénateurs proches de Vaclav Klaus et hostiles au traité. Même un vote parlementaire autorisant la ratification du traité ne serait peut-être pas suffisant pour inciter Vaclav Klaus à y apposer sa signature. A l'instar du Président polonais Lech Kaczinski, il pourrait continuer à faire de la résistance. Autre cas de figure : en Allemagne, alors même que les deux chambres du Parlement ont approuvé à une large majorité la ratification du traité de Lisbonne, la signature du Président de la République est suspendue à la réponse, prévue pour 2009, du Tribunal constitutionnel qui a été saisi tant par le parti « la Gauche » d'Oscar Lafontaine que par la droite souverainiste.

Il arrive également qu'un juge national soit interrogé sur la nécessité ou non d'un référendum pour ratifier un traité européen. Le juge britannique a rejeté le lendemain même du non irlandais le recours d'un particulier qui prétendait que le traité de Lisbonne ne pouvait être ratifié que par un vote référendaire. S'il avait décidé le contraire, sans doute aurait-il fallu oublier ce traité dans sa forme actuelle. A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler que si les Irlandais ont du se rendre aux urnes le 12 juin, c'est en raison d'un jugement – à la portée controversée - de la Cour suprême irlandaise en 1987 selon lequel la Constitution requiert une ratification par référendum de tout traité européen.

Chacun s'accorde à reconnaître que l'Union européenne doit pouvoir se réformer pour fonctionner avec des mécanismes de décision allégés, des institutions confortées et des compétences renforcées en matière de lutte contre la criminalité, de santé ou de politique énergétique, par exemple.

Mais chacun doit avoir aussi conscience que la nécessité d'une unanimité des Etats pour ratifier un traité européen est en contradiction avec une telle exigence. En dehors même de l'hypothèse du référendum – peu adapté à un débat serein sur la réforme institutionnelle de l'Europe – les interventions des gouvernements, des Parlements, des chefs d'Etat et – last but not least – des juridictions nationales notamment constitutionnelles, représentent autant d'étapes nécessaires à la finalisation du processus de ratification. Or il y aura toujours ici ou là des gouvernants ou des parlementaires eurosceptiques, des juges réticents à admettre les transferts de souveraineté induits par la construction européenne ou même tout simplement la tentation de régler des problèmes de politique intérieure sur le dos de l'Europe. Moyennant la ferme volonté des responsables politiques des différents Etats membres, les ratifications du traité de Lisbonne parviendront à leur terme. Il n'en restera pas moins indispensable de repenser avant longtemps un processus de ratification qui s'avèrera de plus en plus difficile à mesure que l'Europe s'agrandit à l'échelle du continent.


Chronique publiée dans le journal La Tribune, le 9 juillet 2008


Noëlle Lenoir, est ancienne ministre déléguées aux Affaires européennes. Elle est présidente de l'Institut d'Europe d'HEC et du Cercle des Européens 

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