par Bruno Vever, le jeudi 10 mai 2007

La campagne des élections présidentielles en France est restée très marquée par les ombres et les réminiscences de l'échec du référendum européen deux ans auparavant.


A droite comme à gauche, le tricolore a été largement et presque exclusivement déployé. A l'heure de 2007, l'hexagone est apparu plus insulaire que continental, plus nostalgique que visionnaire, plus défensif que conquérant. On s'est pressé de tous côtés autour de références à Jean Jaurès ou Léon Blum, mais on n'a dit mot de Robert Schuman ou Jean Monnet. Chacun s'est inquiété sur le devenir de l'identité nationale, mais personne sur celui d'une identité européenne. L'Europe ne fut abordée qu'à travers les critiques convergentes d'un euro renchéri par une Banque centrale européenne jugée autiste, de frontières ouvertes à tous les mauvais vents de la globalisation, d'une concurrence fiscale déloyale de nos partenaires, de délocalisations croissantes dictées par une course effrénée au profit.

Ceux qui avaient plaidé pour le oui au référendum n'ont pas laissé un discours si payant aux seuls "nonistes", d'ailleurs réintégrés au sein des grands camps pour le même combat élyséen. Seul François Bayrou prit ses distances avec cette distanciation européenne, mais pour se retrouver lui même nulle part à l'ouverture du second tour.

Toutefois, en dépit de cette remarquable désaffection du débat national pour tout ressenti européen, l'élection nettement acquise de Nicolas Sarkozy va clore deux années de mise sur la touche de la France en Europe. Elle ouvre enfin de nouvelles perspectives pour sortir les 27 de l'impasse. Quatre axes se dégagent ainsi des intentions qu'il a exprimées très clairement, martelant qu'il ne ménagerait pas ses efforts pour les mettre en oeuvre.

Le premier constat est que la France, après tous ses voisins, se résout à prendre le train des réformes économiques et sociales qu'elle avait remisé depuis si longtemps sur une voie de garage. Direction : réduction de la dette, réforme de l'Etat et de la fiscalité, desserrement de tous les freins sur le travail, aménagement d'une "flexisécurité". Pour obtenir rapidement des résultats visibles, on pourra profiter d'une météo économique redevenue favorable chez nos voisins et particulièrement dynamique dans le reste du monde.

Le second constat est que la France va interpeller ses partenaires pour revigorer à l'échelle européenne une gouvernance économique également plus efficace. Mais la pratique sera moins aisée que le verbe. Concernant l'euro, il apparaît illusoire de mettre en cause l'indépendance de la Banque centrale européenne sur laquelle est fondée l'union monétaire et que l'Allemagne ne sera pas seule à défendre becs et ongles. Il sera également bien difficile de réorienter les taux de change face à la puissance des marchés. L'euro fort n'est d'ailleurs pas le handicap monolithique tant dénoncé en France : s'il renchérit nos exportations, il allège aussi la facture de nos importations, notamment du pétrole et des matières premières ! Pour sa part, l'Allemagne a bien trouvé le moyen de s'en accommoder avec succès. Un enjeu clé pour l'avenir de la zone euro sera surtout de donner l'esprit d'équipe et la cohérence qui manquent encore cruellement à l'Eurogroupe des ministres de l'économie et des finances, à ce jour principalement rivés sur leurs prés carrés nationaux et hors d'état de faire contrepoids à la BCE. Il faudra aussi avancer pas à pas pour arrondir les angles de la compétition fiscale face à une exigence d'unanimité entre 27 Etats. Et il faudra être innovateurs et clairvoyants pour trouver le bon angle d'approche permettant de rénover les fils d'une solidarité européenne trop distendue en matière industrielle, agricole, commerciale, énergétique et environnementale, face aux enjeux de la globalisation et aux agendas de l'OMC.

Le troisième constat est que le nouveau président français rompt avec son prédécesseur sur le dossier de la Turquie, n'hésitant pas à mettre les pieds dans le plat, brisant 27 colonnes de porcelaine. Certes, d'autres parmi les 27 ne seront pas mécontents d'un tel revirement qu'ils n'auraient eux-mêmes guère osé susciter. Mais tout reste à faire pour offrir une alternative réelle à l'adhésion, préservant des liens étroits de coopération avec ce grand pays voisin. Ceci impliquera une approche plus imaginative et plus active de notre voisinage tant à l'est qu'au sud, dont le devenir paraît brouillé malgré des ballons d'essai encore loin d'être transformés comme le partenariat euro-méditerranéen. Un élargissement à la Turquie aurait certes considérablement accru les problèmes internes de l'Union, mais un refus de donner suite aux négociations en cours en pose d'autres aussi.

Last but not least, le quatrième constat est que l'approche "constitutionnelle" de la rénovation de l'Union a – provisoirement ? - vécu, au profit d'un pragmatisme d'inspiration sans doute plus intergouvernementale – version modernisée bien sûr - que fédérale. Le nouveau président français propose ainsi de dénouer l'imbroglio constitutionnel en adoptant et en ratifiant le plus tôt possible un traité simplifié se limitant aux réformes institutionnelles non contestées lors du débat référendaire. Il s'agit notamment de doter l'Union d'un président plus stable et d'un ministre des affaires étrangères, et de généraliser le vote majoritaire au Conseil – sans infirmer pour autant l'invocation exceptionnelle par un Etat d'un intérêt vital (compromis de Luxembourg) -. Plus besoin donc de revenir devant les électeurs français, le parlement se chargeant de cette ratification. Certes l'Allemagne, qui préside l'Union au cours de ce premier semestre 2007, tenait au départ plus que tout autre Etat membre au traité constitutionnel qu'elle avait été la première à revendiquer et qui a déjà été ratifié par 18 des 27 face aux 2 rejets français et néerlandais. Mais le temps a fait son œuvre et Paris vaut bien une messe. Un tel traité simplifié devrait donc convenir, faute de mieux, pour désembourber l'Europe. Il sera toujours temps, quand l'attelage aura repris vitesse et vigueur, de réfléchir à nouveau à des perspectives plus ambitieuses. L'ensemble des Etats membres, le Royaume-Uni n'étant pas le moindre d'entre eux, auront ainsi bien des raisons de se rallier à un tel "dépannage".

Cet épilogue permettra sans doute, dans un premier temps, de faire fonctionner un peu moins mal l'Europe à 27. Mais on aurait bien tort de fermer les yeux sur ses limites et sur son coût politique, en premier lieu le boulevard laissé aux anciens "nonistes" pour critiquer une Europe confisquée par les administrations et les marchés. C'est pourquoi il faudra apporter point par point des réponses crédibles aux critiques opposant une "technocratie" européenne sans âme ni visage aux intérêts économiques et sociaux des nations, des régions et des citoyens.

Il ne faudra donc pas abandonner, parce qu'on se sera rabattu sur un traité simplifié, la perspective à terme d'un nouveau référendum autour d'un projet plus ambitieux pour l'Europe, cette fois mieux préparé. Ce qui impliquera, selon les termes de Ségolène Royal, de "relancer l'Europe par la preuve". Ce qui supposera aussi de construire une Europe plus participative, corollaire trop négligé de cette France citoyenne tant prônée lors de la campagne présidentielle.

Au-delà d'aménagements des institutions de l'Union, utiles mais non suffisants, il faudra donc que les forces vives économiques et sociales prennent des initiatives européennes significatives. Il faudra que les pouvoirs publics tant nationaux et régionaux qu'européens les y encouragent et leur permettent de réussir. Il faudra que les citoyens y participent plus massivement et plus directement. Et qu'on ne mette plus, notamment en France, son drapeau européen dans sa poche, pour ne pas dire dans un fond de tiroir. Cela aussi serait une "rupture" qui viendrait bien à propos !



Paru dans la Lettre d'Europe et Entreprise n°38

http://www.europe-entreprises.com

Bruno Vever est consultant en affaires européennes et administrateur de l'Association Europe et Entreprises.

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