par Didier Blanc, le mercredi 10 mai 2006


Avec l'échec des référendums français et néerlandais et l'ouverture mouvementée des négociations entre l'Union et la Turquie, de sombres nuages pèsent sur l'avenir de l'Union européenne. D'autant plus que l'entrée en vigueur du traité-constitutionnel était non seulement censée améliorer le fonctionnement d'un ensemble comportant 25 Etats membres mais aussi faciliter les futurs élargissements (Bulgarie et Roumanie). Dans ces conditions, la question des frontières de l'UE est plus que jamais d'actualités. Deux initiatives renouvellent les termes du débat.

La première est lancée par la Commission en décembre 2002 lorsque son président Romano Prodi lance les bases de la politique européenne de voisinage par son retentissant « Tout partager sauf les institutions ». Cette formule ambitieuse témoigne du souci partagé d'approfondir les relations entre l'Europe communautaire et ses « nouveaux voisins », c'est-à-dire les Etats situés à l'Est des frontières de l'Union telles qu'elles seront dessinées par l'élargissement programmé pour 2004 (15+10). Seulement la définition territoriale de la PEV va s'élargir à la demande en particulier de la France puisque les Etats méditerranéens sont concernés par cette politique (Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Tunisie et Autorité palestinienne) ainsi que par la suite certains Etats sud caucasiens (Arménie, Azerbaïdjan et la Géorgie). Cette extension domaniale entraîne une dilution conceptuelle. En clair, dans l'esprit de la Commission, la PEV permet d'écarter à moyen terme toute perspective d'adhésion pour des Etats tels que l'Ukraine ou la Moldavie en mettant en place une zone de libre-échange voire, une zone économique totalement intégrée. La PEV fait figure d'antichambre de l'adhésion. Son extension en direction du Sud de la Méditerranée change la donne. Désormais, elle apparaît au niveau communautaire comme le prolongement des accords d'association ou de partenariat et de coopération unissant l'UE et les Etats concernés (Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Autorité palestinienne et Tunisie ; Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Moldavie et Ukraine).

Pour certains Etats membres, dont la France, la PEV est appréciée comme une alternative à l'adhésion de la Turquie. Qualifier un Etat de voisin lui confère nécessairement une dimension extérieure susceptible de l'exclure du processus d'adhésion. Selon l'ancien Premier ministre J.-P. Raffarin, la PEV permet au « peuple français (de) choisir le moment venu, à condition que tel pays parvienne au bout des négociations, entre la relation d'adhésion et la relation de voisinage » (Sénat, séance du 6 avril 2005). Ici la PEV apparaît comme un lot de consolation au refus d'adhésion.

En dépit des incertitudes pesant sur l'objectif ultime de la PEV, pour l'heure elle vise à lisser les marches de l'UE. Sa mise en œuvre rapide et la création prochaine d'un Instrument financier de voisinage (doté d'un budget avoisinant les 10 milliards d'euros pour la période 2007-20013) témoignent de la volonté de la Commission de répondre aux attentes exprimées par nos nouveaux voisins. Cependant, elle entretient l'indétermination des frontières de l'Union.

La seconde initiative, récente, émane du Parlement européen, elle a précisément pour objet de dissiper le flou nimbant les limites de l'Europe européennes. La résolution qu'il a adopté le 16 mars 2006 met en avant « la capacité d'absorption de l'Union européenne » pour rappeler qu'elle « demeure l'une des conditions de l'adhésion de nouveaux pays ». A cet égard, le Parlement européen demande à la Commission d'établir un rapport avant la fin de l'année afin de mieux cerner « la notion de capacité d'absorption » de l'UE en particulier grâce à la définition de ses frontières géographiques. Cette condition prend racine dans la déclaration du Conseil européen de Copenhague (21 et 22 juin 1993) en vertu de laquelle « la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne constitue également un élément important répondant à l'intérêt général aussi bien de l'Union que des pays candidats ». Jusqu'à présent cette condition n'était guère évoquée dans la thématique de l'élargissement, sa réactivation est un signal fort adressé par les députés européens aux Etats désireux d'appartenir à l'Union. La démarche est salutaire à l'heure où le statut d'Etat candidat vaut assurance à plus ou moins brève échéance d'acquérir la qualité de membre de l'UE. En effet, sous réserve de la volonté contraire de l'Etat candidat (Norvège) les négociations d'adhésion ont toujours débouché sur son adhésion. Dès lors, l'appréciation de la capacité d'absorption de l'UE devient urgente, il est permis de regretter son absence formelle préalablement à l'ouverture des négociations lancées depuis plusieurs années. Nul doute que les éléments de réponse apportés par la Commission devront être lues à l'aune de la PEV.

Didier Blanc


Didier Blanc est Maître de conférences à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines et Directeur adjoint du laboratoire Droit de la Ville et des Politiques Urbaines (E.A. CNRS n°3643)

Ouvrage récent : L'Union européenne, Ellipses, 2006, à paraître.

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