Xavier Grosclaude, le 2 octobre 2018
On ne le dira jamais assez si l’Union européenne est un succès historique sans égal dans le Monde, une création démocratique salutaire pour le continent européen, c’est aussi un succès fragile nécessitant de perpétuelles évolutions pour coller aux exigences du présent mais surtout du futur.
Au sein de la classe politique française, l’idée d’une « refondation » de l’Union européenne est souvent avancée avec des arguments tout à fait pertinents sur le plan technique. Malheureusement, les conditions politiques d’une refondation ne sont pas réunies pour lui donner corps. En revanche, il est possible d’avancer en procédant à des clarifications.
L’Union européenne, un succès fragile.
De sa création à nos jours, le succès de l’Union européenne repose tout entier sur la volonté d’hommes et de femmes politiques clairvoyants sur la marche du Monde, ambitieux pour le continent européen et soucieux de l’intérêt général des peuples. Aujourd’hui, force est de constater que ces hommes et ces femmes font cruellement défaut au niveau européen.
La génération des combattants de la Liberté contre le totalitarisme (fascisme, nazisme, communisme) appartient désormais au passé. Elle a laissé place à des politiciens certes talentueux pour conquérir le Pouvoir (voire éventuellement pour le conserver…) mais sans réelles ambitions pour l’avenir de l’Union européenne.
Pourtant, l’Union européenne joue actuellement sa qualification pour la finale des acteurs leaders du nouveau millénaire. Est-il nécessaire de le rappeler, la compétition est très ouverte, la règle des plus simple, « first arrived, first served » .
A ce jour, personne ne peut dire avec certitude si l’Union européenne sera qualifiée pour la finale, encore moins si elle aura une place sur le podium mais tout le monde comprendra aisément qu’en cas d’échec l’avenir de l’Union européenne ne sera plus vraiment européen…
Le contexte mondial de paix chaude ne joue pas en faveur de l’Union européenne.
Outre le séisme économique provoqué par la faillite de la banque Lehman Brothers, l’Union européenne doit, depuis plusieurs années maintenant, composer avec un environnement géopolitique dégradé.
L’inflation galopante du radicalisme démagogiquedans de nombreux pays y compris au sein de l’Union ( Hongrie, Pologne, Italie, Slovaquie, Suède…) la montée en puissance du césarisme liberticide comme mode de gouvernance, la multiplication des contentieux territoriauxsur le continent européen, à l’instar de l’annexion de l’Ukraine par la Russie, le goût des dictatures théocratiques pour les guerres de religion enfin l’appétence du nouveau Président des États-Unis d’Amérique pour un unilatéralisme débridé couplé à un protectionnisme décomplexé offrent peu de répit pour une initiative réformatrice de grande ampleur.
Dans le même temps, outre la gestion du terrorisme islamiste dont le coût a été évalué à 185 milliards d'€ pour les pays membres, l’Union européenne doit faire face à des entreprises de déstabilisation de plus en plus structurées (cyberattaques ciblées, désinformation sur les réseaux sociaux, appui aux mouvements séparatistes européens, assassinats politiques sur le territoire de l’Union…) et d’entrisme culturel de plus en plus insidieuses à l’image des celles engagées par la Turquie. Ce pays officiellement candidat à l’adhésion ne ménage pas ses efforts pour encadrer politiquement les communautés d’origine turque établies au sein de l’Union et diffuser, via les lieux de culte, un discours islamo-nationaliste ouvertement hostile aux valeurs européennes.
Si ce type d’entreprises a toujours existé, personne ne peut nier que leur toxicité est croissante d’autant qu’elles s’ajoutent à des actions beaucoup plus anciennes comme celle menées depuis plus d’un quart de siècle maintenant par l’Arabie Saoudite pour promouvoir le wahhabisme dans les pays européens à partir de la Belgique. Or, le wahhabisme, matrice idéologique du terrorisme islamiste, ne prône ni l’unité, ni la diversité au sein de l’Union.
Enfin, l’activité des instances européennes fait l’objet de la part des services de renseignement étrangers (Chine, Russie, États-Unis, …) d’un espionnage polymorphe de plus en plus agressif contre lequel l’Union européenne n’est pas véritablement armée. La gestion stratégique de l’information et sa sécurisation sont deux sujets sur lesquels l’Union n’a jamais vraiment travaillé (sauf pour le volet militaire) or à partir du moment où il y a partage de souveraineté le sujet ne peut plus être ignoré.
Au titre des clarifications politiques nécessaires pour faire de la sécurité de l’information une priorité, le choix de Strasbourg comme centre unique des activités du Parlement européen doit désormais être inscrit à l’agenda européen. Cela mettrait fin à de coûteux et nombreux déménagements qui constituent des vulnérabilités objectives en matière de sécurité. Outre son histoire, Strasbourg présente le double avantage de ne pas être une capitale nationale tout en étant le siège d’organisations internationales de premier plan.
Les futures élections européennes se présentent mal pour la France…
Comme d’habitude, la campagne pour les prochaines élections européennes va être expédiée en quinze jours. Comme d’habitude, les français vont avoir droit dans les médias à quelques « débats barnum » centrés sur des sujets de politique intérieure avec en toile de fond un sujet référendaire pour ou contre …Comme d’habitude, le taux d’abstention va être élevé et comme d’habitude, la France sera représentée au Parlement européen par des « députés zombies » (people du moment, apparatchiks démonétisés, ami(e)s recasé(e)s, militants récompensés pour bons et loyaux services…) sans aucune expérience européenne (ni politique, ni professionnelle, ni linguistique ) et comme d’habitude, tout le monde (éditorialistes, universitaires, élus, fonctionnaires…) expliquera en chœur que c’est somme toute « normal » car l’Union européenne « c’est compliqué »…
En réalité, ce qui devient compliqué pour la France c’est le recul de son influence au sein des institutions européennes en général et du Parlement européen en particulier. En 2018, à la différence des autre pays membres de l’Union, les partis politiques français considèrent toujours les questions européennes comme un sujet accessoire et le Parlement européen comme un purgatoire. Comble de la situation, le travail assidu des quelques « député(e)s expert(e)s » dont dispose la France au Parlement européen ne fait l’objet d’aucune publicité en France. Pire, ils doivent se battre pour ne pas être exclus par leur parti respectif de la composition des listes pour les élections européennes !
Aussi, pendant que la classe politique française gère des sujets hautement stratégiques comme l’utilité ou non d’implanter une piscine au fort de Brégançon, le Français, comme langue officielle de travail, recule chaque année un peu plus au sein des institutions européennes et le poids de la France avec…
L’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg pour ne citer que ces trois pays fondateurs ont toujours eu l’intelligence de jouer collectif au niveau de leur représentation parlementaire pour défendre leurs positions et verrouiller les postes clés de l’Union. La candidature de Manfred Weber à la présidence de la Commission européenne obéit à cette logique.
A la lumière de la position adoptée par le Parti Populaire Européen (groupe majoritaire au Parlement européen) concernant l’activation de l’article 7 à l’encontre de la Hongrie, il est temps de sortir des fables et autres contes pour enfants. La ligne de fracture relative à l’Union européenne ne passe pas entre les « nationalistes » d’un côté et les « progressistes » de l’autre, encore moins entre les « pro-européens » et les « anti-migrants » ou les « nationalistes » et les « mondialistes » mais entre les professionnels du radicalisme démagogique spécialisés dans le chaos pour tous et les amoureux de l’intelligence collective pour le bien de tous .
Les premiers ont toujours eu pour seule « offre politique », un nihilisme régressif tourné vers le passé avec une relation des plus distante à la vérité. A titre d’exemple, les néo-communistes inspirés par les discours de l’extrême droite européenne vous expliqueront sans rire que l’Union européenne c’est pire que…l’URSS ! Si l’imposture relève de leur culture, la démagogie constitue leur unique fonds de commerce électoral. Les seconds poursuivent depuis plus d’un demi-siècle maintenant la même ambition, faire de l’Union européenne une puissance au service de l’intérêt général des peuples qui la compose. La tâche est ardue mais la noblesse de la démarche fait déjà partie de l’Histoire.
Tout n’est pas parfait au sein de l’Union européenne, le modèle est largement perfectible mais il a le mérite d’exister sur des bases politiques et économiques que de nombreux peuples à travers le Monde nous envient .
Que la Russie, terre étrangère à la démocratie, veuille la disparition de l’Union européenne n’a rien d’étonnant. Ce qui est étonnant, c’est la facilité avec laquelle certains élus aveuglés par « la verticale du pouvoir » voit dans la Russie non pas une menace pour nos intérêts vitaux mais une opportunité pour défendre l’Occident ! C’est un peu comme si le Vatican se rapprochait de Daech pour sauver les Chrétiens d’Orient…
Le propre des professionnels de la démagogie est de savoir mobiliser les peuples pour déconstruire, culture du chaos oblige, mais jamais de les unir pour construire. Au-delà des photos d’unité et des slogans, ils ne sont d’accord sur rien à l’image du groupe informel de Visegrad ( Hongrie, Pologne République Tchèque, Slovaquie ) ou du Groupe « Europe des nations et des libertés » au Parlement incapable de gérer autre chose que ses divisions. Quant à Nigel Farage, artisan de la victoire du « leave » au Royaume-Uni, il a déserté son parti dès l’annonce des résultats pour se réfugier avec un courage confondant au Parlement européen…
A la faveur des prochaines élections européennes, les partis politiques favorable à la construction européenne doivent avoir quatre priorités a) expliquer aux électeurs la nécessité pour l’Union européenne d’être un « acteur mondial » b) défendre avec détermination le respect de la démocratie libérale au sein de l’Union c) faire de l’Union européenne une terre d’innovation ancrée dans le futur d) combattre les idéologies totalitaires contraires aux valeurs de l’Union au premier rang desquelles l’islamisme.
L’islamisme doit être combattue au sein de l’Union avec détermination pour ce qu’il est à savoir une idéologie totalitaire hostile à la liberté, au progrès et au bonheur des êtres humains. Sauf à se méprendre sur sa nature, l’islamisme n’a besoin ni de territoires, ni d’armées, ni de médias pour nuire à la cohésion des sociétés européennes mais uniquement de prédicateurs zélés obsédés par la « pureté », mère de toutes les barbaries dans l’Histoire, et de fanatiques endoctrinés dans la haine de la démocratie libérale.
Le combat de l’Union européenne contre l’islamisme sera un combat de longuehaleine, un combat pour la démocratie libérale et la Liberté (notamment la liberté de conscience…). Ce combat, elle doit le mener sur son territoire mais aussi au-delà, notamment en Afrique, pour soutenir les efforts en faveur de la démocratie. D’un point de vue historique, l’Union européenne se doit d’être à l’avant-garde de ce combat, elle se doit aussi de procéder à une clarification culturelle pour renforcer sa cohésion.
Une clarification s’impose sur le plan culturel pour défendre la démocratie libérale.
Face à l’ardente obligation de gérer des sociétés de plus en plus plurielles sur le plan culturel et ethnique, l’Union européenne doit rapidement changer de paradigme en officialisant sans fausse pudeur une évidence rarement énoncée, nous ne sommes ni américains, ni africains, ni russes, ni chinois mais européens.
Les valeurs de liberté, de dignité, d’égalité promues par l’Union européenne n’ont pas vocation à être relativisées sur son territoire pour s’adapter à des idéologies totalitaires politiquement liberticides et humainement régressives indépendamment de leur nature profane ou religieuse.
Si l’Union européenne veut renforcer la confiance de ses citoyens dans sa gouvernance, contrer les chantres du radicalisme démagogique et faciliter l’intégration des populations de culture extra-européenne sur son territoire, elle doit promouvoir l’interculturel comme mode de gestion de l’altérité au sein de l’Union.
Dans un contexte de crispation des sociétés européennes confrontées à de profondes mutations, c’est la seule voie autorisant la constitution de sociétés cohésives sur une base positive en faisant de la pluralité des origines géographiques et des cultures, une réalité humaine à piloter par le haut et non un sujet de division alimentant le radicalisme démagogique dans sa version « xénophobie heureuse » ou « angélisme pour tous » sur fond de moins-disant culturel.
Sauf aveuglement, un constat s’impose, le multiculturalisme a échoué partout dans le monde. De l’aveu même de David Cameron, il présente l’inconvénient majeur d’atomiser les société en communautés qui cohabitent plus ensemble qu’elles ne vivent vraiment ensemble. Aujourd’hui, force est de constater que le relativisme culturel imposé par le multiculturalisme est plus déstructurant que structurant pour la cohésion des sociétés.
Les sociétés européennes ne procèdent dans leur organisation et leur fonctionnement ni du puritanisme américain, ni de l’autoritarisme russe, ni du totalitarisme chinois, ni du communautarisme africain. Elles fonctionnent conformément à un modèle hérité de la civilisation gréco-romaine, du judéo-christianisme et de la philosophie des Lumières. C’est ce modèle qu’il faut cultiver sur une base interculturelle pour renforcer l’identité collective de l’Union.
Ce modèle fondé sur la reconnaissance de la liberté (individuelle et collective) et de l’égalité dans le respect de l’État de Droit, sur la consécration de la démocratie libérale et l’autonomie du droit positif à l’égard des religions doit être valorisé pour ce qu’il est à savoir la seule alchimie capable de garantir la cohésion des sociétés européennes sur l’ensemble du territoire de l’Union.
Au pays de l’Habeas Corpus, l’acceptation déraisonnable par les pouvoirs publics britanniques, au nom du multiculturalisme, de revendications ethniques et de pratiques dérogatoires du droit commun a engendré les émeutes racistes de Bradford, Burnley, Oldham… la constitution d’un foyer mondial de l’islamisme à Finsbury, l’antisémitisme décomplexé du Labour et le retrait du Royaume-Uni de l’Union sur le seul sujet de la question migratoire d’origine européenne. Peut-on parler de succès ?
Néanmoins, ne nous y trompons pas, la « xénophobie heureuse » promue par le radicalisme démagogique en Europe « au nom du peuple » n’est que le Cheval de Troie d’une contestation politique de la démocratie libérale au profit de la « démocratie électorale » et de sociétés monoculturelles.
Dans les « démocraties électorales », incarnées par des pays comme la Russie ou la Turquie. l’État de droit est une réalité virtuelle au même titre que la liberté, l’élection tient lieu de sacre impérial. Elle est la source de tous les droits et de tous les pouvoirs « au nom du peuple »…
La création par Steeve Banon, ancien conseiller de Donald Trump, d’une Fondation à Bruxelles correspond à cette volonté de promouvoir la « démocratie électorale » sur le continent européen et notamment en France. Cette initiative snobée en Autriche par le secrétaire général du FPÖ, Harald Vilimsky et en Hongrie, par le premier Ministre Viktor Orban, tourne le dos aux fondamentaux de l’Union européenne mais elle lui l’offre une réelle opportunité, prendre le leadership de l’Occident en s’affirmant comme une puissance positive dans le Monde au service de l’Humanité.
Xavier Grosclaude est Délégué Général de Fenêtre sur l’Europe
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