par Édouard Pflimlin, le lundi 17 janvier 2022

Face à un environnement géopolitique toujours inquiétant, le Japon semble à la croisée des chemins : développement accéléré de l’armée populaire chinoise (APL) qui s’équipe en porte-avions, missiles hypersoniques et drones divers au service de revendications territoriales sur des terres japonaises (îles Senkaku) ; développement de missiles balistiques y compris depuis des sous-marins par la Corée du Nord ; menace russe sur plusieurs États souverains, dont l’Ukraine à l’ouest, en Extrême-Orient où elle se renforce militairement dans les îles Kouriles que Tokyo estime historiquement siennes, et coopération avec la Chine dans des manœuvres navales.

Le cabinet du Premier ministre japonais Fumio Kishida a approuvé le 26 novembre dernier quelque 773,8 milliards de yens (6,7 milliards de dollars) de dépenses de défense dans le budget supplémentaire de l’exercice 2021, y compris les dépenses liées au réalignement des forces américaines et allouées à l’atténuation des impacts sur les communautés locales, ceci marque un chiffre record pour les crédits de défense dans l’histoire japonaise récente pour un budget supplémentaire. Combiné au budget initial de défense de 5,34 trillions de yens, le plus élevé du pays, pour l’exercice 2021, commencé en avril, le budget total de la défense pour cet exercice a atteint pour la première fois plus de 6 trillions de yens. Un nouveau record pour la septième année consécutive et dépassant le plafonnement de longue date de 1% du produit intérieur brut. Traditionnellement, le Japon avait maintenu les dépenses de défense au cours d’un exercice donné en dessous des 1% du PIB de l’exercice précédent, bien qu’il ait légèrement dépassé ce niveau à plusieurs reprises et que ce ne soit pas une obligation légale stricto sensu. C’est donc un changement majeur.

Au cours de la campagne électorale législative d’octobre, le Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir et dirigé par Kishida s’est même engagé dans son manifeste à doubler les dépenses de défense du pays de 1% à 2% du PIB, en gardant à l’esprit les objectifs de dépenses de défense des pays de l’OTAN (plus de 2% du PIB). C’est un signe. Le programme de campagne du parti a été considérablement renforcé par les tirs de missiles répétés de la Corée du Nord et la toute première patrouille conjointe des navires de guerre russe et chinois dans la partie ouest de l’océan Pacifique entourant l’archipel japonais. Le parti a déclaré qu’il « reconsidérerait radicalement » la réponse du pays face à l’affirmation croissante de la Chine dans le détroit de Taïwan et les îles Senkaku/Diaoyu ainsi qu’à la menace nucléaire et balistique croissante posée par la Corée du Nord.

Le PLD a déclaré qu’il prenait note de l’objectif fixé par les alliés des États-Unis au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord de consacrer au moins 2% du PIB à la défense, bien que M. Kishida ne se soit pas engagé à ce niveau. L’argent supplémentaire souhaité en novembre couvrirait le coût des missiles, des avions de patrouille, des torpilles, des hélicoptères et d’autres équipements, dont certains étaient budgétisés pour l’achat dans les dépenses de l’année prochaine. Mais les défis régionaux obligent le Japon à « accélérer le renforcement de sa capacité de défense antimissile et d’autres capacités de défense nécessaires pour protéger les îles de la région du sud-ouest », a déclaré le ministère. À savoir, les îles Senkaku.

Par ailleurs, le PLD semble être de plus en plus prêt à une révision de la constitution pacifiste de 1946 qui briderait selon lui son armée, de plus en plus de déclarations politiques allant en ce sens. Cette tendance peut être dangereuse. S’il ne s’agit pas d’empêcher le Japon de se protéger – il prend d’ailleurs de plus en plus à sa charge le coût des forces américaines au Japon qui le protègent – l’objectif n’est pas de pousser à la guerre. Car la course aux armements est sans fin et coûteuse. Tokyo s’y engage en développant des missiles hypersoniques, un avion de combat de nouvelle génération et des missiles à longue portée. Toute la région, Corée du Sud comprise, suit cette voie. L’autre voie à suivre est celle de la négociation. S’appuyant sur son puissant allié américain, le Japon doit négocier sur les îles Kouriles pour, d’une part faciliter une désescalade militaire et d’autre part, exploiter en commun les ressources de cette zone, ce qui sera mutuellement profitable. Avec la Chine sur les Senkaku que Pékin appelle Diaoyu, il faut exploiter en commun les ressources halieutiques et en hydrocarbures tout en affirmant la souveraineté japonaise sur ces îles. Ce serait une position équilibrée.

Plus globalement, Tokyo devrait pousser à une discussion générale avec toutes les parties sur la mer de Chine. Personne ne sera vainqueur des tensions croissantes dans cette zone. Tokyo et Pékin ne peuvent continuer dans cette fuite en avant. Avec fermeté mais diplomatie, avec l’appui des partenaires occidentaux et asiatiques, Tokyo doit pousser la voie de la discussion, puis de la négociation.

Cela pourrait être une belle ambition pour 2022. Formulons de tels vœux.

 

Edouard Pflimlin est Journaliste et chercheur en relations internationales

 

Tribune publiée sur le site de l'IRIS le 4 janvier 2022 : https://www.iris-france.org/163638-2022-le-japon-a-la-croisee-des-chemins

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