par Patrick Martin-Genier, le samedi 14 janvier 2012

La France vient donc de perdre cette notation mythique de triple A par l'une des agences de notation américaine, lesquelles se voient ainsi plus que jamais consacrées comme les gourous de la santé financière de la planète et de la crédibilité des institutions financières des Etats.


Oui, la France est malade

La situation est plus que regrettable et il est un fait que ce coup de tonnerre sonne pour comme un camouflet pour Nicolas Sarkozy qui avait fait de la préservation de cette notation idéale le symbole de sa politique et de sa crédibilité politique, tant sur la scène nationale que sur la scène internationale. Le paquebot France, sans jeu de mot, vient ainsi de s'échouer sur les écueils de son optimisme somme toute excessif.

Notre pays est malade à n'en pas douter. Malade de son économie, malade aussi de ses divisions, malade de ses rigidités structurelles. Face à un tel diagnostic, quel remède apporter sachant qu'il faudrait trouver le médecin spécialiste de la cause ou du mal dont souffre notre pays…

Tout d'abord, face à la gravité de la situation, même si encore une fois certains affirment que l'on exagère la portée de cette crise (comme l'ancien chef de l'Etat Valéry Giscard d'Estaing), il convient que chacun fasse preuve de dignité et de responsabilité.

S'il est certain que cette brusque rétrogradation de la position de la France a pour effet d'atteindre personnellement le président de la République et le gouvernement, la gauche et François Hollande doivent aujourd'hui réagir avec la plus grande responsabilité. Si la démocratie doit laisser la place à tout le débat politique, il est impératif que François Hollande réagisse aujourd'hui comme s'il allait entrer à l'Elysée demain.

Faire preuve de responsabilité

S'il prenait ses responsabilités demain en tant que président de la République, que ferait-il ? Que ferait-il pour assainir les finances publiques et quelle politique proposerait-il pour faire face à la gravité de la situation, notamment sur le plan de la relance économique ?

Si Nicolas Sarkozy doit lui-même continuer à agir pour trouver des solutions à ce coup de semonce, les autres candidats crédibles à l'Elysée ne doivent pas tomber dans la critique systématique mais formuler des propositions de nature à rassurer les Français qui ne comprendraient pas qu'on les laisse tomber au pire moment..

Il est clair que les solutions ne sont pas multiples et que la clé du redressement de notre pays passe par la volonté accrue de réduire les finances publiques. Tous les secteurs vont devoir être concernés par cette cure d'amaigrissement, même ceux que l'on a l'habitude de mettre à l'abri pour des raisons dites stratégiques : les dépenses de fonctionnement de l'Etat doivent encore être diminuées. Des marges existent encore à condition que certains tabous soient levés. Ainsi, il n'est plus indispensable de conserver le deuxième réseau diplomatique du monde après les Etats-Unis. Des centaines de consulats pourraient ainsi être fermés de même que les dépenses militaires aussi pourraient être sacrifiées. La France ne dispose plus forcément des moyens d'assurer seule sa défense, y compris la dissuasion nucléaire.

Il est plus que jamais nécessaire de mutualiser les moyens militaires en réalisant une véritable Europe de la défense.

Au sein même du ministère de l'intérieur, des dizaines de sous-préfectures ne trouvent plus de sous-préfets. Ces sous-préfectures devraient être supprimées et le personnel réintégré dans les préfectures. Les dépenses sociales, budgétivores pourraient encore être réduite, à condition que la justice sociale soit la garante de la réparation des efforts nécessaires.



Si l'Etat est visé, les autres entités le sont également, notamment les collectivités territoriales. Ces entités décentralisées, en tout cas celles qui atteignent un seuil démographique relativement important, vivent pour certaines dans une opulence indécente en termes de moyens, qui ne peut qu'inquiéter lorsque l'on voit les moyens correspondants des administrations de l'Etat, notamment l'administration de la justice. Là aussi, dès lors que l'endettement des collectivités locales entre dans le calcul général de l'endettement de la France, de grandes marges de manœuvre existent.

Il va donc falloir une réelle volonté politique pour continuer sur le chemin de l'assainissement et montrer ainsi à nos partenaires une détermination sans faille.

Face à cette situation, l'idéal serait que la France soit unie sur le plan politique. Est-ce faire preuve ici d'utopie à quelques encablures du premier tour de l'élection présidentielle ?

Car d'ici au premier tour de l'élection, la situation pourrait bien empirer. Imaginons un seul instant que lors du conseil européen du 31 janvier prochain –le nième sommet consacré à la crise-la France et les pays faibles du sud de l'Europe soient complètement marginalisés et qu'il n'existe plus de solidarité européenne, notamment une solidarité sans faille entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel la chancelière allemande. Cette dernière est en effet de plus en plus soumise à une pression de la part de ses alliés libéraux de la coalition gouvernementale ?

Il pourrait s'en suivre une crise politique qui mettrait à mal tout à la fois le futur traité voulu par ces deux dirigeants, qui doit être signé au plus tard le 1er mars, mais aussi la zone euro qui pourrait en effet faire face à des turbulences à ce point graves que l'euro, sous sa forme actuelle, n'aurait plus que quelques jours à vivre…

Il faut se garder de tout scénario catastrophe, mais que ferait la France ?

À notre avis, elle n'aurait plus le choix. L'unité nationale s'imposerait d'elle-même ainsi que la formation d'un gouvernement d'union nationale associant au gouvernement à la fois l'UMP, le Modem de François Bayrou et les socialistes, une sorte de grande coalition comme l'Allemagne en a déjà connu dans des situations difficiles ou confuses sur le plan politique.

Car il n'est pas certain que la situation puisse attendre l'élection d'un nouveau président, le calendrier de l'action économique n'étant pas forcément compatible avec le calendrier politique. Et pour prendre les mesures drastiques qui s'imposeraient alors, seule cette union le permettrait.

Nous n'en sommes pas encore là heureusement et le plan gouvernemental de réduction du déficit public va forcément dans le bon sens. Il sera probablement nécessaire de le réorienter.

La France marginalisée ?

N'oublions pas en même temps que si la France vient d'être dégradée, c'est aussi en raison de son incapacité à trouver les voies et moyens d'une croissance pérenne aussi importante que celle de l'Allemagne et des rigidités de son marché du travail. Cette question risque d'être délicate : si l'on comprend bien, le marché du travail en France est trop cher. Mais en même temps, les ménages ne sont plus en situation de tirer la croissance en raison des faibles revenus.

Les rentrées d'impôts diminuent et il faudrait donc les augmenter. Mais comment demander encore à des foyers exsangues sur le plan financier, dont beaucoup ne payent déjà plus l'impôt sur le revenu, de contribuer encore plus aux dépenses de l'Etat, c'est-à-dire au financement de la dette ? La TVA sociale ne va –t-elle pas encore les déstabiliser encore plus. La taxe sur les transactions financières ne va-t-elle pas fragiliser la place financière de Paris au détriment de la City de Londres et de la place de Francfort, qui va être revigorée par le maintien de l'Allemagne dans la cour des bons élèves ?

Faut-il pour autant cribler d'impôts les classes moyennes qui pourraient ainsi voir leur situation tirer également vers le bas, au risque de porter un coup fatal à la consommation ? On voit que la situation est inextricable à bien des égards.

La présente situation exige donc dignité et responsabilité. Espérons que chacun respectera ce principe car ce sont bien les Françaises et les Français qui vont subir les conséquences de la situation.

Gageons aussi qu'Angela Merkel ne lâchera pas son partenaire qui vient de perdre une bataille…La perte du AAA va ainsi constituer un test grandeur nature de la solidarité franco-allemande dans les jours qui viennent ; c'est dans le malheur que l'on compte ses amis…


Patrick Martin-Genier est Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris

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