par Patrick Martin-Genier, le mercredi 25 janvier 2012

A quelques jours du conseil européen de Bruxelles qui doit de nouveau plancher sur la crise économique et financière, on ne peut s'empêcher de penser que l'heure de vérité va bientôt sonner pour la monnaie européenne et, par-delà celle-ci, l'avenir de l'Europe.


Le tangage franco-allemand ?

Comme nous le laissions supposer dans une précédente chronique, le couple franco-allemand va être confronté à une rude épreuve : celle qui consiste à démontrer que les deux gouvernements sont sur la même longueur d'onde et que la solidarité sans faille qu'affichaient volontiers jusqu'à présent le président français et la chancelière allemande sera tout aussi solide cette fois-ci…

Tout en se faisant en douceur, l'évolution des rapports entre les deux dirigeants pourrait cependant être notable. Depuis en effet que la France a perdu son triple A, en tout cas que l'une des agences de notation l'a ainsi décidé, c'est le gouvernement français lui-même qui a décroché par rapport au "premier de la classe" malgré les réels efforts faits pour réduire la dette publique. L'Allemagne voit donc sa position renforcée dans la gouvernance de l'Europe et se voir attribuer de facto le rôle de chef.

Comme dans une logique de concours, elle a su surmonter les obstacles de l'examen les uns après les autres et a réussi son "grand oral" devant les puissants de ce monde, qui vont des grandes banques au FMI en passant par les agences de notation et les places boursières, "le monde de la finance" dont parle François Hollande.

La chancelière face au président : quel duo ?

La chancelière peut donc s'enorgueillir d'avoir réussi un parcours qui, s'il comporte quelques fautes de positionnement, reste tout de même très positif : l'endettement de l'Etat est en voie de réduction, mais surtout l'Allemagne a su préserver une marge de croissance qui génère des profits pour les entreprises en raison d'une consommation des ménages qui persiste.

La compétitivité de ce pays est excellente ainsi que sa capacité exportatrice. Bref, une situation idéale par rapport à la France dont la note vient d'être dégradée ainsi que, dans la foulée, celle de trois grandes banques françaises.

Dans ces conditions, que vont avoir à se dire les deux partenaires alors que l'un vient de voir renforcer sa crédibilité et sa capité à conduire l'Europe sur la bonne voie, tandis que l'autre vient de se voir signifier un changement de classement ?

Dès cette semaine, les premiers signes d'un affaiblissement politique de la France ont commencé à se faire sentir. Le ministre allemand des finances en visite à Paris ce lundi 23 janvier a démenti lundi toute initiative franco-allemande pour assouplir les règles bancaires dites "Bâle III", lors d'une conférence de presse à Paris avec son homologue français François Baroin. Le journal britannique en général bien informé, le Financial Times, avait pourtant fait état d'une telle proposition.

Il semblerait que des négociations aient eu lieu ou en tout cas qu'aient été explorées de telles possibilités au sein des ministères de l'économie et des finances ; le même ministre a aussi demandé une sorte de moratoire afin de "clarifier la faisabilité" de taxe envisagée par Paris sur les transactions financières avant la fin du premier trimestre 2012…. Tout cela montre que le couple a désormais des difficultés à jouer la même partition, même si Berlin ne peut que prendre acte des efforts réalisés par la France pour continuer à diminuer son déficit public.

Qui va prendre le leadership de l'Europe ?

Le conseil européen de la semaine prochaine va donc être très intéressant pour voir qui va prendre le leadership de l'Europe et si la France sera encore en mesure d'imposer son point de vue de concert avec la chancelière qui, cette semaine, semble avoir eu un activisme politique très important en reevant de nombreux chefs de gouvernement, ceux-là même qui n'ont de cesse de regretter que la France et l'Allemagne leur impose constamment la conduite à tenir face à la crise de la dette.

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, en visite à Berlin lundi 23 janvier également, s'est aussi vue infliger un camouflet : suggérant la mise en place "d'obligations conjointes", destinées à aider "à convaincre les marchés de la viabilité future de l'union économique et monétaire", elle s'est vue opposer une cinglante fin de non-recevoir de la part de la chancelière.

Angela Merkel s'est en effet dite opposée à un tel instrument de mutualisation de la dette tant que la situation financière et économique des pays de la zone euro sera disparate.

Sûre de son droit, Angela Merkel a donc désormais les coudées franches pour faire prévaloir son point de vue. Il va être intéressant de voir ce que va être la posture de la France lors de ce conseil, notamment la mise en scène de la solidarité franco-allemande…Les deux dirigeants déambuleront-ils ensemble avec un grand sourire dans les couloirs du bâtiment du Conseil européen à Bruxelles et entreront-ils d'un même pas dans la grande salle du Conseil afin d'afficher l'image d'un coupe idéal et inséparable ? La mise en scène fait toujours partie du décors et toujours soignée par les experts en communication…

Il n'en reste pas qu'il ne s'agit pas de faire que du cinéma et que la réponse commune aux enjeux nés de la crise de la dette ne pourra qu'être conjointe et solidaire. L'Allemagne n'a tout simplement pas les moyens d'y faire face seule et telle n'est pas la volonté politique de la chancelière.Le renforcement du mécanisme permanent de secours apparaît comme une mesure indispensable afin de faire face aux éventuelles crises de solvabilité de certains Etats. De nouveau, les dirigeants devront donner des signes forts tant aux marchés qu'aux ménages sur leur volonté de faire face avec énergie aux défis nés de la crise de la dette.

Paradoxalement, le renforcement de la positon politique de l'Allemagne pourrait donner le signe positif qui manquait jusqu'à présent, rassurant ainsi les marchés sur les solutions défendues par la chancelière qui reste plus que sceptique sur certains des propositions du président français…

Le Président Nicolas Sarkozy jouera gros également : alors que le principe d'une nouvelle candidature à l'élection présidentielle semble acquise, sa position en tant que "président protecteur" sera plus que jamais en jeu à travers la visibilité et la lisibilité de son action qu'auront de lui les Français…


Patrick Martin-Genier est Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris.

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