Pour Philippe Herzog, "Si les gouvernements ne se transcendent pas pour établir une véritable coopération et solidarité pour la stabilité et la croissance, l'UEM se désagrégera. Les nations doivent mutualiser leurs efforts et donc accepter de partager leur souveraineté ! »
J'écris ces lignes au lendemain de la dégradation de la note de la France et de
plusieurs autres pays européens par Standard & Poors, et alors que la rédaction du projet de Traité pour la stabilité et la gouvernance au sein de l'Eurozone serait pratiquement achevée. En l'état des informations, ce texte serait clairement insatisfaisant : il durcit l'encadrement des politiques budgétaires nationales pour accélérer la réduction des déficits et des dettes publics ; il le dissocie des objectifs de croissance et de compétitivité, sur lesquels il est muet. Ce qui ne peut ni résoudre les problèmes, ni recréer la confiance. L'agence Standard & Poors elle-même critique les politiques économiques qui ne misent que sur l'austérité et souligne que les carences de compétitivité des pays dégradés sont des sources majeures de la crise de l'Eurozone.
J'appelle nos lecteurs à lire notre « Manifeste pour une Eurozone solidaire et intégrée », et à le soutenir. Il sera remis au Conseil et à la Commission ; il veut contribuer à améliorer significativement la rédaction du projet de Traité qui sera soumis à ratification des nations concernées ; et au-delà à motiver l'action pour faire cesser les terribles divisions nationales et tergiversations des institutions.
Pour compléter cette lecture, voici quelques réflexions au sujet du « gouvernement économique » de l'Eurozone qu'il faut bâtir le plus tôt possible.
La vieille revendication française d'un gouvernement économique pour l'Eurozone repose sur le fait qu'une monnaie sans « souverain » politique n'est pas viable. Cette revendication doit être élaborée et faire l'objet d'une action politique claire dans tous les pays européens. C'est urgent : toute l'Eurozone est maintenant vue comme une zone à risque par le monde extérieur ; tant que sa
consolidation n'ira pas à l'essentiel, tant que la zizanie politique persistera en son sein, le test des investisseurs s'accentuera et surtout les facteurs internes de désintégration.
Bâtir le « gouvernement économique » de l'Eurozone
Un gouvernement démocratique est un organe de direction politique au service de deux objectifs : agréger des intérêts différents et finaliser des choix collectifs. Selon cette définition classique, la construction européenne est tout à fait singulière. Dans l'Eurozone il y a plusieurs souverains les États nations qui ne s'accordent pas ni n'ont su coopérer. Si les gouvernements ne se transcendent pas pour établir une véritable coopération et solidarité pour la
stabilité et la croissance, l'UEM se désagrégera. Les nations doivent mutualiser leurs efforts et donc accepter de partager leur « souveraineté » ! Quand Wolfgang Schäuble dit qu'il s'agit de construire une intégration politique sui generis pour renforcer l'intégration économique, il vise juste. En somme, le « souverain » sera une force de coopération plurinationale.
La perspective est donc bien une fédération mais elle appelle un changement culturel. En effet la référence dont on dispose est celle du fédéralisme historique les États-Unis d'Europe. Cette référence est historiquement datée. Elle a nourri l'aventure constitutionnelle prématurée qui a échoué en 2005.
L'étape actuelle de l'unité politique est celle d'un rapprochement des nations, de leurs modèles économiques et de leurs cultures. D'où l'intérêt d'un pacte pour une solidarité de stabilité et de croissance.
Il s'agit de soumettre les uns aux autres nos choix budgétaires et économiques nationaux et de mutualiser des projets et des ressources pour rehausser une
croissance soutenable de chacun. Force est de constater que c'est impossible à 27, certains pays voulant rester indépendants.
L'Eurozone doit donc former elle-même sa coopération interne, et l'ouvrir aux non-membres qui le souhaitent. Comme une roue dentée dans un engrenage, ceci ne peut que contribuer à une dynamique de progrès bénéfique à toute l'Union. Mais bien sûr cela ne va pas sans tensions et conflits d'intérêts.
Il faut cesser de prétendre qu'il faut simplement poursuivre la « méthode communautaire ». La vérité est que le système institutionnel en vigueur depuis les Traités de Rome et de Maastricht n'offre pas un socle assez solide pour une action politique susceptible de sauver l'Eurozone, ni d'ailleurs de rehausser le potentiel de croissance de toute l'Europe et la rendre capable de défendre un
modèle social de qualité dans la mondialisation. Ceci a été abondamment prouvé.
L'incapacité d'anticiper la crise et ses développements, l'échec de la Stratégie de Lisbonne et la pâleur de EU 2020, sont là pour le rappeler. De plus la viabilité d'une Union moné-taire, on le sait depuis les travaux historiques de Robert Mundell, actualisés par Michel Aglietta, passe par une « Union de transferts » (un fédéralisme budgétaire et fiscal) ET des politiques industrielles et de mobilité des travailleurs susceptibles de renverser les forces de polarisation-désindustrialisation qui minent l'Eurozone.
2012 : une première étape
Il est bien qu'une réforme partielle des traités soit à l'ordre du jour pour clarifier une dynamique de convergence, mais il serait grave de manquer la marche. Discipline budgétaire et bancaire, mais aussi marché du travail, réglementation financière, fiscalité et politique industrielle sont autant de sujets à développer en coopération.
Nous estimons aussi nécessaire l'expérimentation d'eurobonds. Le contrôle des
finances publiques nationales aura lieu a priori ; et non plus comme auparavant vaguement a posteriori. Ce qui soulève un énorme enjeu démocratique et culturel : le rôle des élus des parlements nationaux devra impérativement être promu, aux côtés des élus européens et des services de la Commission.
Et pour que la convergence fonctionne, il faut une « gouvernance » digne de ce nom, capable de produire enfin une réflexion collective à même d'élaborer une perspective intertemporelle. Ainsi, une vue agrégée des budgets nationaux et du budget européen nous aiderait à dégager un multiplicateur keynésien d'intérêt mutuel. Et l'impulsion des politiques de croissance au niveau communautaire
restera un vu pieux si les membres de l'Eurozone ne convergent pas eux-mêmes dans la volonté de rénover le grand marché et promouvoir des politiques industrielles axées sur des investisse-ments de long terme, avec des ressources mutualisées sur des projets structurels d'intérêt commun.
Pour ces raisons une bonne gouvernance nécessite la création d'un Minis-tère de l'économie et des finances. On peut commencer par la consolidation de l'Eurogroupe, avec un Trésor constitué de représentants des Trésors nationaux et de cadres des services de la Commission.
La campagne des élections présidentielles est une opportu-nité à saisir pour clarifier la politique européenne de la France.
Demain, dans notre vie quotidienne, il faudra pouvoir penser européen dans nos choix budgétaires, dans nos projets de réindustrialisation et de formation, dans chaque région, chaque secteur, chaque entre-prise. Si on ne le fait pas, on verra fleurir une version introvertie du «produire français », donc inefficace, et s'aggraver les tentations protectionnistes. Au contraire, les choix intérieurs trouveront une assise d'au-tant plus solide que nous serons capables de changements culturels et d'action à même de nous engager à fond dans le combat pour sauver l'Eurozone et redynamiser l'Europe.
Confrontations europe- actualités politique
Philippe Herzog est président fondateures de Confrontations europe