En prenant officiellement ses fonctions à la présidence tournante de l'Union européenne, jeudi soir, le premier ministre hongrois a refusé de modifier la scélérate loi sur les médias qu'il a fait voter le 21 décembre dernier tant, a-t-il dit, que d'autres pays européens ne modifieraient pas eux-mêmes leur propre législation.
Ainsi, un président du Conseil européen peut se permettre de bafouer ostensiblement l'article 11 de la charte des droits fondamentaux sur "la liberté d'expression et d'information", ainsi que l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à : "la liberté d'expression".
Dans cette Union européenne, prétendument avant-garde de la liberté d'expression, la Hongrie peut se permettre de fermer une radio parce qu'elle diffuse une chanson d'un groupe rap, d'infliger des amendes si lourdes à des journaux qu'ils seraient contraints de fermer au motif "d'informations partiales". C'est un comité politique de vérification et de censure composé de 5 personnes proches de M. Orban lui-même qui décide de ce qui est publié ou diffusé.
Mais, en conditionnant les modifications de sa loi à des changements dans les autres pays européens, M. Orban, soulève une terrible contradiction existant à l'intérieur de l'Union européenne : celle qui s'aiguise entre les valeurs que prétend défendre l'Union européenne et les réalités. Il est en effet difficile au sein même du Conseil européen de demander à la Hongrie qui coprésidera cette instance de respecter la liberté d'expression et le pluralisme de la presse quand des questions similaires se posent dans d'autres pays de l'Union, notamment en Italie.
Dans de nombreux cercles européens, on fait d'ailleurs observer à juste titre, qu'en France les présidents de radios et de télévisions publiques sont désormais nommés directement par le Président de la République, ce qui jette forcément le doute sur leur indépendance! On pourrait élargir encore le débat. Peut-il y avoir réellement liberté et pluralisme si, comme on le prévoit dans les hautes sphères gouvernementales, toute aide publique à la presse est supprimée d'ici cinq ans ? Une telle orientation conduit à terme à un Etat ou plutôt à un pouvoir décidant de la ligne éditoriale des médias publics tandis que ne pourront survivre que les journaux, radios et télévisions privés propriété des forces liées à la grande industrie et aux forces de l'argent.
Il n'y a pas d'Europe démocratique possible sans liberté d'expression, sans pluralisme des médias et de la presse. La Commission européenne avait créé en janvier 2007 un groupe de travail chargé de produire une étude sur le pluralisme des médias. On attend toujours ses conclusions ! Le 9 décembre dernier, avec 4 autres députés européens, de tous les autres groupes représentés dans cette assemblée, nous avions demandé un débat public en séance avant le vote de la loi hongroise. Cela nous a été refusé par la majorité du Parlement et par sa Présidente.
Désormais l'affaire devient sérieuse. Le moment est venu de relancer ces débats et des actions pour obtenir le respect de la liberté d'expression et le pluralisme des idées. Les instances européennes doivent cesser d'aborder la question des médias sous le seul angle des politiques de concurrence. J'ai déjà proposé, il y a plusieurs mois, la création d'un observatoire européen indépendant pour le pluralisme des médias rattaché à l'agence européenne des droits fondamentaux.
De son côté, l'alliance internationale des journalistes propose la création d'un conseil européen des médias. Des initiatives sont possibles. Des actes sont nécessaires. Que cet enjeu devienne celui de tous les progressistes et de tous les démocrates, celui des peuples eux-mêmes. Le recul de la liberté d'expression et du pluralisme porte en germe toutes les régressions réactionnaires et les pires extrémismes.
Patrick Le Hyaric est Directeur de l'Humanité et Député au Parlement européen